Dans nos villes et villages, ramasser les crottes de son chien est un geste citoyen encouragé par les municipalités. Des distributeurs de sacs en plastique sont mis à disposition des propriétaires canins pour faciliter cette pratique. Mais la propreté de nos trottoirs vaut-elle la pollution de nos océans ? Analyse d’un paradoxe. 

En 2024, la France compte plus de six millions de chiens, répartis chez environ 1 Français sur 5 ; une proportion parmi les plus fortes d’Europe, juste après l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne et le Royaume-Uni.

Or, la cohabitation avec ces animaux domestiqués fait aussi l’objet de nombreuses règles, dont le ramassage de leurs déjections dans l’espace public. Bien sûr, dans l’espace domestique, une grande partie est évacuée « en mélange à l’égout pour faire l’objet d’un traitement en station d’épuration, se retrouvant alors dans les boues », mais dans les lieux communs, la majorité est jetée dans les corbeilles de rues à l’aide de sachets plastique et suivent le chemin des ordures ménagères résiduelles.

Si ce geste semble relever du bon sens et d’une certaine responsabilité civique, il n’en est pas moins une aberration écologique lorsqu’on s’intéresse au cycle de vie des sacs en plastique.  

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Une obligation légale, aux conséquences néfastes

Ramasser les déjections de ses animaux domestiques dans l’espace public est très réglementé. Comme le rapporte Centre Presse d’Aveyron, elles sont interdites : « sur les trottoirs, les voies publiques, les espaces verts et de jeux publics réservés aux enfants ».

Les articles R632-1 du Code pénal et l’article R541-76 du Code de l’environnement classent ces excréments « au même rang que les déchets, les ordures, les liquides et les liquides insalubres ». Ainsi, la contravention correspondante est de 2e classe, soit 35 €. Toutefois, sa majoration est à la discrétion de chaque commune et ces dernières n’hésitent pas à les fixer à des centaines d’euros, comme à Port-Sainte-Maxence où l’amende d’un riverain a atteint 537 euros. 

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À noter que ces déjections sont toutefois tolérées : « dans les caniveaux à condition que ceux-ci ne se trouvent pas à l’intérieur d’un passage pour piétons et qu’elles soient par la suite ramassées »

Pour encourager le respect de cette législation, les mairies mettent à disposition des distributeurs de sacs à déjections vouées à être incinérées. Certaines incitent même les riverains à en avoir sur eux à chaque promenade, parfois même via des arrêtés municipaux punitifs qui obligent les propriétaires à porter sur eux les fameux sachets.

Par conséquent, chaque année, des millions de sacs en plastique pour ramasser les déjections sont utilisés pour répondre à cette convention. Des sacs qui finissent dans les décharges où, contrairement aux déjections qui mettent environ deux mois à se décomposer, ils nécessiteront des centaines d’années pour se dégrader. Pire encore, un grand nombre se retrouve dès à présent dans l’environnement, polluant les sols, les rivières et les océans. 

Ces sacs ainsi fragmentés en micro-plastiques contaminent la chaîne alimentaire et menacent la biodiversité. Sans compter que la fabrication de ces sacs nécessite l’extraction de pétrole, une ressource non renouvelable et polluante. De plus, la production de ces accessoires consomme de l’énergie et de l’eau, deux ressources précieuses et menacées.

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Simplement abandonner les déchets canins dans les lieux publics n’est pas une solution. Selon Terre et Nature (2017) : « Si une crotte dérange sur un trottoir en ville ou agace sur une plage, elle peut avoir des conséquences autrement plus graves, voire mortelles, dans l’herbe fraîche. En cause ? Un agent infectieux mortel pour les bovins, la néosporose, présent dans les selles de certains canidés. »

Les municipalités peuvent toutefois jouer un rôle crucial en favorisant l’utilisation d’alternatives écologiques aux sacs en plastique. Cela peut se faire en proposant des sacs en papier biodégradables dans les distributeurs publics, en subventionnant l’achat de sacs réutilisables ou encore en mettant en place des points de compostage dédiés pour les déjections canines – tout à fait dégradables avec les bonnes méthodes -, car rappelons que le meilleur déchet est celui qui n’existe pas !

