Il est certain, comme tout le monde, on aimerait pouvoir nous abreuver de nouvelles sympas et optimistes. Mais l’actualité ressemble moins à une publicité d’un quelconque fast-food qu’à une bande-annonce de film de science-fiction. Plus qu’une nouvelle alerte à propos des risques d’effondrement d’ici 2050, le nouveau rapport du think thank Breakthrough pointe les risques à court terme de déstabilisation globale des États et la résurgence des conflits en raison de la crise écologique.
Le confort et la sécurité dans lesquels les sociétés les plus techniques continuent de se développer ne sont que des vernis de façade qui obnubilent, un temps, leur immense fragilité en raison notamment de leur grande dépendance énergétique. La concomitance du changement climatique, du déclin de la biodiversité et celui des ressources forment désormais une « menace existentielle » à l’horizon 2050 faisant planer la perspective d’un effondrement mondial et « la fin de la civilisation humaine » telle que nous la connaissons, expliquent David Spratt et Ian Dunlopp dans un document publié cette semaine par le think tank australien basé à Melbourne, Breakthrough.
L’humanité face à l’inconnu
Le premier des deux auteurs est directeur de recherche dans cet organisme, alors que le second a été précédemment manager dans le secteur du gaz, du pétrole et du charbon. Dans la continuité des publications passées du même think tank (dont nous vous faisions écho ici), ils soulignent que les publications scientifiques actuelles ont tendance à sous-estimer les risques systémiques engendrés par le développement des sociétés industrielles et à sous-considérer les scénarios d’emballement climatique. Sans mâcher leurs mots, les auteurs perçoivent les publications actuelles, dont celles du GIEC, comme bien trop optimistes pour refléter les risques réels à terme.
Ainsi, si l’on se fie à la trajectoire des émissions de gaz à effet de serre actuelle, les températures globales pourraient connaître d’ici la fin du siècle une hausse de l’ordre de 3°C comparée à l’ère préindustrielle. Mais cette projection omet d’autres scénarios, plus « pessimistes » encore. En effet, une hausse des températures de 1,5°C à 2°C pourrait déjà entraîner des boucles de rétroactions positives et incontrôlables (fonte accélérée des pôles et réduction de l’effet d’albédo, augmentation des rejets naturels de CO2) générant ce qu’on nomme l’emballement climatique. Par ailleurs, à + 1,5°C, il faut déjà envisager l’effondrement de certains systèmes naturels comme les barrières de corail ou les forêts tropicales, entraînant l’humanité vers l’imprévisible.
Dans un tel scénario, les conséquences pour les populations humaines seront désastreuses : une chute de la production alimentaire est à considérer, ainsi qu’une multiplication des vagues des chaleurs, des pluies torrentielles et autres phénomènes climatiques extrêmes. Et les auteurs de mettre les pieds dans le plat : il faut désormais envisager en raison du changement climatique le déplacement « d’un milliard de personnes », une projection qui s’aligne sur les pires estimations de l’Organisation internationale pour les migrations, structure liée à l’ONU. Le rapport y voit un challenge sans précédent pour « la sécurité nationale » des États et nécessairement des perturbations politiques profondes. « Dans ce contexte, les défis posés à la sécurité globale sont écrasants et la panique politique devient la norme », mettent-ils en garde. Effectivement, il suffit d’observer les remous politiques actuels pour pouvoir anticiper les effets institutionnels de déplacements de population dix à cent fois plus importants. Un terreau idéal pour les mouvements réactionnaires et violents. On ne s’étonnera pas que le travail de David Spratt et Ian Dunlopp soit préfacé par Chris Barrie, chef de la défense australienne et commandant en chef de la marine royale à la retraite.
Pour faire face, David Spratt et Ian Dunlopp encouragent à une évolution urgence de nos sociétés pour mettre en place un système industriel « zéro émission ». Mais cette proposition semble être une porte de sortie très illusoire au regard des connaissances actuelles : nous sommes à ce jour incapables des déployer des technologies efficaces de séquestration de carbone à grande échelle et une transition énergétique implique de réduire la consommation d’énergie à l’échelle mondiale, alors même que le contraire se produit actuellement (augmentation continue sous l’impulsion de la Croissance). Industriels, politiques, et les individus qui peuplent cette planète, chacun semble avoir la bonne raison de ne pas agir à son propre niveau. La position des deux auteurs risque ainsi paradoxalement de favoriser un développement technique toujours plus énergivore en l’attente d’une solution miracle, tout en mettant de côté la question de savoir comment organiser politiquement une décroissance des consommations à l’échelle collective.
Le danger de s’arrêter à une date précise
Les auteurs du rapport retiennent la date de « 2050 » comme horizon possible d’un effondrement de la civilisation thermo-industrielle. Mais il ne s’agit que d’un indicateur vague sur lequel il ne faut pas se focaliser trop longtemps. En effet, un effondrement sociétal n’est pas un événement ponctuel qu’il est possible de dater de manière définitive dans le temps. Il s’agit d’un processus plus ou moins long et progressif, fait de petits chocs, au cours duquel un groupe d’individus n’arrive plus à entretenir les infrastructures dont il dépend en raison de la complexité de ces dernières (facteur endogène) et des limites matérielles (facteur exogène), conduisant inexorablement à des difficultés croissantes pour répondre aux besoins élémentaires des individus.
Concrètement, la situation dans le monde est d’ores et déjà très contrastée. Dans les sociétés industrielles, la course au productivisme et à la compétitivité se fait désormais au prix d’une régression des droits individuels ; ailleurs, dans certaines parties d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique du Sud, des populations entières vivent sous la contrainte énergétique, la déplétion des ressources et la faim. Une chose est certaine : les alertes vont encore se multiplier si nous ne changeons pas de cap. Changement de cap qui est lui-même un processus long qui ne peut se faire dans la négation des causes systémiques de la crise.
La publication, qui s’apparente plus à une mise en perspective des données connues les plus récentes qu’à une étude à proprement parler, s’inscrit dans la continuité des rapports et déclarations faisant état des inquiétudes grandissantes de la part des chercheurs, politiques et activistes du monde entier quant aux limites de notre mode de développement. Nicolas Hulot y faisait allusion pendant sa démission fracassante l’année passée et l’ONU évoquait également une menace existentielle inévitable sans réaction collective d’ici le début de la prochaine décennie.
Le rapport en entier est à retrouver ici.
Image de tête : Caroline Davis2010 / Flickr