Menacés d’extinction, les éléphants de forêt africains sont pourtant des alliés de taille pour atténuer les effets du changement climatique. En effet, une étude publiée dans le magazine Nature Geoscience révèle que les habitudes alimentaires du pachyderme participent directement à la préservation des forêts tropicales d’Afrique Centrale et de l’Ouest, et augmentent leur capacité de stockage du dioxyde de carbone. Ainsi, chaque éléphant de forêt permet à ces écosystèmes de capturer pas moins de 9 500 tonnes métriques de CO2 par km2, soit l’équivalent des émissions annuelles produites par 2 047 voitures. Alors que les scientifiques travaillent sans relâche pour développer de nouvelles technologies capables de capturer nos émissions de carbone – plutôt que d’infléchir nos émissions à la source -, cette étude nous rappelle que la préservation de la biodiversité et la restauration de leurs écosystèmes jouent un rôle fondamental dans la lutte contre le changement climatique.

Depuis le 25 mars 2021, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) reconnait officiellement deux espèces distinctes d’éléphant d’Afrique : l’éléphant de savane et l’éléphant de forêt. Sans surprise, le braconnage et la perte de leur habitat naturel menacent les deux espèces d’extinction.

En effet, la population globale d’éléphant de forêt d’Afrique a déjà subi une perte de 80% de ses individus depuis le début de leurs recensements par l’organisation environnementale. Plus alarmant, l’exploitation de leur habitat étant susceptible de s’intensifier au cours des prochaines années, cette perte de la biodiversité est aujourd’hui considérée comme étant irréversible.

Or, bien que peu connu contrairement à leur célèbre cousin de la savane, les éléphants de forêts jouent un rôle essentiel dans la lutte contre le réchauffement climatique en favorisant la capture de quantité considérable de carbone de notre atmosphère.

Les jardiniers de la forêt

Cette seconde espèce d’éléphant africain vit dans les forêts tropicales humides du bassin du Congo et de l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. Surnommés « jardiniers du Congo », ces éléphants consomment des quantités considérables de végétaux tels que des feuilles, des graines, des fruits et des écorces d’arbres. Dotés d’un important appétit, les éléphants piétinent les petits arbres et buissons environnants lors de leurs quêtes de nourriture dans la jungle, favorisant ainsi le développement des arbres restants.

Afin d’enregistrer dans un modèle informatique les différences au niveau de la dynamique de la forêt et de son écosystème, sa biomasse, la hauteur des arbres et les stocks de carbone, les chercheurs ont effectué des études de terrains dans deux sites du bassin du Congo, l’un où les éléphants étaient actifs et l’autre où ils avaient complètement disparus de la forêt.

Les résultats ont montré que l’éclaircissement de la végétation environnante et la réduction de la densité des tiges forestières due à la présence des éléphants favorisent le développement d’arbres plus grands, à la densité de bois plus élevée, leur garantissant plus d’espace et un meilleur accès à l’eau et la lumière. Or la capacité de stockage du carbone des arbres dépendant principalement de leur volume et de la densité du bois. En favorisant le développement des grands arbres, les éléphants de forêt africains participent ainsi à l’atténuation des effets du changement climatique en augmentant considérablement la quantité de carbone que les forêts peuvent stocker dans leur biomasse.

Éléphants de forêt d’Afrique – Source : Flickr

Fabio Berzaghi, auteur principal de l’étude, rappelle que ces éléphants garantissent également l’équilibre de ces écosystèmes forestiers riches en biodiversité :

« outre l’élimination de la concurrence entre les grands et petits arbres, les éléphants de forêt dispersent les graines et leurs excréments, qui agissent comme nutriment et favorisent une croissance plus rapide des arbres, qui permettent ainsi une régénération des forêts tropicales dont les autres animaux dépendent ».

Un « service écosystémique » d’une valeur considérable

Monétariser la nature, la biodiversité et les écosystèmes est aujourd’hui un sujet débattu d’un point de vue éthique puisque ce concept peut largement entrainer des dérives. En effet, cette monétisation conduit à l’idée que l’humain revêt une fois de plus la posture d’une divinité toute puissante pouvant décider quels animaux ou écosystèmes méritent d’être sauvegardés, en fonction de la valeur des services écosystémiques auxquels ils participent et qui nous profitent directement.

