Le 24 avril dernier, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) a annoncé la création d’un Fonds de Résilience Climatique destiné à soutenir les personnes déplacées à cause du réchauffement climatique, première cause de déplacement interne dans le monde.
Ce fonds supportera des initiatives destinées à la protection des communautés les plus vulnérables aux risques climatiques, à la fois pour les y préparer mais également pour qu’elles puissent y faire face et les surmonter.
Des mesures de plus en plus nécessaires lorsque l’on sait que le dérèglement climatique entraîne l’augmentation des catastrophes naturelles, la montée des eaux et l’érosion des sols.
La menace du réchauffement climatique sur des population
Si les phénomènes climatiques extrêmes ont eu lieu en tout temps, l’augmentation de leur fréquence, intensité et durée est largement imputée au dérèglement climatique causé par l’activité humaine. Ces phénomènes, que cela soit inondations ou tempêtes, forcent de plus en plus de personnes à quitter leurs habitats, de façon temporaire ou permanente.
La montée des eaux pèse elle-aussi sur de nombreuses populations insulaires et côtières forcées de quitter leur territoire et ce, de manière permanente. Des gouvernements se voient d’ailleurs obligés de commencer à organiser ces migrations en vue du niveau des mers qui augmente. L’Australie et les îles Tuvalu, micro-Etat insulaire du Pacifique Sud, ont d’ailleurs signé en novembre dernier un traité garantissant l’asile climatique aux populations de Tuvalu, en leur accordant des « droits spéciaux » pour pouvoir s’installer et travailler en Australie. Un soulagement pour les habitants de cet archipel, estimé inhabitable à cause de la hausse du niveau marin d’ici 80 ans par les scientifiques…
La dégradation des sols et la variation des précipitations sont d’autres facteurs causés par le réchauffement climatique anthropocène entraînant des déplacements de populations, principalement en Afrique sub-saharienne où les populations dépendent de l’agriculture de subsistance. Ce phénomène est plus lent et progressif et donc plus difficile à quantifier, mais il force de nombreuses communautés se retrouvant sans ressources économiques à migrer de régions (principalement des campagnes vers les villes), voire de pays.
Enfin, le dérèglement climatique pèse d’autant plus sur la migration qu’il est « multiplicateur de menaces ». En effet, la baisse de disponibilité des terres et des ressources génère ou exacerbe des conflits déjà existants, et aggravent la pauvreté dans des régions vulnérables. Selon le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés, Filippo Grandi, « les effets du changement climatique sont de plus en plus dévastateurs, exacerbant les conflits, réduisant à néant les moyens de subsistance et, en fin de compte, provoquant des déplacements de population ».
En 2022, plus de 70% des demandeurs d’asile et réfugiés dans le monde provenaient de pays particulièrement exposés au réchauffement climatique [1]. Le Pacte Mondial sur les Réfugiés adopté en 2018 par l’Assemblée Générale des Nations Unions reconnaît en ce sens que :
« le climat, la dégradation de l’environnement et les catastrophes naturelles interagissent de plus en plus avec les facteurs des déplacements de réfugiés »
Dans la majorité des cas, ces personnes forcées de quitter leur domicile à cause de facteurs climatiques restent dans leur pays d’origine et deviennent donc des déplacés internes. Les « réfugiés climatiques » ne possèdent en revanche pas encore de statut leur octroyant de protection juridique mais sont généralement entendus comme « personne qui se retrouve dans une situation dans laquelle sa sécurité ou sa vie sont en danger, se voit forcée de quitter son foyer pour se déplacer vers d’autres régions du pays ou vers d’autres pays, du aux conséquences des changements climatiques causés par l’action humaine » [2].
Des nombreux cas de déplacements climatiques à travers le monde
En 2022 seulement, l’Internal Displacement Monitoring Center (IDMC) a comptabilisé 32,6 millions de nouveaux déplacés internes à cause de catastrophes naturelles à travers le monde [3]. L’Asie du Sud-Est, l’Afrique sub-saharienne et les zones insulaires comptent parmi les régions les plus touchées.
La population du Bangladesh, un des pays les plus vulnérables au changement climatique, en est un exemple flagrant. En 2022, plus de 7,1 millions de Bangladais ont été déplacés à cause du dérèglement climatique [4] et selon les chiffres du gouvernement, d’ici 2050, le phénomène concernera pas moins d’un habitant du Bangladesh sur 7.
Le pays est régulièrement touché par des cyclones, inondations, débordements de rivières et érosion fluviale, forçant les habitants de villages ruraux et côtiers à migrer, principalement vers les villes. Ces déplacements de population entraînent dans leur sillage l’explosion de la population urbaine et la précarisation des migrants climatiques, qui n’ont d’autres choix que de s’installer dans des bidonvilles.
Si les populations les plus menacées de déplacement proviennent des pays les plus exposés au changement climatique, l’Europe n’est pas épargnée pour autant, ni aucune partie du monde d’ailleurs. Selon le membre du GIEC et spécialiste des migrations climatiques François Gemenne :
« aucune zone du monde ne sera épargnée par les migrations climatiques »
Élévation du niveau des mers, feux de forêts, inondations ou encore tempêtes sont les phénomènes qui menacent actuellement la France, par exemple. En 2022, les incendies qui ont touché la Gironde ont entraîné l’évacuation et le déplacement de 38.000 personnes. En 2023, les inondations dans le Nord-Est de l’Italie ont fait déplacer plus de 36.000 habitants de la région.
Tout récemment, au Panama, l’île du crabe dans les Caraïbes, habitée par quelques 300 familles, est officiellement évacuée : la montée des eaux oblige ses habitants à venir s’installer sur le continent. Ils sont considérés comme les premiers réfugiés climatiques d’Amérique Latine.
