La France possède le quatrième parc forestier le plus grand d’Europe. Autant dire que sa gestion demande une certaine cohésion car cette forêt s’étend sur près de 17 millions d’hectares soit 30 % de la surface du territoire. Plus que jamais, la forêt doit faire face au réchauffement climatique qui entraine feux, sécheresses et extinction massive de la biodiversité. Différent·es acteur·ices comme l’ONF (l’Office National des Forêts) et l’association Forêt méditerranéenne œuvrent pour protéger les forêts et éveiller les consciences sur l’importance de ce poumon végétal à l’échelle de l’hexagone.

En France, la gestion forestière est partagée par des établissements publics comme l’Office National des Forêts, l’Office Français de la Biodiversité ou encore des associations telle que l’association Forêt méditerranéenne. La gestion forestière est une activité multifonctionnelle de production de bois, d’accueil du public, de contrôle de l’espace forestier et de sylviculture. Cette gestion dit s’inscrire dans une démarche qui favorise la durabilité de la forêt et son renouvellement.

L’Office National des Forêts quadrille le paysage forestier au niveau national dans plusieurs zones forestières : des zones en montagnes avec éboulis en passant par des zones humides, où sont créées des réserves biologiques, et des zones urbaines. Souvent habitées, ce sont dans les zones montagneuses qu’on retrouve les forêts les plus intactes, des endroits difficiles d’accès. Les réserves et parcs naturels font aussi partie intégrante de la forêt. C’est le cas par exemple de la réserve de Biosphère de Fontainebleau et du Gâtinais ou du parc National de la Vanoise, des espaces forestiers où il a été a décidé de ne plus exploiter afin de protéger des espèces en voie de disparition comme le Tétras dans le Jura et en Savoie.

Réserve biologique de l’ONF. Source : https://www.onf.fr/onf/+/74a::communication-et-securisation-dans-la-reserve-biologique-de-verrieres-grace-aux-partenariats.html

L’écosystème forestier, une interface foisonnante au service de la faune et de la flore

D’après l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 80 % de la biodiversité se trouverait en forêt. Damien Bertrand, responsable national biodiversité accompagne les forestier·es, des expert·es en faune et flore, à rendre compte de toute la richesse de la biodiversité nationale. Originaire d’une région forestière de l’Est de la France, un couvert forestier assez important à la fois public et privé avec une filière du bois dynamique, Damien a toujours voué une passion pour la forêt : « Dans cette région le hêtre est très représenté. On y trouve des espèces d’arbres variées en terme d’essence, des feuillus et des résineux » informe-t-il.

D’après lui, tout est une affaire « d’interface agro-forestière et vertueuse » : « Avoir des espaces naturels comme les forêts permet de stabiliser les écosystèmes agricoles. Des oiseaux, comme les mésanges, peuvent manger des centaines d’insectes. La forêt peut loger des abeilles sauvages qui construisent leur habitations dans des rameaux et cavités. Elles vont polliniser ensuite les champs voisins et ainsi optimiser les rendements agricoles. Selon le type d’arbres concerné, que ce soit des arbres forestiers ou des bandes forestières, la forêt est bénéfique pour l’agriculture environnante. Il faut savoir qu’une bonne partie de nos cours d’eaux se trouvent en forêt. Notre eau potable en est majoritairement issue. » affirme Damien.

Un contrôle légal est exercé sur cette richesse forestière pour la pérenniser selon le système d’exploitation actuel. La production de bois et son commerce respecte un cahier des charges précis afin de ne pas entraver excessivement la repousse naturelle des forêts. Des systèmes de certification forestières (PEFC et FSC) sont aussi utilisés pour mieux contrôler ce vaste espace. A l’ONF, des recherches scientifiques régulières sont menées au sein d’un réseau spécifique autour de la recherche, du développement et de l’innovation. Ces recherches permettent de comprendre par exemple quelles essences sont les plus appropriées dans telle ou telle zone en cas de replantage. L’ONF teste actuellement de nouvelles plantations en amenant des espèces du Sud dans le Nord pour voir comment elles réagissent à leur nouveau milieu naturel.

Faire face à la destruction de l’environnement

Le changement climatique amène à s’adapter à de nouveaux enjeux comme le souligne Damien : « Nous allons devoir revoir nos connaissances et tester de nouvelles dynamiques. Il faut savoir que chaque zone a des enjeux différents. » C’est la forêt mosaïque qui permet au mieux de maintenir une diversité de paysages résistants. Damien assure aider à sa repousse en plantant des arbres uniquement dans le cas où la forêt ne peut plus se renouveler naturellement.

Malgré ces nouveaux enjeux, Damien reste optimiste: « Il est clair qu’au niveau mondial il y a une déforestation mais en France, on remarque un phénomène inverse. La forêt a presque doublé de superficie en deux cents ans. » Avec l’innovation des outils, le forestier gagne en efficacité : « Le forestier a un mobile de terrain dont un GPS avec un certain nombre d’applications à disposition. Grâce à cet appareil, il a accès rapidement au volume des bois et peut se connecter à une base de données naturaliste avec des informations sur la biodiversité. Les forestiers enregistrent en temps réel des données de terrain avec des partenaires de l’ONF comme la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Précurseur dans cette connectivité, l’ONF utilise désormais des drones pilotés par des pilotes formés spécifiquement pour surveiller les forêts. » assure t-il.

