À l’heure où se rédigent ces lignes, les députés discutent de la loi visant à rétablir la confiance entre les citoyens et la classe politique. Une loi de moralisation dont les récents scandales politico-financiers ont accru la nécessité alors que la France trône à une petite 23eme place au classement des pays les moins corrompus au monde (selon Transparency International), loin derrière l’Allemagne et le Danemark, respectivement 10eme et 1er de ce classement. Cette volonté affichée de veiller à la probité de nos élus se heurte néanmoins à une réalité difficile, celle vécue par les policiers chargés de traquer les délinquants en col blanc, souffrant d’un manque chronique de moyens et d’une déconsidération de leur hiérarchie. Ainsi, le gouvernement est prompt à proposer des lois, un peu moins à prendre les mesures pour les faire appliquer. Explications.
C’est en décembre 2013, à la suite du scandale politico-financier autour du ministre délégué, Jérôme Cahuzac, qu’est né le Parquet National Financier, institution judiciaire spécialisée dans la chasse aux délinquants économiques. C’est à Eliane Houlette, devenue dès lors procureur de la République Financière, qu’est revenue la délicate mission de traquer les fraudeurs fiscaux et les corrupteurs en tous genres sur l’ensemble du territoire.
Ornant les innombrables piles de dossiers gisant sur son bureau, des étiquettes offrent, dans l’élégance de gribouillis au stylo Bic, des noms aux arômes de soufre aussi célèbres que ceux de Patrick Balkany, Nicolas Sarkozy ou encore François Fillon. En un peu plus de trois années, le PNF, avec le soutien de son bras armé l’OCLCIFF (office centrale de lutte contre la corruption et les infractions financières) a ramené dans les caisses de l’État français la coquette somme de 1.5 milliards d’euro. Un grain de sable cependant en comparaison des 60 à 100 milliards d’euros annuels que coûterait l’évasion fiscale à la France selon Jean-Marie Monnier, professeur d’économie à Paris 1. Malgré ces premiers résultats encourageants, on ne fanfaronne pas du côté de l’OCLCIFF qui déplorait dans une lettre adressée au directeur général de la police nationale, le 13 mars 2017, les difficultés budgétaires, le manque de considération hiérarchique ainsi que les pressions quotidiennes dont les fonctionnaires de l’office anti corruption sont les victimes dans l’exercice de leur mission.
Dans cette lettre, publiée par Mediapart, vingt-cinq policiers pointent du doigt le manque criant de moyens alloués à l’investigation financière. Concédant qu’il s’agit là d’un phénomène commun à l’ensemble des services, ils regrettent cependant que la lutte contre la corruption et la fraude financière soit perçue comme « le parent pauvre de l’investigation ». Victime collatérale de l’importance grandissante de la guerre contre le terrorisme dans le budget du ministère de l’Intérieur, l’OCLCIFF dispose de moyens restreints amenant les agents à travailler avec un matériel loin de l’ergonomie nécessaire. Le parc automobile lui aussi n’est « pas digne de l’ambition affichée lors de la création du service » dénoncent les policiers dans ce courrier. Des véhicules qui ne sont pas adaptés, pas aux normes de sécurité, ni assez grands pour contenir une équipe entière et son matériel, voilà un constat qui pose problème quand on sait le caractère national de ce service basé à Nanterre, incapable parfois d’effectuer une saisie faute de véhicules pour faire la route. Quant aux locaux de l’office, ils sont vétustes. Nicolas Sarkozy, lui-même, en a fait les frais en juillet 2014 : « M.Sarkozy est resté un long moment dans un ascenseur en panne » confiait un enquêteur à la rédaction du journal en ligne. Voilà bien la seule anecdote susceptible d’esquisser un sourire au milieu de ce constat préoccupant.
Un manque de considération de la part de la hiérarchie
Plus problématique encore que les soucis d’ordre économique et matériel, les fonctionnaires de l’Office anti corruption s’indignent contre un phénomène, cette fois propre à leur service : la non-mise en place de plan de carrière. Il est courant dans le milieu policier qu’une enquête menée à son terme ou qu’une saisie importante soit récompensée par une promotion, ce qui anime les volontés individuelles. Les agents de l’OCLCIFF, eux, n’y ont pas le droit. « En matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, par exemple, quand les enquêteurs font de belles saisies, ils peuvent avoir des gratifications pour leur carrière. En revanche, attraper dans ses filets un Balkany, un Guéant, un Cahuzac, un Dassault ou un Sarkozy, cela ne rapporte rien. Aucun patron ne fera une demande de promotion pour vous. C’est trop sensible ».
Conséquence de ce blocage, les enquêteurs de ce service spécialisé dans les affaires financières partent les uns après les autres pour des carrières plus confortables. Ils étaient 42 agents lors de la création de l’office en 2013, seulement 28 au moment du courrier remis au directeur général de la police nationale en mars 2017, soit une perte de plus d’un tiers des effectifs en moins de quatre ans. Pourtant, la matière financière est réputée particulièrement complexe et concerne le plus souvent des délinquants aguerris, défendus par de très bons avocats, exploitant toutes les failles du système pour éviter de répondre de leurs actes devant les tribunaux. Les enquêtes prennent du temps, comptez en moyenne deux ans pour qu’un dossier de fraude fiscale soit jugé, cinq pour une affaire de corruption. Ajoutez à cela une augmentation croissante des urgences confiées par le Parquet national financier et vous obtenez des fonctionnaires surmenés mais non récompensés pour les efforts fournis. Les agents qui partent sont remplacés par des néophytes qu’il faut former dans des conditions inappropriées, achevant d’affaiblir un peu plus l’efficacité de l’office anti corruption.
Autre inconvénient propre à l’exercice de l’investigation financière, les pressions et les insultes que subissent ces fonctionnaires de l’État. Nicolas Sarkozy avait, par exemple, assimilé l’OCLCIFF à la STASI, police politique allemande des années 80 sous la RDA. Plus récemment, Marine Le Pen a déclaré lors d’un meeting à Nantes, le 26 février 2017 : « Je veux dire aux fonctionnaires, à qui un personnel politique aux abois demande d’utiliser les pouvoirs d’État pour surveiller les opposants, organiser à leur encontre des persécutions, des coups tordus, ou des cabales d’État, de se garder de participer à de telles dérives. Dans quelques semaines, ce pouvoir politique aura été balayé par l’élection. Mais ses fonctionnaires, eux, devront assumer le poids de ces méthodes illégales ». Menace directe de la part de l’ex-candidate à la magistrature suprême à l’encontre des agents de l’Office anti-corruption. À peine croyable.
Ainsi, donc, le gouvernement d’Emmanuel Macron et l’Assemblée nationale souhaitent redonner confiance aux citoyens dans l’action politique, redorer le blason terni de nos élus, s’assurer de leur parfaite probité ? À la bonne heure ! Tant que les paroles politiques donnent place aux actes. N’est-il pas temps que les enquêteurs aient les moyens, et l’entière liberté, d’arrêter ces délinquants en col blanc ? À défaut de mesures concrètes pour faciliter le travail de ces policiers, cette loi pour la moralisation de la vie publique restera, sans nul doute, de « la poudre de perlimpinpin ».
Complément
Tristan Barra
Source : Mediapart / Tranparency-France / Europe 1
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