Loi Hulot sur les hydrocarbures, taxe à 75% des hauts revenus, publication du reporting pays par pays : autant de projets législatifs ambitieux vidés de leur substance ou censurés par le Conseil Constitutionnel ou le Conseil d’État. Alors que les plus hautes instances judiciaires de France ne sont pas épargnées par les logiques d’influence et sont approchées par des groupes d’intérêt qui essayent de peser sur leurs décisions, Les Amis de la Terre et l’Observatoire des multinationales appellent à plus de transparence en ce qui concerne ces pratiques dans leur rapport rendu public ce 24 juin : « Les sages sous influence ? ».
Face à l’urgence climatique, les militants écologistes regardent avec espoir du côté du législateur. Or, si les représentants actuels sont déjà peu enclins à considérer les questions environnementales comme prioritaires, Les Amis de la Terre et l’Observatoire des Multinationales s’alertent de la main lourde du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État lorsque ces instances se prononcent à propos de lois et de textes relatifs à la lutte contre le changement climatique, à l’évasion fiscale ou encore à l’accaparement des terres. Des décisions qui ne semblent pas exemptes de certaines influences.
Devant les sages, l’intérêt général fait profil bas face à la liberté d’entreprendre
Les deux ONG observent que les sages n’accordent que peu de valeur à la protection de l’intérêt général, lorsque ce dernier doit être concilié avec d’autres principes à valeur constitutionnelle, notamment le droit de propriété et la liberté d’entreprendre. « Le Conseil constitutionnel a posteriori ou le Conseil d’État a priori ont bloqué ou atténué des réformes relevant indéniablement de l’intérêt général – la justice fiscale, la sauvegarde du climat, la responsabilisation des multinationales – au nom d’une conception particulièrement généreuse des « droits et libertés » des entreprises », regrettent Les Amis de la Terre et LlObservatoire des Multinationales, qui prennent le cas de la loi Hulot sur les hydrocarbures en exemple dans leur rapport. Alors que le texte initial prévoyait de mettre fin à la production de pétrole et de gaz en France d’ici 2040, d’importantes dérogations ont été introduites suite à un avis consultatif du Conseil d’État, si bien que des permis d’exploitation pourraient courir bien au-delà de cette date.
Mais la loi sur les hydrocarbure n’est qu’un exemple parmi d’autres. En 2016, c’est la publicité du reporting pays par pays, mesure attendue pour lutter contre l’évasion fiscale qui a été écartée par les sages, une fois de plus parce que cette disposition porterait une atteinte trop importante à la liberté d’entreprendre. En matière fiscale, c’est la taxe à 75% sur la dernière tranche des très hauts revenus qui s’est vue retoquée en 2012. Au total, plus d’une douzaine de mesures de justice ou de transparence fiscales auraient été censurées ces dernières années afin de défendre la liberté d’entreprendre et le droit de propriété, d’après les deux ONG.
Lobbying auprès des juges : un manque de transparence inquiétant
Selon le rapport rendu public ce lundi matin, les positions adoptées par les deux instances posent des problèmes de transparence, alors que les sages sont régulièrement approchés par divers acteurs privés. Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État « sont devenus ces dernières années des lieux de plus en plus importants de lobbying pour les milieux économiques, qui s’en sont saisi avec succès pour faire annuler ou amoindrir des réformes qui leur déplaisaient », s’inquiètent par conséquent les auteurs du rapport. En ce qui concerne la loi Hulot, les deux ONG affirment que l’Union française des industries pétrolières (UFIP) et le MEDEF se sont manifestés auprès du Conseil d’État afin de lui demander de protéger les droits d’exploration d’hydrocarbure déjà accordés. Pourtant, cette information n’est pas rendue publique et les associations n’ont pas ce pouvoir économique de défendre les intérêts de l’environnement auprès de ces institutions.
Pour cause, le lobbying auprès des sages ne fait pas l’objet d’un encadrement strict. Depuis 2017, le Conseil constitutionnel publie le nom des personnes qui ont apporté une contribution extérieure en amont d’une de ses décisions, sans pour autant en relever le contenu. En ce qui concerne le Conseil d’État, aucune mesure de publicité n’est prévue ce jour. « Il est impossible de mesurer l’influence réelle qu’ont ces contributions sur les avis rendus par le Conseil d’État, ni même si elles en ont. Force est pourtant de constater que le système demeure opaque et privilégie de fait certains acteurs » notent Les Amis de la Terre et l’Observatoire des multinationales. Les deux ONG espèrent relancer le débat avec leur dernier rapport et invitent les sages à adopter « un règlement indispensable pour mieux encadrer la procédure de contrôle de constitutionnalité et le rôle des contributions extérieures dans les décisions ». L’esprit même de notre démocratie, déjà fortement mis à mal ces dernières années, en dépend.
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