Cet usage des technologies reste encore moindre et n’a pas pour vocation de se placer dans une logique de contrôle (comme la dynamique générale de nos sociétés hyper connectées) ni d’entraver la connaissance sensible des forestier·es.

Forestiers connectés. Source : www.onf.fr

La forêt méditerranéenne, une forêt particulière

Charles Dereix est président de l’association Forêt Méditerranéenne. Depuis plus de 40 ans, son association s’attache à faire connaître, comprendre et protéger la forêt méditerranéenne. Son action porte sur l’ensemble de la zone méditerranéenne française, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, l’ancienne région Languedoc-Roussillon, la Corse ainsi que le sud des départements de l’Ardèche et de la Drôme.

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Cette forêt est marquée par une saison froide et pluvieuse en hiver et une saison sèche l’été avec de fortes chaleurs. Elle prend des formes très diverses s’étendant du littoral jusqu’aux basses et moyennes montagnes. Elle couvre une superficie de 4 millions d’hectares, soit environ le quart de la forêt française. « Cette forêt a une productivité deux à trois fois plus faible en matière de bois que l’ensemble de la forêt de notre pays. Elle est aussi moins gérée, et c’est un vrai problème car une forêt gérée, entretenue par son propriétaire, est mieux protégée contre l’incendie. Elle est par contre très appréciée par le public pour sa richesse biologique, la qualité de ses paysages et les belles balades qu’elle offre » souligne Charles.

La forêt a toujours été parcourue par les troupeaux de vaches, de chèvres ou de moutons. Aujourd’hui, il s’agit de moderniser ce sylvopastoralisme traditionnel et de constituer des espaces vivants et équilibrés en s’appuyant sur la qualité et la diversité de ses produits. Ainsi, dans la forêt du Larzac, propriétaires et éleveurs travaillent ensemble et combinent différentes valorisations comme la vente de viande, de fromages et de produits laitiers et la vente de bois pour la construction et pour le chauffage.

Le sylvopastoralisme.Source :

Une protection naturelle indispensable

Le bois est vu comme une ressource de l’économie circulaire. Lorsqu’il est récolté, l’arbre coupé est remplacé par plantation ou régénération naturelle. La forêt apporte une contribution importante à la lutte contre le changement climatique. Par la photosynthèse, l’arbre fixe le carbone atmosphérique. La forêt constitue ainsi un important réservoir de carbone. Ce carbone séquestré dans les arbres et les sols forestiers reste stocké dans « les produits bois » issus des arbres récoltés dans la forêt.

Un des objectifs est de produire plus de bois d’œuvre : « Non, le bois méditerranéen n’est pas forcément du mauvais bois ! Bonne nouvelle, le pin d’Alep est dorénavant reconnu apte pour la construction » s’insurge Charles. Sa richesse ne s’arrête pas là. Cette forêt est également bénéfique pour l’eau qu’elle retient dans les sols forestiers et qu’elle purifie. Dans cette région où les épisodes cévenols provoquent des inondations et des dégâts considérables, l’association Forêt Méditerranéenne engage un travail pour voir comment la forêt pourrait accroître son rôle de protection de l’eau à travers une sylviculture appropriée et des petits travaux de génie forestier.

Charles Dereix plaide pour une planification territoriale qui combine espaces urbains, terres agricoles et massifs forestiers, dans la même logique d’interface dont parlait Damien de l’ONF.

Des arbres et des paysages. Source : ap32.fr

Pour Charles Dereix, cette gestion de la forêt en adéquation avec les activités humaines contemporaines va à l’encontre d’une vision biaisée qui l’envisage comme un éden impénétrable : « L’histoire de l’humanité est éminemment liée à celle des forêts. Dès 15 000 ans en arrière, après les dernières glaciations, la forêt revient peu à peu dans notre pays et le recouvre d’un manteau forestier. Les humains sont des nomades chasseur·euses-cueilleur·euses-pêcheur·euses. À la révolution néolithique (- 6000 ans), [les peuplades] se fixent en villages, inventent l’agriculture et l’élevage : commence alors une régression des forêts avec les pratiques de défrichage et les coupes d’arbres, la forêt perd de sa superficie à mesure que la population augmente. Mais à partir du milieu du dix-neuvième siècle, la surface de la forêt augmente à nouveau. L’agronomie fait de gros progrès et on a moins besoin de surfaces agricoles. L’exode rural joue aussi en faveur du maintien des espaces forestiers, et de grandes politiques forestières, comme la Restauration des terrains en montagne (RTM), sont mises en oeuvre »

