Tant qu’il y aura des violences, il y aura des luttes à mener. Et il faudra prendre chaque fois le temps de les accueillir et d’y répondre avec bienveillance. Parmi ces combats, la dénonciation de l’inceste n’avait jusque-là pas encore trouvé l’espace suffisant pour se déployer. Mais c’est son tour aujourd’hui, d’entrer dans nos préoccupations collectives, de s’y ajouter sans concessions. Pourquoi maintenant ? En réalité, des incestes ont été maintes fois signalés au grand public, mais la société n’a pas toujours été prête à entendre ces témoignages. Le livre de Camille Kouchner, La familia grande, qui révèle les agressions incestueuses dont a été victime son frère jumeau par son beau-père, le politologue Olivier Duhamel, sort dans un contexte sociétal propice à son écoute. Plus qu’à son écoute, d’ailleurs : à son écho. Des milliers de confidences lui font suite, à travers le #MeTooInceste, déliant les paroles nouées par le traumatisme et le tabou. Comment se solidariser de ces messages douloureux ? En s’informant, toujours mieux. État des lieux.
Ce tout début d’année est riche de souvenirs à vifs, dévoilés, partagés, confiés, relayés via le #MeTooInceste. Ce début d’année est riche de vulnérabilités dignes, d’humanité et de courage puisés dans les entrailles d’une jeunesse, voire d’une enfance, trop longtemps restée pétrifiée dans ses drames, abandonnée entre ses bras oppressifs. Car en effet, tous ces admirables élans, remplis de force et d’espoir viscéral de justice, renvoient bel et bien à des limbes d’abus, à des eaux troubles de confusion et à des puits de silences douloureux où se mêlent des sentiments contraires, culpabilisants : avoir appris qu’il faut aimer sa famille et avoir été brutalisée par elle, dans son intimité désinformée et malléable. Des abus.
Favorisées par les réseaux sociaux, ces vagues de témoignages ont notamment été déclenchées par la sortie retentissante du livre de Camille Kouchner : La familia grande, (Editions Seuil). Elle y raconte les abus subis par son frère jumeau de la part de son beau-père, Olivier Duhamel. Ce dernier a d’ailleurs, à la suite de ces accusations, démissionné de son poste à la présidence de la Fondation nationale des sciences politiques, entraînant une série d’autres départs parmi ses ami.e.s. Mais de tous les livres qui ont déjà traité du sujet, pourquoi celui-ci a-t-il eu tant d’effet ? C’est, en réalité, bien plus contextuel qu’il n’y paraît et cet élément nouveau vient tout simplement exacerber des années de travail de sensibilisation et de changement de paradigme. Retour sur quelques étapes fondatrices dans laf lutte contre l’inceste et son tabou, jusqu’aux prises de conscience actuelles.
Pourquoi ce livre et pas un autre ?
Ce qui rend ce récit autobiographique si rare et frappant, c’est que Camille Kouchner y explique, hors de tout voyeurisme, non pas son propre vécu de victime directe – quoiqu’elle fût évidemment impliquée malgré elle dans un événement traumatique – mais celui de son frère. Et bien qu’ayant compris et respecté la démarche de sa sœur en tant que victime collatérale, le principal concerné a toutefois désiré rester à l’écart de cette exposition.
Cette composition narrative présente ainsi une particularité : celle de renvoyer en une centaine de pages à plusieurs violences consécutives. Toutes y passent, comme autant d’obstacles à la vérité : du geste criminel, à la censure imposée par l’agresseur, en passant par le secret familial qui la renforce, jusqu’au puissant tabou sociétal qui consolide le tout. L’omerta apparaît alors triplement féroce : au point, se dit-on, que l’indicible trouve son issue dans une parole témoin, plutôt que depuis l’expérience directe de la victime. Finalement, Camille Kouchner signe un livre d’entourage, dans lequel victimes et familles peuvent se retrouver, par identifications respectives avec le protagoniste principal (son frère), ou les « pris-à-partie » (l’autrice). Finalement, plus que de décrire son vécu, l’écrivaine incarne le silence des observants, celui-là même qui est remis en cause dans le mutisme déniant l’inceste. Ainsi, du cercle privé au cercle public, du récit intime à la posture de Camille Kouchner en tant qu’écrivaine, le problème apparaît subitement comme imperturbablement identique : l’emprise qui tient les têtes sous l’eau, la honte qui imprègne le mauvais camp et tait les conséquences. L’acte d’écrire unifié par l’objet littéraire devient, somme toute, comme un premier pas engageant vers une rectification de ce manquement à la parole, un appel à s’en sentir capable.
