Dans une récente analyse, l’ONG Mighty Earth fait le lien entre les produits alimentaires vendus par Carrefour et Casino et les exploitations agricoles participant à la déforestation de l’Amazonie et du Cerrado au Brésil. Décryptage. 

Dans le cadre de son programme Rapid Response développé pour surveiller en temps réel la déforestation occasionnée par les chaînes d’approvisionnement du bétail et du soja au Brésil, l’ONG Mighty Earth a publié le 8 décembre un nouveau rapport alertant sur le rôle joué par certains grands distributeurs français.

Les leaders français de la distribution se taillent une place de choix au Brésil

Si Carrefour et Casino apparaissent comme des enseignes familières en France, elles le sont tout autant à l’autre bout du monde, au Brésil. Occupant une place de choix sur le marché de l’alimentation avec pas moins de 489 magasins en 2021, Carrefour renforce progressivement son leadership dans le pays sud-américain. Le Groupe Casino, au coude à coude avec son concurrent, se démarque en offrant plusieurs enseignes à travers le territoire brésilien (Mercado Extra, Mini Extra,…) et lance notamment ses nouveaux supermarchés Pao de Açùcar, « pionniers de la consommation responsable dans le pays » selon la multinationale.

Carrefour et Casino, deux grands distributeurs français, s’imposent également au Brésil. Source : Pixabay

L’un et l’autre se targuent d’offrir un large choix de produits alimentaires à leurs clients, allant des légumes et fruits frais aux produits exotiques, en passant par les denrées carnées. Les Brésiliens, friands de viande de boeuf, s’approvisionnent ainsi régulièrement à travers les allées des supermarchés français. Alors même que le cheptel des bovins brésiliens dépassent largement le nombre d’habitant du pays, plus de trois quarts (76 %) de la viande produite au Brésil est consommée localement.

Déforestation : plus de 50 fois la superficie de Paris

Pourtant, « avec l’expansion de la culture du soja, l’élevage de bétail est un des plus gros moteurs de la déforestation », pointe le rapport de l’ONG, qui dénombre pas moins de 546 108 hectares de déforestation causés entre 2009 et 2023 par des abattoirs fournissant régulièrement Carrefour ou Casino au Brésil, soit une superficie équivalente à plus de cinquante fois la ville de Paris.

Soucieuse de mettre à jour les liens existants entre produits de consommation quotidienne, chaines de supermarchés et déforestation, l’organisation entend révéler l’implication des distributeurs français dans l’effondrement du couvert végétal sauvage au Brésil.

« L’objectif est d’arrêter de manière proactive la déforestation à ses débuts en exhortant les entreprises à cesser leurs échanges avec les exploitations agricoles impliquées dans des incendies ou des déboisements récents qui sont visuellement confirmés », explique-t-elle dans la récente analyse.

Des données récoltées grâce aux consommateurs

Pour ce faire, des données ont été collectées entre juillet et septembre 2023 via l’application mobile Do Pasto ao Prato (DPaP), signifiant « du pâturage à l’assiette » et permettant aux consommateurs de numériser et d’enregistrer les informations fournies sur les emballages des produits carnés vendus dans les supermarchés. Grâce aux numéros de suivi de plus de 1 000 produits contenant du boeuf ainsi collectés, « il a été possible de cartographier et de localiser l’abattoir où le produit carné a été transformé », explique l’équipe de Mighty Earth.

Liens entre les supermarchés Carrefour brésiliens et les exploitations agricoles épinglées pour déforestation. Source : Rapport « Monitoring deforestation in Brazilian supply chains ».

Le rapport a ainsi révélé des liens entre les produits vendus en supermarché et pas moins de 64 abattoirs différents, opérant dans 16 états du pays.

« Parmi ces abattoirs, 41 appartenaient à JBS, 13 à Marfrig et cinq à Minerva », les trois plus grands fournisseurs de viande du pays régulièrement épinglés pour leur rôle dans la déforestation du couvert forestier.

Après avoir récolté ces premières données, il ne restait plus qu’à remonter le fil des différents élevages approvisionnant ces abattoirs et donc indirectement les supermarchés des deux groupes français. « Le rapport a identifié 15 427 fournisseurs directs de bovins (producteurs qui vendent du bétail directement aux conditionneurs de viande) et 31 600 fournisseurs indirects (revendeurs de bétails à d’autres producteurs ou intermédiaires) auprès de ces abattoirs », pointe l’ONG.

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210 516 ha perdus dans le biome amazonien

Plusieurs milliers d’entre eux, plus soucieux d’agrandir leur pâturage que de protéger l’environnement, pratiquent le déboisement régulièrement en provoquant, par exemple, des incendies. L’analyse a effectivement révélé que plus de 12 494 exploitations agricoles avait procédé à la déforestation de 546 108 hectares de couvert végétal. « Environ 61 %, soit 335 592 ha, de la déforestation ont eu lieu dans le biome du Cerrado et 39 %, soit 210 516 ha, dans le biome amazonien », précisent les auteurs du rapport.

Pour appuyer ces résultats, l’organisation met en lumière cinq études de cas de déforestation récente, confirmés cartes à l’appui, en Amazonie et dans le Cerrado. « Sur ces seuls cinq études de cas sélectionnés, c’est 2 109 hectares de déforestation qui ont été détectés entre mai et octobre 2023 sur des exploitations qui ont été en lien commercial directement ou indirectement avec des abattoirs vendant des produits de bœuf aux supermarchés au Brésil, notamment chez Carrefour et Casino ».

Cartographies d’analyse d’un cas particulier de déforestation (JBS Marabá) – Source : Rapport « Monitoring deforestation in Brazilian supply chains »

La responsabilité des distributeurs français mise en cause

Pour Glenn Hurowitz, directeur de Mighty Earth, « il est stupéfiant de constater que des distributeurs tels que Carrefour et Casino (…) vendent des produits de bœuf dans leurs magasins au Brésil qui sont liés, via leurs fournisseurs, à plus d’un demi-million d’hectares de déforestation dans le Cerrado et l’Amazonie ».

Carrefour, qui se vante de « promouvoir et développer une agriculture durable » tout en assurant « la lutte contre la déforestation », a répondu aux conclusions de l’ONG.

La multinationale assure, sur base des constats présentés, « la suspension de tous les élevages référencés de ses approvisionnements, soit définitivement, soit temporairement jusqu’à preuve de leur conformité » et promet de rendre compte « des progrès réalisés dans ces investigations complémentaires ».

Casino n’a pour sa part pas répondu factuellement aux allégations de Mighty Earth, faisant au même moment l’objet d’une mise en demeure pour manquement à son devoir de vigilance et participation à la déforestation au Brésil à travers ses activités.

– L. A.


Photo de couverture : Flickr

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