L’association de défense animale One Voice vient de publier le troisième volet d’une grande enquête sur les fourrières françaises. Si tout le monde connaît l’existence de ces établissements, peu sont au courant de leurs pratiques. Pourtant, ces dernières disent beaucoup sur les humains que nous sommes et les sociétés que nous créons. Lumière sur ce « service public » délabré qui opère sans surveillance. 

L’article L. 211-24 du code rural et de la pêche maritime stipule que « chaque commune dispose d’une fourrière apte à l’accueil et à la garde, dans des conditions permettant de veiller à leur bien-être et à leur santé, des chiens et chats trouvés errants ou en état de divagation ». Qu’en est-il dans la réalité ? État des lieux. Attention, certaines images peuvent heurter la sensibilité.

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Le piège des fourrières françaises

En pratique, d’après les dernières enquêtes disponibles (Facco/TNS Sofres en 2010), environ 60% des communes françaises disposeraient d’une fourrière accueillant chiens et chats. En 2020, un annuaire en ligne en dénombre quant à lui plus d’une centaine sur tout le territoire. Parmi elles, la SPA en gère 25 (au 31 décembre 2020) « ce qui en fait le deuxième gestionnaire en France ». 

De fait, les fourrières animales sont un service public financé par le contribuable qui peut être délégué à des associations. Dans tous les cas, ainsi que le souligne en 2020 le député LFI Michel Larive à l’attention du ministre de l’agriculture et de l’alimentation : « la prise en charge d’animaux perdus ou accidentés sur la voie publique est assurée par le gestionnaire de la fourrière qui doit ensuite rechercher le propriétaire de l’animal. Si ces derniers ne sont pas retrouvés, les animaux peuvent être envoyés dans les refuges d’associations de protection animale. S’ils sont en mauvaise santé, ils peuvent être euthanasiés ». 

La loi oblige en effet les fourrières à respecter un délais de 8 jours minimum pour que les propriétaires, ou nouveaux adoptants, se désignent avant d’envisager la mort. Or, cette loi n’a pas vocation à inciter l’abattage systématique des animaux une fois la période écoulée, mais préconise au contraire de choisir la mise à mort en dernière option.

Dans les faits, l’extermination à la chaîne des animaux, y compris en bonne santé, est pourtant devenue automatique :

« Ainsi, chacun d’entre nous paye pour que des chiens et des chats soient abattus, la plupart en parfaite santé » souligne One Voice.

En effet, à partir de 2022, One Voice décide d’en savoir plus sur les méthodes des fourrières et dévoile de nombreux cas de maltraitance et d’abus. Voici leur réalité. 

Un aperçu de l’abus de nos sociétés aux animaux domestiques 

En mai 2022, One Voice mène une première enquête dans une fourrière du Lot-et-Garonne : la SIVU47.

L’association fait alors état de chats réduits à des numéros, laissés agonisants et sans soins dans des cages vides sujettes aux vents extérieurs, privés d’eau la nuit en période de fortes chaleurs, sans aucun suivi et, surtout, sans aucune affection. Pourtant, au moment du constat glaçant, le local est loin d’être surchargé.

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Suite à ces observations, One Voice porte plainte pour « mauvais traitements délictuels par un professionnel » et en profite pour dénoncer plus globalement notre rapport ambigu aux chats :

« En France, plus de onze millions de chats errent dans les campagnes, les villes et les villages. Sans identification, non stérilisés, non castrés »

Et pour cause, le chat est l’animal domestique le plus apprécié en France avec « 14,9 millions de félins sur le territoire en 2022 », selon les estimations de Fediaf. On distingue cette population en trois catégories : domestiques, errants ou libres. En effet, depuis la loi de 1999, les chats errants peuvent bénéficier, grâce à des démarches administratives spontanées, du statut de chat libre, afin d’être stérilisés et nourris par la collectivité plutôt que déplacés en fourrières. Peu le savent, ou s’en préoccupent. 