Ce modèle de rupture du silence de la part d’un témoin intra-familial, peut-être fait-il dès lors office de déclaration aux victimes, que ces dernières ne sont pas habituées à entendre ? Son propos : eh bien que partie ou tout d’un décorum qui semble automatisé, millimétré par les non-dits, il y a bien, malgré les apparences, une conscience de l’entourage sur ce qui se joue parfois sans complexe sous ses yeux. Entendre enfin intervenir ceux qui participent, consciemment ou involontairement, à cette culture du secret : voilà, semble-t-il, l’une des raisons qui expliquerait l’impact de cette publication et ses effets salutaires. Mais ce n’est pas la seule explication…
Des témoignages à visage découvert se succèdent depuis plus de 30 ans.
Si Familia Grande est unique, il n’en reste pas moins que d’autres livres ont déjà plus ou moins directement évoqué le poids de l’inceste. Au-delà des librairies, c’est même à visage découvert que certaines personnalités ont tenu à diffuser leurs témoignages via la télévision ou la radio. Dès 1986, « Les Dossiers de l’Ecran » invitent Eva Thomas. Cette femme qui milite pour le droit des enfants et fonde SOS Inceste, vient y présenter son livre, Le viol du silence. Au crépuscule des années 70 et de certains idéaux de libération des corps et d’émancipation de la jeunesse, parfois à travers la sexualité, cette intervention fait l’effet d’un coup de tonnerre. C’est alors une première sur les écrans : aucune victime n’avait encore osé accuser l’inceste face caméra, sans plus se cacher. Heureusement, la solidité de l’écrivaine face à l’opinion publique de l’époque, plutôt mal-informée sur le concept de consentement, lui aura permis de sensibiliser nombre de spectateurs à la cause.
Sur le plateau, au milieu d’une dizaine d’autres invités interloqués, elle retrace la lourde reconstruction intérieure qu’exige de briser le silence. Le sien a été imposé par un viol commis en pleine nuit par son père, lorsqu’elle avait 15 ans : « Il ne faut pas avoir honte » tient-elle à préciser. Un message qui sera reçu cinq sur cinq par des milliers de victimes et par nombre de médias. Articles, lettres anonymes, appels, publications littéraires brisent l’interdit social à leur échelle : c’est un premier pas significatif. Significatif, mais insuffisant.
En effet, depuis cet événement médiatique, de nombreux livres ont vu le jour, mais aucun n’a été aussi influent. Pourtant, chacun relatait de ces faits qui ne perdent jamais de leur dimension glaçante : la cohabitation dichotomique d’un espace-temps familier, initialement sécurisant, dont les références sont ordinairement universelles et d’un climat de peur et d’intrusivité permanente s’avère être l’un des mélanges les plus terrifiants qui soit. Il l’est parce que son cadre nous est relativement commun, banal, quotidien : il n’est pas question de spectaculaires ruelles sombres, ni d’effrayant inconnu, mais de sa propre chambre et de sa propre famille. Ce décor domestique aussi chaleureux que propice au danger a notamment été repris ces dernières années par le cinéma, avec grand bruit. Mais son traitement s’inscrit souvent à la limite floue entre viol incestueux et viol pédophile sans lien de parenté. Les Chatouilles d’Andréa Bescond et Éric Métayer sorti en 2018 et Fish Tank d’Andrea Arnold distribué quasiment 10 ans plus tôt, comptent parmi les plus populaires. Il n’y est pourtant pas question de mère, de père, ni de cousin.e.s ou de frères et sœurs, mais d’un ami ou petit ami des parents. C’est dire combien le regard n’arrive pas à se fixer sur le noyau névralgique du viol incestueux. Il est grand temps de ne plus en fuir les occurrences.
