C’est sur les rives brésiliennes de l’océan atlantique que le rêve Inkiri Piracanga a germé. 10 ans d’expérimentations plus tard, l’utopie s’est changée en une ville à l’économie créative et stable, vivant presque en autosuffisance grâce à la permaculture et au traitement des déchets. La communauté s’est même dotée d’une école et d’une université, afin de propager et de pérenniser leur message : vivre ensemble et en harmonie avec l’environnement, c’est possible !
Une structure sociale inspirée de la nature
Dans la région de Bahia, au Brésil, se trouve un village qui a décidé de passer du rêve à la réalité. Concrétiser leur utopie réaliste. Entre la forêt et la plage, Inkiri Piracanga se revendique d’être une communauté durable et pratiquement autosuffisant. C’est pour cette raison que la série de reportages sur les initiatives de développement durable urbain en Amériques latines appelée « Villes ouvertes » a dédié plusieurs épisodes sur cette ville.
C’est grâce à leur travail que nous pouvons découvrir en profondeur cette communauté, dont la présence en ligne reste à ce jour discrète. Elle a été fondée il y a 10 ans dans le but de devenir un modèle d’expérimentations sociales, environnementales, et de tous les aspects qui semblent ne plus fonctionner dans nos sociétés modernes. Leur idée fondamentale est d’apprendre à vivre en harmonie avec la nature, en partant du principe que nous sommes nous-mêmes un chaînon de cette nature. Dans cet espace de créations, ces habitants ne veulent pas s’enliser dans des concepts qui ne marchent pas ; ils cherchent de nouvelles façons de vivre et de faire fonctionner concrètement une ville où tout le monde serait gagnant.
La spiritualité « libre » joue un rôle central dans leur vie, en les aidant à se connecter à eux-mêmes et à leur environnement pour s’approprier un rythme de vie durable. À ce jour, 60 personnes sont membres de la communauté, dont 40 adultes et 20 enfants. À cela s’ajoute les 200 habitants qui vivent dans les alentours, et qui de ce fait font indirectement partie du système. Pour Pedro, qui s’occupe de la communication, c’est le modèle idéal pour que le projet fonctionne ; plus de 70 personnes peu compliquer/déstabilisation l’organisation locale.
La ville de Piracanga, du nom d’une rivière des environs, fonctionne sur un système organique. Plusieurs modèles coexistent. Tout d’abord, il y a quelques règles basiques et immuables inscrites dans les 8 pages du « statut des règles », et qui seraient l’équivalence d’une constitution citoyenne locale. Par exemple, il n’est pas permis d’utiliser des produits qui ne soient pas dégradables, ou de consommer de la drogue ou de l’alcool dans la communauté.
Toute la société est organisée par projets : l’écologie, l’école, le restaurant, etc. Chacun d’entre eux a un leader, élu démocratiquement pour un an. Le système de décisions, quant à lui, est inspiré de la démocratie sociale. Il existe plusieurs conseils chargés de certaines thématiques, comme la nature, les enfants, l’alimentation ou encore l’administratif. Ils ont tous la responsabilité de prendre des décisions dans leurs champs de compétences. Puis, les changements proposés sont portés à la connaissance des présidents de chaque conseil lors d’une assemblée générale. Ce sont eux qui choisissent de les valider, ou non.
Cependant, les décisions urgentes et stratégiques ne passent pas par ce processus, qui risquerait de devenir lourd (risque d’enlisement administratif). Un comité de quatre leaders possédant un pouvoir exécutif permet de valider plus vite certaines propositions. Cette structure n’a pas l’ambition d’être parfaite, mais veut favoriser le développement personnel et les projets durables. Selon les membres de la communauté, ce type d’organisation serait le futur de la planète pour lier des personnes proches avec une vision commune, locale et résiliente. Ils reconnaissent cependant qu’il existe d’autres genres de communautés très stables, avec des initiatives tout aussi créatives bien que différentes.
Une économie gagnant-gagnant
Une des plus grandes réussites de Piracanga, c’est certainement son économie locale et durable. À la base de la société, l’économie a été leur principal levier de changement. Cependant, la communauté est passée par plusieurs tests et expériences avant de trouver un modèle stable. Tout au début, elle avait un fonctionnement proche du communisme social. Tous les gains générés par les activités du village étaient mis dans une cagnotte commune, qui était redistribuée en part égale à chaque individu. C’était un moyen de garantir une sécurité économique pour les premiers habitants, qui a aidé les premiers projets à grandir et à prendre forme. Au bout d’un certain temps, un déséquilibre s’est créé. Les personnes qui donnaient le plus de leur temps ont commencé à se démotiver, car ils donnaient beaucoup de leur énergie, mais recevaient très peu.
