L’hôpital Saint-Vincent de Paul dans le 14ème arrondissement de Paris a fermé ses portes en 2010. D’ici 2023 un écoquartier aura pris sa place. Mais dans l’intervalle, le site d’une vingtaine de bâtiments répartis sur un espace de 3,4 hectares a accueilli le projet des « Grands Voisins » entre 2015 et 2017 (une saison « une » qui sera ensuite reconduite pour une seconde de 2018 à 2020). Un projet soutenu par plusieurs associations qui portent l’idée d’habiter la ville autrement et que chaque habitant puisse en être un acteur. Le film « Les Grands Voisins », réalisé par Bastien Simon sorti ce 1er avril sur la plateforme e-cinéma géolocalisée La Vingt-Cinquième Heure, raconte cette expérience unique.

Après la fermeture de l’hôpital en 2010, le gestionnaire du site, l’AP-HP (l’assistance publique – Hôpitaux de Paris), a fait appel à l’association Aurore pour prendre en charge un afflux de sans-abris. En 2013, l’association avait crée 300 places d’hébergement d’urgence dans les bâtiments vides de l’ancien hôpital. L’année suivante Aurore et l’AP-HP signaient une convention pour occuper l’ensemble du site. La première pierre du futur projet des « Grands Voisins » vient d’être posée.

L’Association Aurore sera ensuite rejointe par deux autres, Yes We Camp et Plateau Urbain, respectivement une association de construction d’espaces partagés et une coopérative d’urbanisme temporaire. À elles trois elles se donnent pour objectif de « favoriser l’insertion par la mixité sociale et la création de communs ». Au final, le projet « Grands Voisins » permettra à 250 associations, startups, artisans et artistes d’occuper les lieux entre 2015 et 2017. Pendant deux années les expériences, l’hospitalité, la générosité, l’écoute furent des valeurs communes à toutes les personnes participant et vivant aux « Grands Voisins ».

Lors de cette occupation temporaire cohabiteront des centres d’hébergement d’urgence, des artistes, des artisans, des structures d’économie sociale et solidaire. Parmi les locataires du site, il y a aussi une coopérative d’habitants qui œuvre pour un projet d’habitat participatif au sein du futur écoquartier qui remplacera Les Grands Voisins. Mis à disposition des Voisins, 20 000 m² de bâtiments et 15 000 m² d’espaces extérieurs qui ont permis d’accueillir 600 personnes.

Des bâtiments que les nouveaux occupants restaureront en leur imprimant leur « patte ». Chacun participe à la vie de la collectivité qu’il s’agit d’organiser comme un éco-système à part entière. Les activités variées se côtoient : boulangerie, ateliers de création, agriculture urbaine… et permettent aux résidents de s’initier à un domaine qui leur mettra le pied à l’étrier pour remonter en selle, voire créer à leur tour leur propre activité.

Pour aller plus loin que le rôle de simples centres d’hébergement d’urgence, les Grands Voisins accompagnent leurs résidents en grande précarité pour qu’ils se re-sociabilisent, regagnent l’estime d’eux-mêmes qu’ils ont parfois perdue et qu’ils se sentent utiles dans cette forme de société inédite basée sur la compréhension, l’entraide et le partage où chacun peut trouver sa place et créer un nouveau lien aux autres, à la société. Une mission d’autant plus ardue que des résidents sont en proie à des addictions, des traumatismes et envers lesquels les bénévoles doivent faire preuve de patience et de compréhension. Le site est ouvert au public qui peut assister aux évènements organisés par les habitants (ateliers, concerts). Chaque mois, un grand conseil se tient où tous peuvent apporter leur voix et discuter des projets en cours de développement, même si, on le découvrira, mobiliser les habitants s’avère plus ardu que prévu.

Des gens venus de différents pays, de tous âges, plus ou moins marqués et abîmés par la vie se rencontrent, se mélangent, échangent leurs expériences et s’enrichissent mutuellement, les barrières et les stéréotypes disparaissant dans ce melting-pot culturel. Une des forces des « Grands Voisins » réside dans sa capacité à faire prendre conscience à toutes les personnes en difficultés qu’elles peuvent elles aussi apporter quelque chose aux autres, à les faire sortir de l’image simpliste « d’assistés » à laquelle la société traditionnelle tend encore trop souvent à les renvoyer.

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Au contraire, au contact des bénévoles sur place, ils trouveront l’écoute, le respect, l’opportunité de s’épanouir et de devenir à leur tour des acteurs : à l’instar des artistes et résidents venus bénévolement, on verra aussi des résidents donner des cours ou tenir des ateliers à leur tour, nombre d’entre eux étant riches d’un talent particulier. Les « Grands Voisins » sont un terreau fertile que la volonté de ses habitants fera croire et prospérer.

Le documentaire réalisé par Bastien Simon nous immerge dans le quotidien de cette communauté singulière par tant d’aspects. Pas de voix off, pour mieux laisser le spectateur s’intégrer dans la communauté. Ainsi, via sa caméra nous suivrons plusieurs « voisins » dans leur quotidien des « Grands Voisins ». Une caméra qui saura se rendre discrète, respecter l’intimité de ceux qu’elle filme en évitant le piège du voyeurisme, pour nous laisser appréhender les différentes personnalités qui ont su gagner la confiance du réalisateur et nous plonger dans leur quotidien.

Parmi elles, nous rencontrerons Kamel, un médiateur et responsable du PC sécurité qui a toujours un sourire aux lèvres. Maël, un artiste peintre sans-papier séparé de sa famille et qu’il espère faire venir en France quand sa situation sera régularisée. Adrien, un jeune luthier passionné de guitare, qui se liera avec des gens en difficulté, une réalité qu’il ne connaissait pas, sa guitare se muant en lien social. Nous les suivrons pendant deux années, assisterons à leur évolution et aux réflexions qu’ils retirent de cette expérience unique. On notera particulièrement que parmi les liants réunissant tous les Voisins, la musique occupe une place de choix, sa portée universelle à rassembler ne se démentant pas.

Des témoignages et des moments de communauté filmés qui sont d’autant plus importants que l’on sait le site voué à disparaître. De l’expérience des Grands Voisins ne subsistera – outre les souvenirs personnels des participants – que de précieux moments capturés par l’œil de la caméra. Mais avant tout, on se prend à espérer qu’en perdureront l’esprit de solidarité, de respect mutuel dont s’inspireront les sociétés de demain. Il ne tient qu’à nous de nous en rappeler.

Pour continuer à suivre l’actualité des « Grands Voisins » rendez-vous sur leur page facebook et leur site internet.

S. Barret


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