Faire face aux chiffres, une attitude indispensable pourtant récente
Selon un sondage Ipsos commandé par l’association « Face à l’inceste » et dévoilé il y a seulement quelques mois : 1 Français sur 10 confie avoir été victime d’inceste. C’est-à-dire 10% de la population du pays, ou encore 2 à 3 enfants par classe qu’on pourrait estimer touchés par ces abus intra-familiaux. Ce rapport est d’autant plus bouleversant qu’il ne saurait prendre en compte la part immergée de l’iceberg, à savoir les cas d’amnésies traumatiques récurrents ou les paroles auto-censurées. Les proportions paraissent déjà sidérantes au point qu’on s’imagine mal les appliquer à notre cercle personnel. C’est pourtant ce qu’il faudrait commencer à se figurer, en vertu d’une meilleure attention et prémunition face à la détresse invisibilisée des victimes. D’autres recherches nous y aident.
Connaissiez-vous Virage ? Conduite en 2015, cette étude sur les Violences et rapports de genre de l’Institut national d’études démographiques (Ined) relevait déjà que plus de 90 % des viols au sein du cercle familial « se sont produits pour la première fois entre 0 et 17 ans » indique le document. Autrement dit, les viols incestueux ont lieu durant l’enfance et l’adolescence. Si la donnée ne paraît pas étonnante, elle est primordiale pour comprendre le processus de l’abus incestueux. Ces relevés prouvent en effet que l’individu étant mineur, en plus d’être paralysé par une emprise émotionnelle forte via le lien familial, est en proie, comme pour les victimes de pédophilie, à une impuissance inhérente à son jeune âge : autrement dit, ces enfants ne sauraient être consentants, tout en ne parvenant généralement pas à formuler leur refus. Le souligner n’est pas superflu quand on connaît les plaidoyers récurrents dans ce genre d’affaires, invocateurs de « sentiments d’amour » et de « passions réciproques »…
Ce chantage affectif insidieux, voilà justement ce qui permet aux agresseurs de maintenir le silence et de faire durer la peine. En effet, selon Virage, dans le domaine domestique : « Les modes de contrainte mentionnés le plus fréquemment lors des viols et tentatives de viol rapportés par les femmes et les hommes relèvent de l’abus de confiance : le fait de « profiter [du] jeune âge » est cité 7 fois sur 10, celui de « profiter de [la] confiance » est cité plus d’une fois sur deux. Cet abus de confiance est d’autant plus fréquent que la victime est jeune et que les faits se sont déroulés dans l’espace familial ou des relations avec les proches. Pour les jeunes, et dans le cadre familial, le fait de profiter du jeune âge est cité plus de 8 fois sur dix, notamment par les hommes agressés pendant leur enfance ou adolescence. Lors de l’enquête téléphonique, une victime de viols incestueux avait ajouté en commentaire libre « parce que c’était mon père », « je ne pouvais rien faire parce que c’était mon père » » (p.45).
Ce « père », justement, voilà une figure récurrente des viols incestueux que les chiffres ne démentent pas : « Les hommes représentent cependant 92,6% des violences« que les victimes soient des filles ou des garçons. L’étude le confirme à plusieurs reprises : « Les violences déclarées par les hommes sont elles aussi majoritairement le fait d’un ou plusieurs hommes ». En effet, le patriarcat jouerait un rôle fort dans la systématisation de l’inceste. C’est parce que le père, le frère, l’oncle ou le cousin se trouve globalement maître au sein de la société qu’il s’autorise un pouvoir sur les membres de sa famille, qui plus est lorsqu’ils sont jeunes.