Ils sont alors passés à un système semi-capitaliste et coopératif : chaque projet s’organisait désormais individuellement, ce qui a donné un élan à leur croissance. Il ne suffisait plus de faire partie de la communauté pour recevoir un gain ; il fallait trouver sa place et prendre part à un groupement. Mais ce système a aussi rencontré ses limites humaines, et c’est à ce moment-là qu’ils ont élaboré leur structure actuelle. Directement inspirée de la nature et de son équilibre, la « forêt de projets » encourage les initiatives et part du principe que chaque projet est un arbre à faire pousser.
Lorsque son idée se forme, il est conceptualisé sous forme de graine. En grandissant, il produit ses premières feuilles et ses premières branches. S’il est placé dans de bonnes conditions, il devient un arbre. Ensemble, chaque arbre de chaque projet forme une forêt, et comme elle ils se soutiennent, se nourrissent et se développent en harmonie sans perte d’énergie. Il faut donc qu’ils soient économiquement durables, pour assurer leur propre subsistance, mais aussi celle de la communauté tout entière. Cependant, chacun d’entre eux est un système organique à part entière, dont tous les membres sont importants pour fonctionner.
Cette économie locale a l’avantage de repenser le rôle de leader. Au lieu d’être le supérieur hiérarchique, au-dessus des autres, il est sous terre, dans les racines du projet, et lui envoie de l’énergie. Il alimente les autres personnes qui font partie du système, et il est responsable que chacune donne le meilleur d’eux même et atteigne les objectifs.
Un autre point qui participe à la stabilité de l’économie est la monnaie locale ; l’Inkiri. Il fait en sorte que l’argent circule facilement. Sans être bon ou mauvais, cet outil d’échange crée l’abondance dans la communauté. En effet, comme les Inkiri ne sont valables que dans la communauté locale, cela ne sert à rien de les amasser à l’infini. Il circule localement et supporte les projets qui sont sur place. Son utilisation fait en sorte de garder plus longtemps au sein de Piracanga l’argent qui vient de l’extérieur. Grâce à ça, l’économie locale s’est développée rapidement et a acquis une grande stabilité. La communauté pense que les monnaies locales doivent être reconnues comme un outil de développement, pour des systèmes gagnant-gagnant entre les êtres humains, mais aussi avec la nature. En France, les monnaies locales aussi se développent comme par exemple la Roue dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur ou la Pêche à Paris.
« Ici, tout se recycle ou se réutilise »
Pour pouvoir se nourrir, boire et traiter les déchets de façon écologique, Piracanga a misé sur la permaculture. Cette méthode a pour but de concevoir des systèmes inspirés de l’écologie naturelle et traditionnelle, pour arriver à un équilibre, une durabilité et l’autosuffisance. Elle a trois piliers : le bien-être de l’homme, la conservation de la nature et la répartition des ressources dans la société. Pour la communauté, cela s’est traduit par la recherche de création de choses nouvelles, occuper la planète différemment et changer la façon de s’organiser en tant que ville.
Les 15 personnes qui sont en charge du travail environnemental gèrent le compost, la maintenance des toilettes sèches, le traitement des résidus et l’agroforesterie. L’énergie est 100 % renouvelable grâce au solaire, et leur traitement de l’eau est entièrement autonome. Chaque maison a sa propre installation de toilettes sèches et de bananiers. En effet, ils se servent du cycle des bananiers pour purifier les eaux grises ; plantés en cercles, ils absorbent en grande quantité l’eau dont ils ont besoin pour grandir. L’eau est constamment en train de se purifier, à travers les plantes, l’oxygénation ou le mouvement.
Ce système supporte uniquement les produits biodégradables, c’est-à-dire qu’un organisme vivant peut décomposer en molécules servant par la suite aux végétaux. Tout ce qui n’est pas biodégradable/compostable risque de faire mourir le système. Cela entre aussi dans les nappes phréatiques, desquelles la communauté tire son eau potable. Il a donc fallu trouver une solution pour avoir à disposition tous les produits d’hygiène personnelle dont les êtres humains peuvent avoir besoin. Au « temple des eaux », les membres de la communauté fabriquent le plus souvent eux-mêmes leurs produits biodégradables, faisant ainsi marcher l’économie locale.
Les toilettes ont dû être également repensées pour trouver leur place dans ce système circulaire, ce qui fait que 70% des maisons ont des toilettes sèches qui n’utilisent pas d’eau. Au lieu de contaminer l’eau, puis de la purifier pour pouvoir la réutiliser, les habitants utilisent de petites écorces qui transforment les selles en fertilisant. Le compost, est ensuite utilisé sur les cultures et pour le programme de reforestation. Ce matériau naturel est destructeur lorsqu’il contamine l’eau, mais très constructif quand il est bien traité.
