Récemment devenus les symboles de la décadence ultime face à l’urgence climatique, les jets privés sont pourtant loin d’arrêter de s’envoler. Pire : malgré la crise écologique et sociale en cours, ses ventes ne cessent de grimper en flèche. Le point sur un nouveau rapport édifiant. 

Publié plutôt ce mois-ci, le dernier rapport des High Flyers intitulé « how ultra-rich private jet travel costs the rest of us and burns up our planet » (trad. « Ce que les voyages des ultra-riches en jet privé nous coûtent et font subir à la planète ») pointe l’envolée massive des ventes de jets privés ces vingt dernières années, atteignant un record en 2022.

Loin des considérations environnementales, ce micro-phénomène (concernant seulement 0,0008% de la population mondiale) émet pourtant de massives concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. A titre d’exemple, les vols d’Elon Musk – 171 en un an – émettent à eux seuls 2 112 tonnes de CO2, soit 211 fois plus que l’empreinte carbone moyenne d’un Français.

Si les voyages en jet ont récemment mobilisé l’opinion publique – on se rappellera notamment de l’envolée de Kylie Jenner de 12 minutes seulement relayée par Twitter – leur impopularité n’est semble-t-il pas parvenue pour autant à ralentir la machine de l’aviation privée.

Un secteur en hausse…

Au contraire, la taille de la flotte mondiale a augmenté de 133 % au cours des deux dernières décennies, passant de 9 895 jets privés en 2000 à 23 133 à la mi-2022. Le rapport commandé par le think tank américain Institute for Policy Studies et l’Organisation Patriotic Millionnaires, décompte ainsi pas moins de 5,3 millions de vols privés en 2022.

La taille de la flotte mondiale de jets privés est passée de 9 895 jets privés en 2000 à 23 133 à la mi-2022.

Un nombre bien plus élevé que le précédent record datant de 2007 (4,8 millions de trajets) juste avant que la crise financière mondiale de 2008 vienne refroidir – pour un temps seulement – les envies d’altitude des plus riches de la population mondiale.

Riches ou plutôt…ultra-riches : le patrimoine médian d’un propriétaire de jet privé complet ou partiel s’étend approximativement entre 140 et 190 millions de dollars, ne concernant ainsi qu’environ 0,0008 % de la population mondiale.

« L’oligarchie jetonique est majoritairement masculine, âgée de plus de 50 ans, et concentrée dans secteurs de la banque, de la finance et de l’immobilier », précisent par ailleurs les auteurs du rapport.

Ultra-privilégiés et ultra-pollueurs

Au delà de cette position plus que privilégiée qui pose la question de la concentration des richesses et des inégalités d’avoirs au sein de la population mondiale, l’utilisation de jets privés constitue sans surprise un véritable enjeu climatique : « les jets privés émettent au moins 10 fois plus de polluants que les avions commerciaux par passager », assure Chuck Collins, directeur du programme sur les inégalités et le bien commun à l’Institute for Policy Studies et co-auteur du rapport. Au total, « on estime qu’environ 1 % des personnes sont responsables d’environ la moitié des toutes les émissions de carbone de l’aviation ».

A titre d’exemple, les auteurs du rapport ont souligné les voyages incessants d’Elon Musk, propriétaire sulfureux de Twitter, Space X et Tesla. En un an (2022), le milliardaire a effectué plus de 170 vols, décollant ainsi presque un jour sur deux, émettant plus de 2 100 tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Un chiffre effarant quand le GIEC (Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) recommande une émission totale de 2 tonnes d’eq CO2 par an et par personne pour soutenir la viabilité climatique de la planète.

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En fin de comptes, ni les crises économiques, ni les crises sanitaires ne semblent freiner ces férus de l’aviation de luxe. Depuis le début de la pandémie, on enregistre une augmentation de l’utilisation des jets privés d’environ 20 % et « les émissions des jets privés ont augmenté de plus de 23%, selon une étude récente », affirme le rapport.

Pourquoi parler de train quand on a un jet ?

L’Amérique du Nord (Etats-Unis, Canada, Mexique) semble à ce titre décrocher la palme d’or en matière d’aviation privée, collectant à elle seule plus de 70% de l’ensemble des vols en jet privé de la planète.

L’Europe n’est pourtant pas en reste non plus. En 2022, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni sont les pays comptant le plus de vols en jet privé en Europe. Les trajets comme Paris-Londres (n°1) et Paris-Genève (n°3) font partie des itinéraires les plus sollicités par les jets…« malgré l’existence de liaisons ferroviaires de moins de 3h30, et de plusieurs allers-retours par jour », souligne Greenpeace qui s’est récemment prononcé pour l’interdiction pure et simple de ces appareils.

Une étape politique qu’il semble très difficile de franchir, autant en Europe qu’aux Etats-Unis, où le poids des lobby du secteur pèse lourd sur les décideurs : « La National Business Aviation Association, a dépensé en moyenne 2,4 millions de dollars chaque année depuis 2008 pour faire du lobbying auprès du gouvernement fédéral », soulignent ainsi les auteurs du rapport, principalement pour conserver les cadeaux fiscaux accordés aux propriétaires de jet.

Ce que les jets privés nous coûtent

Et pourtant, ces derniers sont loin de participer au financement de la Federal Aviation Administration (FAA) : alors qu’ils représentent environ un vol sur six assuré par cette dernière, ils ne contribuent qu’à hauteur de 2% du total des taxes du secteur.

Pour l’Institute for Policy Studies et les Patriotic Millionnaires, cela représente une véritable injustice pour les autres utilisateurs : « la majorité (environ 70 %) des recettes fiscales qui composent le fonds fiduciaire de l’aviation sont financées par les achats des passagers commerciaux. Les taxes sur les passagers augmentent à mesure que les prix des vols augmentent, alors que pendant ce temps, les pilotes de jets privés ne paient que des taxes supplémentaires sur le carburant – à peu près 0,22 $ par gallon de carburéacteur ».

Résoudre le problème à coups de taxes

Pour en finir avec cette aberration écologique et sociale, les auteurs du rapport plaident pour diverses mesures politiques, citant notamment : la mise en place d’une taxe de 5 à 10% à l’achat d’un jet privé, une augmentation de la taxe carburant ou encore une taxe supplémentaire destinée à dissuader les très courts trajets.

En appliquant ces propositions, l’obligation fiscale d’Elon Musk se serait élevée à 3,9 millions de dollars après l’achat de son dernier jet de près de 80 millions. Ces mesures seront-elles suffisantes pour décourager les personnalités les plus inconscientes et riches de la planète d’assouvir tous leurs caprices à notre détriment ? Rien n’est moins sûr…

– L.A.


Photo d’entête : Ban Private Jets – Stay Grounded Campaign Image @Stay Grounded/Flickr

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