Retour sur une appropriation humaine de l’environnement

L’expansion, l’urbanisation et l’artificialisation des terres, processus intrinsèquement liés à l’expansion humaine, transforment radicalement les paysages naturels. 

Cette transformation implique souvent la suppression de la biodiversité et des habitats naturels des animaux, les reléguant au rang de « nuisances » dans un environnement désormais façonné pour répondre uniquement aux besoins et au confort des humains.

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Ce phénomène découle d’une vision anthropocentrique du monde, où l’humain (avec ses animaux domestiques) se place au centre de l’univers et considère les autres formes de vie comme inférieures. Or, cette perspective conduit à une instrumentalisation de la nature et à une négation de la valeur intrinsèque des êtres vivants et des écosystèmes.

Ainsi, nous avons une perception subjective des besoins des animaux, souvent qualifiés de « sales » ou « incommodants », tandis qu’ils ne sont que l’expression d’une réalité biologique dont l’échelle a priori problématique est issue de la domestication dérégulée que nous avons faite de l’espèce canine. 

Qualifier ces besoins de « sales » est une accusation injustifiée qui découle d’une vision hygiéniste de la nature. En effet, ignorer les besoins des animaux et artificialiser leurs habitats naturels a des conséquences graves sur la biodiversité et l’équilibre des écosystèmes. 

Il est dès lors crucial de repenser notre rapport à la nature et de développer une vision plus inclusive et respectueuse des autres habitants de ce monde. Cela implique de reconnaître les besoins des animaux et de leur accorder une place légitime dans la société et les paysages, sans tenter de camoufler leur animalité au détriment de la biosphère commune à tous les animaux dont nous faisons partie.

Propreté civique et propreté écologique, une relation indissociable, un lien profond et une responsabilité partagée

La propreté civique et la propreté écologique sont deux notions intimement liées. La première se réfère au respect de l’environnement urbain et à la responsabilité individuelle de ne pas salir les espaces publics. La seconde vise à préserver l’environnement naturel et à limiter notre impact sur la planète.

« La saleté est une construction sociale » – Nathalie Blanc

Comme l’explique la chercheure en géographie urbaine (CNRS) et responsable de l’équipe « L’environnement, vers un nouveau paradigme ? » Nathalie Blanc (Les animaux et la ville (2000), Chp. 3 « Le propre et le sale ») :

« Les discours au sujet de l’animal l’associent à la saleté, à la dégradation de l’espace habité. Différents termes sont utilisés : dégoûtant, pas propre, répugnant, pose des problèmes d’hygiène, désagréable, écœurant… Ces termes bien que proches ne recouvrent pas la même représentation de l’animal, ni ne qualifient le même animal. Mais, de façon générale, la cause principale de rejet de l’animal, et essentiellement de l’animal non désiré, est cette association à la saleté, au manque d’hygiène.

Au sens propre, que le Robert définit comme ce « dont la netteté, la pureté est altérée par une matière étrangère, au point d’inspirer la répugnance, de ne pouvoir être utilisé de nouveau sans être nettoyé » s’ajoute un sens figuré. Le terme de « sale » ou de « saleté » définit alors un être ou un acte douteux, impur et souillé. On dirait que l’animal est, à la fois, considéré comme étant à l’origine de saletés dans la ville et, métaphoriquement, est une saleté lui-même.