Cette jeunesse est d’autant plus ciblée par la figure masculine qu’elle se situe, par addition avec une culture du respect des aînés, sous ses ordres. L’enfance est dépendante et obéissante par voie de rapports de domination adulte/enfant inhérente à la structure familiale héritée d’un passé proche. En somme, le statut d’homme actuel encourage et éduque à se penser permis, légitimes, libres d’emprise sur autrui : les autres sont, comme le reste du monde, à disposition de ses plaisirs. Bien sûr, un pourcentage certes faible, mais réel, de femmes est à l’origine de viols incestueux. Bien souvent, la représentation maternelle idéalisée comme pure, douce et affective empêche d’en voir toute l’horreur, mais il existe des cas tout aussi graves d’agression par les mères, tantes, cousines, sœurs, etc. On ne saurait cependant parler, comme pour les agresseurs masculins, de phénomène systémique et de problématique sociétale d’envergure.
Pour conclure, les chiffres rappellent surtout que les conséquences sont, pour leur part, a-genrées et conséquentes : « Les victimes, par exemple, présentent un risque élevé de développer un trouble dépressif, des conduites addictives et des troubles alimentaires. Une étude canadienne révèle également que 73 % d’adultes prostitués présentent des antécédents d’abus sexuels pendant l’enfance. […] Pour autant, il n’existe pas une trajectoire type de la victime d’inceste. Il n’y a aucune automaticité des comportements. Surtout, les traumatismes induits par ces violences peuvent être compensés par une prise en charge précoce et adaptée des victimes« . Une lueur d’espoir concernant la prise en charge psychologique que ne semble pas vouloir nourrir la dimension juridique…
Qu’en est-il de la loi ?
Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce n’est qu’en 2016 que des associations obtiennent l’inscription du terme « inceste » dans le code pénal. Que qualifie-t-il ? L’ensemble des viols et agressions sexuelles sur mineur par un ascendant : parents, tuteurs, tutrices, frères et sœurs, oncles, tantes, neveux ou nièces, mais aussi conjoints (concubins, mariés ou pacsés) de ces personnes ayant autorité de droits sur ces enfants.
Un étonnement persiste : avant 2016, comment parlait-on d’inceste en droit ? L’inceste, déjà interdit, faisait en réalité partie, sans distinction, des crimes sexuels. Bien que certaines notes du Sénat avancent qu’ils sont punis plus durement, cet argument reste à vérifier dans la pratique. Quoiqu’il en soit, l’en dissocier plus clairement aurait permis de mieux connaître le sujet et de ne pas découvrir, ces dernières années seulement, que dans 94% des viols les agresseurs sont des proches, et que 40% de ces proches sont issus du cercle familial (selon l’enquête IPSOS 2 de Mémoire Traumatique et Victimologie, soutenue par UNICEF France). L’alerte aurait été donnée : une grande partie des agressions sexuelles sont des incestes. Alors, peut-être, le problème aurait-il été mieux considéré. Le passé n’est cependant plus à refaire. Il n’en est pas moins à prendre en compte dans l’équation de la lutte à venir. Suite et fin de ces quelques focus législatifs :
Le 3 août 2018 marque un virage aussi notable que timide dans la considération des victimes : une loi prolonge le délai de prescription pour le crime de viol sur mineur de 10 années. Concrètement, à partir de sa majorité, la victime pourra donc compter trente années, au lieu de vingt auparavant, pour faire accuser l’auteur de son agression. Que cet allongement soit noté au rang des victoires lui donne un goût bien amer, étant donné l’ampleur du travail d’actualisation législatif qui reste à mener sur le sujet de l’inceste.
Par ailleurs, elle a été suivie d’un échec incompréhensible : la présomption de non-consentement à une relation sexuelle avec un adulte fixée à 15 ans n’est pas retenue. Elle aurait permis de considérer les incestes et viols pédocriminels comme d’emblée abusifs. Si, depuis la loi de février 2010, « il n’est plus nécessaire d’apporter la preuve que l’acte incestueux commis sur un mineur a été exercé avec « violence, contrainte, menace ou surprise » (Art.222-22-1 du Code pénal) » cite SOS Inceste, il reste néanmoins à justifier et expliquer, dans un premier temps, qu’il n’y a pas eu de consentement. Les ambiguïtés juridiques sur ce point sont telles que la plupart des victimes sont lésées par la majorité des jugements rendus par les tribunaux. Isabelle Aubry, présidente de l’association « Face à l’inceste » ne cesse d’en témoigner : « J’ai été violée et prostituée par mon père et la première question que m’a posée le juge d’instruction c’est si j’étais consentante. Je ne savais pas ce que cela voulait dire. Quand vous avez été éduquée dans une telle ambiance, vous ne savez même pas que c’est mal. Mon père a tout avoué et mon avocate Gisèle Halimi m’avait laissé le choix entre un procès d’assises, où il y avait un risque qu’il soit acquitté et le tribunal correctionnel avec une requalification des faits en atteinte sexuelle (infraction réprimant les relations sexuelles, y compris consenties, entre un majeur et un mineur). J’ai choisi le tribunal correctionnel, il a pris six ans, il est sorti au bout de quatre…» (propos rapportés par Public Sénat). Pour exiger un âge automatique de non-consentement, l’association met en ligne une pétition : « Face à l’inceste, changeons la loi ! ». Objectif : 100 000 signatures.