Et pour cause, le chat errant, associé aux maladies et aux nuisances, souffre d’un paradoxe : il est à la fois exclu de l’affection culturelle portée à son espèce et précisément le fruit de cet intérêt dérégulé et trop souvent irresponsable, notamment sous sa forme « commerciale ».

Contre cette inconséquence, une pétition en faveur d’un plan national d’urgence de stérilisation et identification est publiée simultanément et comptabilise aujourd’hui près de 130 000 signatures. Plus récemment, cet été 2023, One Voice rappelle également le retard intolérable pris par la gouvernement dans l’application concrète de ses promesses à ce sujet et relève de nombreux refus de coopérer de la part des maires.  

Le cas Holga

Retour en 2022. One Voice prend ensuite connaissance du cas d’Holga, une chienne abandonnée en fourrière après le décès de son compagnon humain. Le collectif animaliste décide d’enquêter.

La bergère allemande est, à l’époque, placée en quarantaine dans une cage froide et vide de la fourrière Passerelles, en Normandie. Les enquêteurs questionnent l’établissement sur son statut, mais c’est seulement quelques jours plus tard qu’ils découvrent le corps de l’animal, sans vie, dans un congélateur. 

One Voice lance alors une campagne de sensibilisation : l’histoire d’Holga n’est pas isolée. En effet : « Des milliers d’animaux périssent de la même façon dans notre pays quand leur humain meurt ou tombe malade. Quel que soit leur état de santé, abandonnés de tous, ils sont abattus sans être proposés à l’adoption ou s’ils ne sont pas adoptés ». 

Interpellée par le sort d’Holga, l’association décide de poursuivre son investigation au sein de cette fourrière. Un deuxième rapport est publié concernant des hécatombes de chats survenues courant 2020 avec de graves lacunes concernant les conditions de vie et de soins des félins. One Voice ne manque pas de reconnaître les missions honorables de réinsertion à l’emploi de cet établissement, mais déplore que le même soin ne soit pas conféré aux animaux de la fourrière…

Chaque investigation en vient aux mêmes conclusions. En cause : évidemment, les abandons massifs d’animaux par les particuliers – plus de 100 000 chaque année en France d’après la SPA -, mais également les manques de subventions et de volonté du gouvernement en faveur d’une gestion plus responsable et solidaire de cette situation créée par l’être humain, le manque de coopération de certain·es élu·es, et enfin les abus et maltraitances des fourrières elles-mêmes. 

La dernière enquête : un spectacle inhumain de trop 

Après avoir dénoncé les dérives de ces fourrières à partir de signalements, One Voice a voulu s’intéresser à ces établissements qui sont, a priori, en règle et « bien sous tous rapports aux yeux des municipalités ». En effet, la fourrière visée, située en Occitanie, est une société privée missionnée par la mairie et se dit exemplaire. 

Or, le constat déplorable s’est avéré également pour ce local « 5 étoiles ». Dans ce centre animalier français parmi les mieux cotés, un camion « plein à craquer » vient régulièrement déposer toutes sortes d’animaux. En caméra cachée, les enquêteurs de One Voice découvrent alors derrière les murs de l’établissement une véritable machinerie :

« Enfilades de box minuscules bétonnés, chiens délaissés parmi leurs déjections, chats entreposés dans des caisses de transport au fond de salles obscures, infirmerie sens dessus dessous…».

Et l’atmosphère n’y est pas plus rassurante : « Dans cet univers peuplé d’aboiements angoissés et de miaulements plaintifs, les nouveaux arrivants sont tout de suite mis au diapason. Aucun personnel pour les rassurer, leur prodiguer un geste d’affection ou même seulement d’attention. Seuls leurs congénères sont là pour les informer du climat ambiant ». 

Sur place, les enquêteurs observent une cadence élevée de mise à mort, pour laisser toujours plus vite la place aux suivants, et mettent en cause la dimension « rentable » de cette activité. 