La saleté est une construction sociale (Douglas, 1960). Des manières de vivre le propre se sont succédé dans l’histoire et côtoyées dans l’espace. À chaque fois, elles ont été vécues comme évidentes, en dépit de leur spécificité. Aujourd’hui, dans le prolongement d’un système de valeurs qui prend place au xviiie siècle, existe un « propre de la ville ». La ville occidentale est devenue un lieu de la maîtrise du temps, de l’espace, des saisons. C’est un univers artificiel et maîtrisé duquel ont été chassés des phénomènes naturels : boue, excrément…»

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Or, lorsque nous percevons nos propres besoins naturels et ceux de nos animaux à quatre pattes comme des déchets, nous contribuons à la pollution de l’environnement. 

En effet, nous ne sommes pas épargnés par des gestes de rejet irrationnels : rejeter nos excréments dans les canalisations traditionnelles à des conséquences néfastes sur l’eau potable et les écosystèmes aquatiques.

Pour recontextualiser l’aberration de nos comportements modernes, une chasse tirée équivaut à 10L d’eau potable gaspillée. L’eau des toilettes représente également 20% de la consommation quotidienne d’eau d’un foyer. 

Les toilettes sèches, victimes de nombreux préjugés, constituent pourtant une alternative écologique évidente aux toilettes à chasse d’eau. Elles ne nécessitent pas d’eau courante et permettent de valoriser les déchets organiques en compost, un fertilisant naturel pour les sols au même titre que les selles des animaux lorsqu’elles sont correctement traitées, d’où l’intérêt d’un point de compostage pour les déjections domestiques.

Pour Reporterre, le chercheur de l’École des Ponts ParisTech au Laboratoire eau, environnement, systèmes urbains (Leesu), Fabien Esculier, rappelle ainsi que « Le tout-à-l’égout et les stations d’épuration sont une « anomalie de l’histoire occidentale alors que la pratique la plus courante à travers les âges et le monde est d’utiliser les excréments pour fertiliser les sols ».

Un contraste saisissant dans nos espaces partagés

Alors que les crottes de chien attisent la réprobation et le dégoût, les déchets sauvages et les mégots de cigarettes continuent de pulluler, jonchant nos trottoirs, nos parcs et les espaces naturels. 

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Cette disparité dans la perception et le traitement de ces incivilités mérite d’être examinée de plus près. L‘absence de sanctions claires et systématiques pour les déchets sauvages et les mégots de cigarettes diminue la perception de l’incivisme associé à ces actes. La responsabilité individuelle semble diluée et le sentiment d’impunité est plus fort.

La présence de crottes de chien est souvent perçue comme un signe de négligence et de manque d’hygiène de la part du propriétaire de l’animal, ce qui génère une pression sociale pour les ramasser.

L’absence de normes sociales aussi fortes pour les déchets sauvages et les mégots de cigarettes atténue la pression sociale. Le sentiment de responsabilité individuelle est moins marqué et l’effet de groupe joue un rôle en encourageant l’incivisme.

Les déchets sauvages et les mégots de cigarettes, bien que moins visibles, ont un impact environnemental majeur et durable. Un mégot de cigarette peut polluer jusqu’à 500 litres d’eau et mettre 12 ans à se dégrader. Les déchets sauvages peuvent perturber les écosystèmes, polluer les sols et les rivières, et menacer la biodiversité. Or, les sacs plastiques utilisés pour les déjections sont précisément concernés par cette pollution, sur nos trottoirs ou exportés dans des décharges à ciel ouvert. 

Les sacs “biodégradables“, une fausse solution écologique

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L’article « Le mythe des bioplastiques : dernier piège du capitalisme vert ? » dénonçait déjà les dangers et les limites des bioplastiques, souvent présentés comme une alternative écologique aux plastiques traditionnels.

Contrairement à ce que leur nom suggère, les bioplastiques ne sont pas nécessairement biodégradables et peuvent contenir des substances toxiques. Certains bioplastiques ne se dégradent que dans des conditions spécifiques, comme les installations de compostage industrielles, qui ne sont pas toujours disponibles et s’avèrent très polluantes. D’autres ne se dégradent que partiellement, laissant derrière eux des fragments microplastiques qui polluent également l’environnement.