En amont, l’appréhension de devoir défendre sa position aussi douloureuse que troublante lors d’un procès peut fortement dissuader les victimes de porter plainte. C’est un tunnel sans fin : tout est fait pour conforter ces corps objectivés dans cet infini silence né de l’agression, couvé par le cercle proche, entretenu par la société et validé par l’appareil judiciaire.
Mais aujourd’hui, des milliers de témoignages sont en train de se défaire de cette mainmise aussi invisible que tenace. Comment l’expliquer ?
Pourquoi maintenant ?
« Le déni et la loi du silence dominaient. »
Sylvie Cromer, Maîtresse de conférences en sociologie à l’université Lille 2 et directrice de l’Institut du genre du CNRS est formelle. Elle explique au journal du Centre National de la Recherche Scientifique que « dans la société patriarcale du XIXe siècle, on faisait peu de cas des atteintes à l’intégrité morale des enfants violentés. Le déni et la loi du silence dominaient. La sensibilité qui est la nôtre aujourd’hui à l’égard des violences incestueuses s’explique notamment par la démocratisation de la vie familiale (l’époque de la toute-puissance paternelle est révolue) et par l’affirmation, tout au long du XXe siècle, de l’enfant comme sujet de droits« .
En effet, ce sont ces mêmes raisons, que la démocratisation de l’accès à l’information et à la publication ont complétées, qui ont notamment permis l’émergence du mouvement social #MeToo en 2007, puis sa popularisation définitive en 2017 à travers l’affaire Weinstein. Des milliers de femmes, quelques années seulement en arrière, osaient enfin parler des agressions sexuelles subies. De cette vague de protestations, de confessions et d’accusations sont nées des vagues de réflexions qui ont permis de tordre le cou à une myriade de préjugés.
On a notamment pu se rendre compte que les violences sexuelles n’étaient pas propres aux milieux sociaux défavorisés, loin de là. Lieux de travail, y compris qualifiés et cadres, viols conjugaux, espace médical, juridique, mais également culturel et intellectuel : toutes les classes et catégories sociales sont touchées par ces crimes.
Et l’inceste n’échappe pas à la règle : « Il faut en finir avec la thèse misérabiliste selon laquelle les violences incestueuses seraient l’apanage des familles défavorisées. Ce stéréotype qui fait écran à l’appréhension de la réalité ordinaire de l’inceste reste extrêmement vivace. Il continue de sévir, en particulier, chez des professionnels de tous horizons (police, justice, santé, éducation sociale…) et dans les médias, comme on a pu le voir pendant le procès d’Outreau en 2004 » souligne la directrice de « Face à l’inceste ». Et de poursuivre afin de contredire un biais cognitif répandu : « Si les études menées par les institutions judiciaires ou de protection de l’enfance donnent à penser que les violences sexuelles sont plus nombreuses dans les familles populaires, c’est notamment parce que ces familles sont plus étroitement surveillées par les travailleurs sociaux, et que les familles à fort capital économique et culturel disposent de stratégies fortes de déni et de maintien d’une culture du silence« . Une réalité dont témoigne sans détour le livre de Camille Kouchner. Un regard, précieux, qui l’est encore plus à la lumière de tous les autres. Pour leur rendre justice, prenons aussi le temps d’écouter.
Entendre la parole émergente : des réseaux aux podcasts.