La Banque mondiale estime qu’en 2050, on comptabilisera près de 216 millions de déplacés climatiques dans le monde.
Le Fonds résilience climatique du HCR
Face à ces constats, en avril dernier, le HCR a créé un Fonds de résilience climatique, espérant réunir 100 millions de dollars d’ici 2025 dans un premier temps pour soutenir ses actions prioritaires. Le HCR souhaite, à travers ce fonds, renforcer son action auprès des communautés déplacées à cause du changement climatique malgré la non reconnaissance d’un statut de réfugié, et surtout anticiper les futurs déplacements ainsi que renforcer la résilience des communautés vivant dans des zones à risques accrus de catastrophes naturelles.
À cette fin, le HCR a identifié 22 pays prioritaires, dont la majeure partie se trouve en Afrique sub-saharienne, mais toutes les opérations du HCR où qu’elles se situent seront éligibles au financement du Fonds de résilience si elles interviennent après des phénomènes climatiques.
Ce fonds soutiendra des initiatives de résilience dans les zones les plus à risque telles que la construction d’abris résistants aux phénomènes météorologiques extrêmes ou l’appui à l’agriculture résiliente au climat pour lutter contre l’insécurité alimentaire et le manque de moyens de subsistance qui sont des causes de déplacements.
Le HCR souhaite également, à travers ce fonds, réduire l’impact environnemental de ses interventions d’urgence après des catastrophes naturelles, en fournissant des ressources durables dans les zones de déplacement et en alimentant ses infrastructures en énergie propre, notamment en énergie solaire à travers des mini-réseaux solaires. Selon Filippo Grandi, « en réduisant leur exposition aux risques liés au changement climatique, en garantissant leur accès à des ressources durables et en promouvant leur intégration, ces projets apporteront des améliorations tangibles aux conditions de vie, à la sécurité et au bien-être des réfugiés et des personnes qui les accueillent ».
Depuis la création de ce Fonds, le HCR, en collaboration avec l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), a déjà soutenu les victimes de catastrophes naturelles dans plusieurs pays : au Brésil après des inondations sans précédent provoquant le déplacement de quelques 580 000 personnes et affectant des camps de réfugiés provenant principalement d’Haïti, du Venezuela ou de Cuba, en Afghanistan également après des inondations dévastatrices ayant détruit des milliers de maisons et de terres agricoles, ou encore au Kenya après des pluies diluviennes qui ont endommagé maisons et installations publiques. Une chose est sûre : l’urgence est bien là.
Un phénomène qui prend de l’ampleur
Les déplacés climatiques sont de plus en plus nombreux, et ne vont faire qu’augmenter étant donné l’aggravation du dérèglement climatique et la fréquence de phénomènes météorologiques extrêmes.
Le travail du HCR consistant à trouver des solutions aux potentiels déplacements et renforcer la résilience des communautés les plus exposées est à saluer, mais cela ne sera évidemment pas suffisant pour garantir des conditions de vie dignes et vivables.
À côté de cela, des voix s’élèvent pour revoir la Convention de Genève en y intégrant la notion de réfugié climatique. Cette hypothèse paraît cependant loin d’être évidente étant donné qu’elle nécessiterait un compromis de tous les États signataires sur la question. Au vu de la réticence de nombreux États sur les questions migratoires, voire du réchauffement climatique, il parait peu probable que la communauté internationale s’accorde sur ces sujets plus que jamais sensibles.
Il est donc urgent que les gouvernements et communautés locales s’organisent de leur côté face au changement climatique pour pouvoir faire face aux catastrophes susceptibles de causer des déplacements de population, et surtout de changer radicalement de modes de vie afin de le ralentir.
– Delphine de H.
Photo de couverture : wikimedia
Sources :
« Le HCR lance un fonds pour protéger les réfugiés et autres personnes déracinées face au changement climatique », HCR, 24/04/2024, https://www.unhcr.org/fr/actualites/communiques-de-presse/le-hcr-lance-un-fonds-pour-proteger-les-refugies-et-autres
« L’Australie offre l’asile climatique à la population des îles Tuvalu », Reporterre, 10/11/2023, https://reporterre.net/L-Australie-offre-l-asile-climatique-a-la-population-des-iles-Tuvalu
« Au Bangladesh, des paysans fuient des fleuves qui débordent », Reporterre, 12/11/2021, https://reporterre.net/Au-Bangladesh-des-paysans-fuient-des-fleuves-qui-debordent#:~:text=Le%20Bangladesh%20compte%20environ%20dix,doubler%20d’ici%20%C3%A0%202100.
« François Gemenne, membre du GIEC : « Aucune zone du monde ne sera épargnée par les migrations climatiques » », Le Monde, 4/11/2023, https://www.lemonde.fr/climat/article/2023/11/04/francois-gemenne-membre-du-giec-aucune-zone-du-monde-ne-sera-epargnee-par-les-migrations-climatiques_6198214_1652612.html
« Au Panama, les premiers réfugiés climatiques d’Amérique latine évacuent “l’île du crabe”, Courrier International, 30/05/2024, https://www.courrierinternational.com/article/caraibes-au-panama-les-premiers-refugies-climatiques-d-amerique-latine-evacuent-l-ile-du-crabe
[1] https://www.unhcr.org/fr/actualites/communiques-de-presse/le-hcr-lance-un-fonds-pour-proteger-les-refugies-et-autres
[2] https://www.oxfamfrance.org/migrations/vers-une-augmentation-croissante-du-nombre-de-refugies-climatiques/
[3] https://www.internal-displacement.org/database/displacement-data/
[4] https://www.aa.com.tr/en/asia-pacific/climate-change-displaced-millions-of-bangladeshis-in-2022-who/2750491#