Au cours des âges, les populations se sont impliquées dans la gestion forestière ce qui montre que l’humanité a toujours influé elle-même sur le devenir des forêts. Par exemple, dans le Massif central et le Morvan, la formation naturelle des hêtraies-sapinières, mélange de hêtres et de sapins, a été fortement impactée par les êtres humains. En effet, à proximité du village, ils ont enlevé les hêtres et favorisé le sapin pour produire de grands arbres destinés à l’aménagement de leurs maisons. Plus loin du village, ils ont à l’inverse enlevé les sapins pour produire du petit bois de hêtre pour le chauffage et la cuisson des aliments. Charles ajoute : « C’est astucieux car les gros bois de construction, lourds et longs, étaient à proximité du village alors que les petits bois de hêtre, plus faciles à transporter, étaient disposés plus loin. »

Paysage forestier de pins laricios. Source : commons.wikimedia.org

La menace grandissante du réchauffement climatique

On ne peut pas parler de la forêt méditerranéenne sans évoquer les incendies. Surtout avec l’apparition de feux particulièrement puissants et dévastateurs qui ressemblent fortement aux méga-feux qui ravagent l’Australie, la Californie ou encore le Portugal. Pour exemple, dans le Var, le 16 août 2021, un feu a parcouru 8 000 hectares à des vitesses inédites allant jusqu’à 4,1 km/h. Sachant qu’un feu à 1,5 km h est déjà considéré comme rapide, les sautes de feux dues à des brindilles enflammées projetées en avant à plus de 2 kilomètres, ont grandement amplifié sa dangerosité.

Feu de forêt. Source : www.oree.org

Le dérèglement climatique et ses sécheresses marquées, ses pointes de température pouvant dépasser 40°C combinés au dépérissement de certaines espèces qu’il occasionne comme le pin sylvestre, le sapin, voire le chêne vert et à l’augmentation de la biomasse (plus de bois, plus de broussaille, moins de terres agricoles cloisonnant les massifs forestiers) accroissent les risques d’incendies.

Face à ces feux extrêmes, la stratégie de surveillance des massifs, de pré-positionnement des secours, avec pour objectif d’attaquer le feu naissant en moins de cinq minutes, peut être mise en échec. « Il importe donc de réviser sans délai la stratégie de défense des forêts contre les incendies afin de bien comprendre que la  forêt méditerranéenne n’est pas vouée à être la proie des flammes ! » insiste Charles.

Plus de rencontres autour de la forêt

Charles appelle à multiplier, sous la houlette des élu·es, les projets territoriaux de développement forestier associant l’ensemble des personnes concernées selon le modèle des chartes forestières de territoires. Face à une réticence grandissante de la société vis-à-vis des coupes et des travaux forestiers, les forestier·es ont de gros efforts de communication à faire : « Aujourd’hui, il faut créer des lieux de dialogue entre les forestiers et le public. Il est urgent d’arriver à un contrat social forêt-forestier-société afin de définir la forêt de demain et les voies pour la façonner. Il faut que de la bonne volonté se manifeste des deux côtés pour permettre des débats sereins. »

Charles fustige également l’idée préconçue qui veut que les espèces allochtones, introduites par l’être humain, soient forcément mauvaises : « Dire que les espèces exotiques sont mauvaises est une simplification. » En région méditerranéenne, nombre d’arbres considérés comme identitaires ou patrimoniaux sont en fait des espèces introduites dans le passé comme le platane, le mûrier, le figuier, le cyprès et le châtaignier. Bien qu’il soit nécessaire de rester prudent·e dans cette démarche de réintroduction, de nouvelles espèces et des paysages diversifiés peuvent être bienvenues pour faire face au changement climatique qui menace sérieusement certaines espèces. Charles ajoute à ce sujet : « À l’association Forêt Méditerranéenne, nous travaillons actuellement sur le cèdre de l’Atlas qui existait chez nous avant les glaciations et qui a été réintroduit dans le Vaucluse (Mont Ventoux, Luberon) et dans l’Aude (Rialsesse) à partir de 1860 avec des résultats magnifiques. Pour les forestiers, il constitue une essence d’avenir. »

Forêt mixte de cèdres de l’Atlas, de chênes, frênes) dans l’Atlas Blidean, au sud d’Alger. Source : commons.wikimedia.org/

Protégée par les équipements et les actions de Défense des forêts contre les incendies (DFCI), gérée par ses propriétaires et valorisée à travers ses produits et services, la forêt aurait pour vocation d’être un espace naturel d’harmonie qui ferait aussi office de protection tant pour la biodiversité que pour les êtres humains.

Chez Mr Mondialisation, il nous apparaît fondamental d’apporter une nuance sur une approche technocratique de la gestion des forêts. Une autre représentation pourrait être à explorer. En effet, autrefois, les espaces forestiers n’étaient pas soumis à la main mise des institutions étatiques et étaient protégées par les paysan·nes. Dans Être forêts – Habiter des territoires en lutte publié aux éditions Zones en 2017, Jean-Baptiste Vidalou livre une vision critique de la gestion contemporaine des forêts et dénonce l’approche capitaliste des ces espaces et leur accaparement par l’ingénierie.

– Audrey Poussines

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