« Nos enquêteurs ont tout filmé : la terreur des condamnés, la capture des chiens au lasso pour se laisser piquer, l’administration des doses létales à tour de bras par une vétérinaire robotisée et violente. C’est abandonné de tous, hormis de leurs voisins de cellule traumatisés, que des dizaines d’animaux en parfaite santé agonisent chaque jour dans ces couloirs de la mort avant d’être éliminés ». 

En finir avec l’omerta sur la maltraitance animale 

Des solutions existent pourtant, notamment chez nos voisins européens : la Grèce, le Luxembourg, la Belgique, ou encore l’Italie, ont pris des mesures courageuses et prouvent qu’il est possible d’être cohérents dans notre rapport aux espèces domestiquées. L’exemple récent de la Belgique est incontestable, puisqu’en 2018, le pays a rendu la stérilisation de tous les félins obligatoire, réduisant en quelques mois les « euthanasies en fourrière par manque de place » de 37 à 13 %.

Suite aux images récoltées et à ses multiples constats, One Voice lance donc une pétition inédite pour en finir avec l’omerta sur les fourrières : 

« Animaux « stockés » dans des locaux sordides, procédures liées aux soins quasi inexistantes, maltraitances volontaires ou par négligence, abattages innombrables… Ces mises à mort (faussement appelées euthanasies) sont cachées au public qui ignore l’ampleur du problème et peut prendre la stérilisation et l’identification des animaux à la légère. Par exemple, quand une fourrière cherche l’humain d’un animal, elle devrait indiquer à quelle date l’animal sera tué. Les faits doivent être connus de tous ! » 

En effet, s’informer est la première des actions utiles. Réclamer de la part des pouvoirs publics des applications efficaces et humaines de la loi en est une seconde. À cet effet, l’association de défense animale exige également à travers les signatures réunies : 

  • Un plan d’urgence contre l’errance des chats, imposant leur stérilisation obligatoire (sauf LOOF) ;
  • Un meilleur contrôle des identifications et des stérilisations, associé à de réelles sanctions en cas de manquement ;
  • Que les animaux familiers soient soignés dans des conditions décentes dans les fourrières, à la hauteur de la protection dont ils bénéficient dans la loi ;
  • Une publication systématique, avant chaque « euthanasie », de la photo et des informations sur l’animal concerné, ainsi que de la date à laquelle l’abattage est prévu ;
  • La transparence, enfin ! Avec la création d’un registre national à jour. Pour chaque fourrière, publique ou privée : les entrées, soins, sorties, précisant de manière détaillée s’il s’agit d’une adoption, d’une euthanasie pour cause de maladie (avec attestation signée d’un vétérinaire décrivant l’affection et les soins prodigués pour guérir l’animal) ou d’une mise à mort pour une autre cause ; le tout consultable par les contribuables.
@OneVoice « Enquête de One Voice dans une fourrière 5 étoiles : l’abattage industriel des chiens et des chats »

Conclusion

En outre, comment ne pas faire écho à l’intervention ce 13 décembre 2023 sur LCI de François Gemenne, membre du Giec, qui a rappelé l’impact environnemental des chiens et des chats. En effet, les chats et les chiens, sous notre influence, ont respectivement un impact sur le climat et la biodiversité.

@Les Répliques

Cependant, que personne ne s’y trompe, la conclusion ne se situe évidemment pas dans la culpabilisation des particuliers qui adoptent en refuge, ni dans l’extermination des espèces elles-mêmes, véritable non-sens en termes de démarche écologique holistique. En revanche, comme le rappelle l’enquête en trois volets de One Voice, cette déclaration doit appuyer l’urgence d’une gestion responsable et humaine de ces animaux familiers de la part de nos sociétés.

– S.H.B


Photo de couverture : @OneVoice (Deuxième enquête dans la fourrière d’Avranche, Normandie)

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