Depuis le mouvement #MeToo, de nombreuses initiatives ont été mises en place pour ménager et faire grandir la parole des femmes. Films, manifestations, recherches, musiques, assemblées, ateliers, associations, mais aussi des centaines de podcasts. En effet, avant #MeTooInceste, ces enquêtes sonores féministes trouvaient déjà naturel de consacrer certains de leurs épisodes à l’inceste, rappelant combien les luttes pour les droits de la femme et les philosophies qui les accompagnent sont bien plus larges qu’il n’y paraît.
Ainsi a vu le jour l’épisode 24 d’Un Podcast à Soi créé par Charlotte Bienaimé et produit par ArteRadio. « A chaque fois, on s’étonne, on s’insurge. Il ne s’agit pourtant pas de faits isolés ou de lieux spécifiques, mais de tout un système. Un système qui semble peu ou jamais analysé, ni décrypté. C’est ce que cet épisode tente de faire. Pourquoi un tel déni et une telle impunité ? Quel rapport avec le patriarcat ? Avec les questions de dominations ?« . Pendant une heure et demie presqu’insoutenable, mais d’utilité publique, des intervenants tentent d’y répondre. En douceur, avec beaucoup de justesse et de rigueur, ce chapitre sobrement intitulé « Inceste et pédo-criminalité » présente l’inceste sous un jour peu entendu jusque-là, depuis les riches paroles de victimes jusqu’au témoignage d’un père incestueux.
Pour le compléter cette écoute, le travail de Charlotte Pudlowski est également édifiant : 7 épisodes dont une table ronde, pour aborder le tabou de l’inceste. « Ou peut-être une nuit”, ainsi baptisée, est une série de podcasts accueillant des voix de victimes. Parmi elles, la mère de Charlotte Pudlowski elle-même. Les révélations sont riches de cette relation particulière entre l’animatrice et son témoin, une situation que nous pourrions tous être amenés à rencontrer et qu’il faut, enfin, apprendre à gérer.
Pour conclure, à l’image de ce dernier chapitre, laissons place à quelques témoignages directs que nous ne saurions remplacer :
#metooinceste Je réalise que dans les années où ça m'est arrivé, beaucoup d'adultes, faisant partie de "l'élite intellectuelle" se délectaient de malheureuses victimes dans un discours à la normalité assumée. A gerber.
— Javais11ans (@javais11ans) January 20, 2021
#metooinceste Il me disait: "je vais t'apprendre à être une vraie fille"
— A.C (@AC47836396) January 20, 2021
#metooinceste A 7 ans en 1974 mon oncle me viole et je n'ai rien dit et rien compris. 2 tentatives de suicide à 16 ans et je l'ai dit vaguement à mon père . Il n'a rien fait et j'ai toujours eu peur de ce pédophile jusqu'à sa mort il y a 30 ans. Cela me hante toujours..
— Elisabeth (@Elisabe84069968) January 20, 2021
https://twitter.com/clo2f/status/1351915801889157122?s=20
J'avais 6 ans, puis 7, 8 et enfin 9 ans lorsque mon frère m'a violé.
Tout ce que je fais aujourd'hui, c'est pour me réconcilier avec l'enfant que j'étais et que j'ai si souvent l'impression d'avoir abandonné… Regarde ce qui se passe aujourd'hui. C'est beau non ?#metooinceste pic.twitter.com/YGnEPojtBY— Laurent Boyet (@assopapillons) January 16, 2021
Un courage que ne peut qu’humblement soutenir Mr Mondialisation. Retrouvez l’ensemble de ces témoignages sur cette page Twitter.
Sharon Houri
Sources :
https://twitter.com/search?q=%23metooinceste…
https://facealinceste.fr/blog/petitions/face-a-l-inceste-changeons-la-loi
https://lejournal.cnrs.fr/articles/ce-que-lon-sait-de-linceste-en-france
https://www.publicsenat.fr/article/politique/inceste-vers-la-creation-d-un-crime-specifique
https://www.memoiretraumatique.org/campagnes-et-colloques/2019…
https://www.senat.fr/lc/lc102/lc1020.html