Ici, les emballages aussi sont valorisés. Lavés et stérilisés, ils sont réutilisés ou servent à créer des espaces de créativité. Par exemple, ils deviennent des contenants pour des plantations. La communauté met à profit la capacité de transformation de l’être humain, pour donner de la beauté à des objets qui peuvent être considérés comme laids. Pour elle, changer des détails et des petites habitudes peut avoir un gros impact en fin de compte. Ils encouragent le questionnement sur certains aspects du quotidien. En les regardant le plus près, il est possible de les changer et de produire de petites révolutions autour de nous. Les membres de Piracanga sont persuadés que les petites choses sont au service des grandes, et que de bonnes habitudes enracinées peuvent changer l’environnement au complet.
Diffuser les solutions : l’urgence absolue à l’aube d’un crash écologique global
Pour assurer la relève et la continuité de leurs solutions, Piracanga s’est équipé d’une école et d’une université. Ils essayent de repenser l’éducation autour du bien-être de l’enfant et de l’épanouissement personnel. Les 25 enfants travaillent les contenus de l’éducation nationale, tous les matins, en petits groupes à peu près du même âge. Leur but est d’avoir des connaissances sur tout, mais aussi de donner aux enfants les outils pour qu’ils sachent à quoi ils veulent dédier leur vie, et surtout quels talents ils peuvent mettre au service de l’humanité.
La grande différence avec les systèmes d’éducation traditionnelle, c’est que tout cela se fait à travers un projet unique à chaque enfant et adolescent. À partir de 6 ans, les enfants vont développer les connaissances dans plusieurs domaines à partir du projet choisi selon leurs intérêts. Les matières ne sont donc pas séparées et sont vues selon leur âge et leurs capacités personnelles, à leur rythme. Ainsi, ils peuvent par exemple étudier les mathématiques à travers le surf. Cela semble leur donner une grande liberté, mais aussi plus de confiance en eux. Cette éducation peut se rapprocher du fonctionnement des écoles Waldorf et Montessori que l’on retrouve en France.
Quant à l’université, elle a été créée pour pouvoir accueillir les personnes extérieures qui veulent connaître le mode de vie de Piracanga, et s’en inspirer lorsqu’ils sont de retour chez eux. On y trouve environ 120 élèves par an, dont la plupart viennent du Brésil. Durant les 2 mois du programme, les étudiants participent aux projets et apprennent à se connaître pour améliorer leurs interactions avec les autres. Cette éducation différente veut donner plus de place aux personnes et au développement de l’être humain. Leurs nouvelles compétences leur permettent ensuite de participer à la transition des villes vers des systèmes plus durables. Car pour la communauté, la ville n’est pas un monstre qu’il faudrait fuir. Au contraire, la plupart des humaines vivent désormais en ville. Ils doivent donc faire partie de la solution. Et tout commence par l’éducation.
À travers ses expérimentations et ses solutions d’organisation politique, économique, agroalimentaire et éducationnel, le village de Piracanga est devenu un modèle et une inspiration pour les personnes qui veulent du changement. Il incarne une vraie société locale alternative qui a réussi à aller au bout de son projet, même si l’avenir reste toujours incertain. Piracanga cherche à démontrer, sas imposer, qu’il est possible de vivre ensemble différemment et que ça peut fonctionner sur le long terme. Ils prouvent quotidiennement que l’être humain n’est pas condamné à être un fléau ou un virus, et qu’il peut vivre en harmonie avec son environnement s’il en a le courage.
Selon leur vision du monde, n’importe qui peut faire une différence à l’endroit où il vit, remettre en question son lieu de vie, gérer différemment ses ressources, sans pour autant sombrer dans la pauvreté. Que nous le voulions ou pas, chacun d’entre nous fait partie de la société et de son environnement, ce qui implique que nous avons un impact dont nous sommes tous responsables. Les habitants de Piracanga pensent que nous ne pouvons pas gâcher notre temps sur des choses qui ne nous font pas « vibrer de l’intérieur », que nous avons besoin de nous écouter pour nous ouvrir à l’inconnu et amorcer un changement. Pour cela, ils misent sur une transformation en profondeur de l’organisation des sociétés, portée par les générations actuelles et futures.
L’aventure des reportages de « Villes Ouvertes » a pris fin, mais vous pouvez retrouver toutes leurs vidéos sur leur chaîne YouTube pour en apprendre plus sur les innovations en développement durable urbain en Amérique latine.
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