De récentes précipitations ont inondé la région de Rakhine à Myanmar, attirant les regards internationaux sur la Birmanie. Mais les médias ne se sont que très peu intéressés à ce qui fait la particularité de cet état : des camps de misère où sont enfermés des milliers et des milliers de personnes. Ces individus peu connus font partie de la minorité Rohingya, considérée comme « la minorité la plus persécutée du monde » par les Nations Unies. Dossier. (Photo : CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP/Getty Images)
Traités comme des parias dans leur propre pays
Qui sont donc les Rohingya dont le nom est mal connu en occident ? Pour l’état birman, ils ne sont personne. Du moins, ils n’existent pas légalement parlant. Les Rohingya, minorité musulmane partisane d’un islam modéré, n’ont pas accès à la citoyenneté civile et ne sont donc pas reconnus comme une minorité à part entière dans un pays qui en compte plus de 150 différentes. Plus d’un million de Rohingya sont donc apatrides, au regard de la loi birmane.
Humains naufragés d’un monde décidément étrange, la plupart sont parqués dans des ghettos comme celui d’Aung Ming Lar dans l’état de Rakhine. Sans accès à la citoyenneté, les Rohingya rencontrent d’immenses difficultés à vivre à Myanmar. Se marier, avoir des enfants (soumis à un contrôle des naissances), et même se déplacer est un véritable parcours du combattant pour les membres de la communauté. Ils ont, pratique, l’interdiction de vivre dans la société birmane.
La ségrégation est telle que les « vrais citoyens » sont invité à ne pas côtoyer « ces autres » sans patrie. L’équipe du Guardian a rencontré un homme vivant près du camp d’Aung Ming Lar. Il leur a expliqué qu’un de ses amis rohingyas de longue date vivait ici, mais qu’il n’allait plus lui rendre visite, par peur de ce que les gens pourraient dire. Les rohingya sont perçus comme des parias, infréquentables, mis à l’écart de la population. De là à parler de ségrégation, il n’y a qu’un pas que franchira qui veut…
Coupé de la société, et donc de l’accès aux richesses, ces camps sont souvent le point de départ de voyages périlleux. Les Rohingya font partie de ces « boat people » à la recherche désespérée d’une terre plus accueillante. Ils prennent la mer et jouent avec la mort pour fuir les persécutions et la violence. À Myanmar, la peur d’un nouvel épisode comme celui de 2012 est constante. Cette année-là, des extrémistes bouddhistes (aucune religion n’étant épargnée par l’extrémisme) de Rakhine ont saccagé les maisons des Rohingya et tué tous ceux qu’ils rencontraient avec une violence inouïe. On compta alors plus de 200 morts et 140 000 déplacés.
S. Yulinnas / AP
Ces déplacés en quête d’une terre des Droits de l’Homme engendrent un trafic d’êtres-humains. Chris Lewa, directeur du Arakan Project, suit les mouvements des Rohingya qui fuient les persécutions et intègrent malheureusement ce commerce très lucratif du trafic humain en espérant rejoindre l’Indonésie, la Malaisie ou la Thaïlande. Selon lui, plus de 10% de la minorité Rohingya aurait fui, soit 100 000 personnes. Pourtant ce nombre pourrait être loin de la réalité selon les observateurs.
Alors qu’un déplacement des camps de réfugiés a été organisé sur l’île d’Hatyia au sud du pays, on s’aperçoit que cette île est souvent sous les eaux et régulièrement frappée par des cyclones meurtriers. Les autorités ne semblent pourtant pas s’en soucier, les rohingya n’ayant qu’une valeur relative. Les camps de réfugiés situés à Cox’s Bazar, zone frontaliere du Bangladesh, gênent le tourisme et les hôtels à proximité, encourageant les autorités à déplacer les populations.
Sur les traces de la citoyenneté
Pourtant, dans un passé relativement récent, les choses étaient différentes. Le grand-père du leader de « Burmese Rohingya organisation », Tun Khin, était même parlementaire. Ce n’est qu’à partir de 1962, lorsque les militaires prirent le pouvoir par la force, que la situation sociale des Rohingya s’est rapidement dégradée. Vingt ans plus tard était votée une loi sur la citoyenneté qui rejetait toute reconnaissance ethnique des Rohingya accusés alors d’avoir « inventé leur identité pour accéder à la citoyenneté ». Les rohingya sont aujourd’hui considérés par le gouvernement comme des immigrés clandestins bangladais.
David Camroux, chercheur à Sciences Politiques (CERI), a analysé ces violences comme une conséquence indirecte et paradoxale de la poussée démocratique. L’armée ne contrôlant plus le pays, des violences ethniques ont pu croître librement dans une région historiquement liée à des troubles religieux et ethniques. Cette région reste en effet traumatisée par la colonisation britannique, et ensuite sa décolonisation.
Après une prise d’indépendance douloureuse, il s’agissait pour le gouvernement birman d’engager une reconstruction identitaire et économique du pays à la suite de plusieurs décennies de colonisation britannique et d’une crise des exportations de riz. Le nationalisme connut alors son apogée. Or, les moines bouddhistes se considèrent comme les gardiens de l’identité birmane, le bouddhisme étant la religion officielle depuis 1961. De fait, les rohingya musulmans, ne correspondant pas à l’identité nationale, ont été pris pour cible. La communauté bouddhiste a, qui plus est, été séparée à la frontière bangladaise. Des centaines de bouddhistes ont, de ce fait, été traités comme des parias de l’autre côté de cette frontière, nourrissant alors une colère et une haine contre les musulmans en Birmanie.
CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP/Getty Images
Assistons-nous à un génocide ?
Gwen Robinson, chef éditrice du Nikkei Asian Review témoigne, pour la BBC, du rejet total des Rohingya par les habitants, et parle même d’une profonde haine contre la communauté. En ceci, 2012 a, pour elle, été un tournant décisif entre une période de coexistence pacifique durant laquelle les rohingya ont pu participer à l’économie et la situation actuelle intolérable d’un point de vue humanitaire.
Quant à l’organisation de Chris Lewa, elle accuse non seulement les autorités d’user de la violence pour les faire partir et se rallie à l’expertise de l’ONG Human Rights Watch pour parler de « nettoyage ethnique ». De plus, bien que le président Thein Sein ait affiché une tolérance « zéro » en matière de haine religieuse, il semblerait, d’après un rapport de Human Rights Watch, que la réaction des autorités soit ambivalente, oscillant entre le laisser-faire et l’encouragement des exactions.
« Rien de plus qu’un génocide » Demond Tutu, Shirin Ebadi, José Ramos-Horta, lauréats du Prix Nobel de la paix
George Soros, qui a connu l’occupation nazie en Hongrie, remarque des parallèles inquiétants entre la détresse des Rohingya et le génocide. L’islamophobie et le racisme n’ont cessé de croître dans les états de Rakhine et d’Arakan, tout comme les tensions religieuses, après la dissolution de la Junte en 2011. Nul doute que l’humanité possède cette propension à faire les mêmes erreurs.
Mais ces tensions seraient particulièrement exacerbées par un homme, Ashin Wirathu, chef extrémiste de l’ethnie bouddhiste rakhine, aussi appelé « L’Hitler de la Birmanie » par le Time Magazine ou encore le « Ben Laden bouddhiste » auto-proclamé. Il est non seulement le leader moral du mouvement 969 (combinaison numérologique des principes bouddhistes) mais aussi le meneur d’une persécution poussée contre les rohingya. Ces dernières années, ce leadeur connaît une radicalisation croissante, devenant parallèlement de plus en plus xénophobe et admiré par la population locale. Pour Ashin Wirathu, les rohingya sont une menace pour la préservation de l’identité birmane, pour la pureté raciale et la morale bouddhiste, ils sont « à l’origine des troubles qui déchirent le pays ». Une rhétorique bien connue dans les mouvances nationalistes partout à travers le monde.
Asin Wirathu divise ainsi le pays et exacerbe les conflits alors que la Birmanie connaît une ouverture économique et démocratique intéressante depuis la dissolution de la Junte en 2011. Ces violences « opportunes » laissent penser aux journalistes de l’Express envoyés sur place qu’elles sont le fruit d’une déstabilisation sous-marine et que le « Ben Laden » de Birmanie n’est en fait qu’un pantin au service d’intérêts politico-économiques supérieurs. Selon cette analyse, ces violences n’existeraient donc que pour déstabiliser un pays qui tente une transition démocratique après cinquante ans de commandement militaire. Si affirmer qu’un génocide est orchestré aujourd’hui au Myanmar reste délicat, la situation actuelle est plus qu’alarmante sur le plan humanitaire…
Christophe ARCHAMBAULTCHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP/Getty Images
Vers une crise internationale ?
La situation extrême des Rohingya les pousse à fuir leur pays. Considérés comme des clandestins illégaux à Myanmar, ils le deviennent alors aux portes de la Malaisie et de la Thaïlande. Les Nations Unies parlent d’ « une crise humanitaire massive ». « Dans les camps de déplacés, j’ai été témoin d’un niveau de souffrance humaine que je n’avais jamais vu auparavant… des conditions de vie alarmantes… un accès totalement insuffisant à des services de base dont la santé, l’éducation, l’eau et l’hygiène. » explique Kyung-wha Kang, Secrétaire-Général Adjoint aux Affaires Humanitaires, après une visite des camps de déplacés internes dans l’État d’Arakan.
Dans une tentative de réguler la situation, le durcissement des lois thaïlandaises et le démantèlement par les autorités des réseaux mafieux ont effrayé les passeurs abandonnant leurs « cargaisons » (ces humains considérés comme des « marchandises ») en mer, soit plus de 2000 personnes selon Vivian Tan porte-parole de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés. Mais les trois pays de la région se renvoient les migrants affamés, se rejetant la responsabilité. Une situation qui nous vaut des images terribles de ces autres migrants dérivant sur des bateaux de fortune entre la vie et la mort.
Le gouvernement de Myanmar nie le fait que les persécutions des Rohingya est une des causes de la crise des migrants d’Asie du Sud-Est. Pourtant cette crise régionale se fait de plus en plus critique et une aide internationale est demandée par beaucoup. Cette aide tarde cependant à venir, d’autres crises internationales étant sur le feu. Bien que le président des États-Unis soit intervenu deux fois depuis 2013 et que le président François Hollande ait rencontré Thein Sein, le président du Myanmar, le 17 juillet dernier, les pressions sur le gouvernement birman restent insuffisantes…
« Nous nous battons pour les droits de l’Homme et la démocratie en Birmanie. Le jour où la démocratie viendra, notre situation s’améliorera » Tun Khin
Sources : herodote.net / bbc.com / theguardian.com / theguardian.com (2) / lemonde.fr (2) (3) / huffingtonpost.fr / lexpress.fr