Même les bioplastiques biodégradables peuvent contenir des additifs toxiques, comme des phtalates et des bisphénols, qui peuvent avoir des effets néfastes sur la santé humaine et l’environnement. 

La plupart des bioplastiques sont dérivés de cultures industrielles intensives, comme le maïs et la canne à sucre, qui nécessitent de grandes quantités d’eau, d’engrais et de pesticides, et contribuent à la déforestation et à l’épuisement des sols. Leurs productions ont ainsi des effets néfastes sur la biodiversité et les ressources naturelles, tout comme les plastiques classiques.

L’industrie du bioplastique utilise un marketing vert pour promouvoir ses produits, en exagérant leurs avantages environnementaux et en minimisant leurs impacts négatifs. De plus, de nombreuses certifications pour les bioplastiques peuvent être trompeuses et ne garantissent pas un impact environnemental positif. Les informations sur la composition et l’origine des bioplastiques ne sont pas toujours facilement accessibles, ce qui rend difficile pour les consommateurs de faire des choix éclairés.

Dépasser le greenwashing et s’ouvrir aux solutions durables

Les bioplastiques industriels et le plastique « recyclé » (pour un ou deux cycles maximum) détournent l’attention de solutions plus radicales et systémiques à la pollution plastique, comme la réduction de la consommation de ce dérivé pétrolier et le développement de modèles économiques circulaires.

Des alternatives réellement vertueuses pour réduire notre dépendance au plastique existent bien sûr : le simili d’algue, en peau de banane, en graines d’olives et celui à base de cactus, d’agar agar ou encore de champignons.

Toutefois, au-delà des substituts au plastique possibles, dont le papier, chacun doit pouvoir se demander quelle place peut encore espérer obtenir l’animal dans le monde actuel, qui plus est quand sa population est précisément entretenue par l’humain. Quand ses déjections doivent-elles être perçues comme un tel fléau qu’une pollution pour le vivant dans son ensemble en est rendue obligatoire ?

ce n’est pas une fatalité. Donnant bon espoir, à Bâle, selon le journal des spécialistes de l’environnement TSM Technique, science, méthode (2015) : « avec un ratio estimé de 4 à 10% en poids de déjections canines contenues dans les déchets des corbeilles de rues, l’unité de cogénération de l’incinérateur permet de produire l’équivalent de la consommation énergétique d’une vingtaine de foyers.

Mais de rares villes passent à un niveau supérieur, à l’instar de Saint-Gall en Suisse où, à l’aide d’un réseau de poubelles dédiées au dépôt de déjections canines, une collecte sélective a été mise en place, ce qui permet alors de réaliser une valorisation spécifique ». Ainsi, sous réserve que les crottes soient disposées sans emballages ou dans des sacs naturellement et réellement biodégradables, il est possible de les traiter biologiquement : « Dans cet objectif, des scientifiques ont déterminé qu’un mélange constitué à 50-50 de déjections canines et de déchets végétaux permettait de produire du biogaz à raison de 21,8 L/kg. […] »

Certains appellent à la vigilance quant au recyclage des besoins canins, car riches en azote et bactéries, mais d’autres rappellent que ces derniers sont tout à fait transformables dans les bonnes conditions. Alors en privilégiant des solutions de compostage intelligent, voire collectif, comme ce fut par exemple le cas à Lodève en 2021, nous pouvons construire un avenir un peu plus durable et respectueux de l’environnement. 

– Ano


Sources:

https://www.worldwildlife.org/initiatives/plastics

https://mrmondialisation.org/le-mythe-des-bioplastiqale-mythe-du-bioplastique-dernier-piege-du-capitalisme-vert-ues-et-autres-fausses-solutions/

https://mrmondialisation.org/9-alternatives-concretes-au-plastique-demontrant-quon-peut-sen-passer/

Image d’entête @Surprising_SnapShots/Pixabay

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