Toutefois, dans un monde dicté par la croissance économique et la recherche de profit, donner un prix à la nature et une valeur économique aux services écosystémiques nous rappellent l’importance fondamentale des solutions fondées sur la nature pour lutter contre le changement climatique, à l’heure où des milliards de dollars sont investis chaque année dans l’innovation technologique « verte ».

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Selon Ralph Chami, assistant directeur à l’institut pour le développement des capacités du Fonds monétaire international :

« une fois que nous appréhendons les éléphants de forêts d’Afrique en terme monétaire, nous pouvons commencer à élaborer un argumentaire sur la façon de protéger et d’accroître la population d’éléphants, et ainsi stopper leur décimation ».

Le stockage du carbone grâce à l’activité des éléphants de forêt est absolument considérable. Selon Chami, la valeur carbone d’un seul éléphant équivaut au moins à 1,75 million de dollars. Si la population retrouvait ses effectifs d’antan et leur ancienne zone de répartition, qui s’étendait autrefois sur 2,2 millions de km2, la séquestration du carbone pourrait atteindre plus de 6 000 tonnes métriques de dioxyde de carbone par km2, une tonne métrique équivalant à 1000 kg de carbone.

FMI – the secret work of elephants. Source : imf.org. © Grid Arendal

Ainsi, selon le rapport du FMI, si l’on multiplie cette augmentation du carbone capturé par ces 2,2 millions de km2 de forêt tropicale, dont les populations auraient retrouvées leur taille d’origine, par le prix moyen d’une tonne métrique de CO2 sur le marché carbone, soit un peu moins de 25 dollars en 2019, la valeur du service écosystémique apporté par les éléphants de forêt africains serait de plus de 150 milliards de dollars.

Une valeur saisissante qui pousse à reconsidérer le rôle essentiel des éléphants pour la stabilité de nos écosystèmes et l’importance du développement de solutions climatiques basées sur la nature, sachant qu’un éléphant tué illégalement pour son ivoire ne rapporte qu’environ 40 000 dollars.

Une espèce proche de l’extinction

Malgré leur importance vitale pour l’atténuation des effets du changement climatique, ainsi que de la sauvegarde des écosystèmes et de la biodiversité, le risque d’extinction des éléphants de forêt d’Afrique continue de s‘accélérer. Alors qu’on comptait plus d’1,2 millions d’individus dans les années 70, il en resterait aujourd’hui moins de 100 000  à l’état sauvage.

« Nous avons perdu un grand nombre d’éléphants de forêt au cours des deux dernières décennies », s’inquiète Thomas Breuer, coordinateur des éléphants de forêts africains au WWF.

« Ayant un mode de reproduction beaucoup plus lent que leurS cousinS de la savane, les populations mettent beaucoup plus de temps à se reconstituer. Par ailleurs, perturbé par le braconnage, beaucoup d’éléphanteaux n’ont pas de mère et ne peuvent donc pas apprendre les comportements nécessaires à leur développement et les schémas de déplacements individuels qu’ils héritent normalement de la matriarche ».

En effet, la survie de cette espèce est aujourd’hui plus que jamais menacée par le braconnage, la perte de leur habitat naturel, et l’augmentation des conflits territoriaux avec les populations locales qui en résulte directement. Par ailleurs, sur fond de crise écologique, la fragmentation de leur habitat, l’augmentation des températures et la raréfaction de l’eau douce, dont ils dépendent considérablement, influencent négativement leurs activités quotidiennes, leur reproduction et leur migration, augmentent les risques de maladies  et diminuent grandement leur capacité d’adaptabilité aux conséquences du changement climatique.

Éléphants de forêt d’Afrique – Source : Flickr

Selon l’étude menée par Berzaghi, l’extinction des éléphants de forêt entrainerait une perte de 7% des réserves de carbone des forêts tropicales d’Afrique centrale, soit 3 milliards de tonnes de dioxyde de carbone. Conséquence, ces émissions équivaudraient aux émissions générées par plus de 2 milliards de voitures au cours d’une année. « Cela envoie un message assez fort en faveur de la conservation des éléphants de forêt », ajoute-t-il.

De manière générale, il essentiel de prendre conscience que nous ne parviendrons pas à atténuer les effets du changement climatique atteindre la neutralité carbone sans investir massivement dans des solutions fondées sur la nature.

W.D.

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