Dans son nouveau rapport annuel, l’ONG Global Witness décompte 196 assassinats de militants dans le monde en 2023. Ces attaques meurtrières se concentrent dans quatre pays clés, où 70% des meurtres sont commis : le Brésil, la Colombie, le Honduras et le Mexique. Depuis que l’organisation a débuté son travail de signalement, plus de 2 000 défenseurs de l’environnement ont été assassinés à travers le globe.

« Savoir que ma vie est en danger tous les jours est profondément éprouvant. Et je sais que je ne suis pas seule », explique Nonhle Mbuthuma, lauréate du prix Goldman 2024 et fondatrice du Comité de crise d’Amadiba qui lutte contre un projet d’extraction de titane dans la Province du Cap-Oriental, en Afrique du Sud.

Près de 200 militants assassinés

Et pour cause, en 2023, au moins 196 militants oeuvrant pour les droits humains et la protection de l’environnement ont été assassinés selon le nouveau rapport publié par l’ONG Global Witness, l’organisation britannique dénombre les représailles à l’égard des militants à travers le monde depuis 2012.

« Ce rapport montre que dans chaque région du monde, les personnes qui dénoncent les dommages causés par les industries extractives – comme la déforestation, la pollution et l’accaparement des terres – sont confrontées à la violence, à la discrimination et aux menaces », résume l’activiste sud-africaine dans le préambule. Au total, ils sont 2 106 à avoir été assassinés en 11 ans pour la cause qu’ils défendaient.

Une violence inouïe à l’égard des activistes

Au-delà des attaques meurtrières, des représailles plus larges sont recensées par l’organisation : enlèvement, actes de violence, intimidation, campagnes de diffamation et criminalisation sont des phénomènes particulièrement répandus pour tenter de faire taire les activistes.

L’Amérique latine enregistre 85% des décès en 2023. – Crédits : Global Witness Annual Defenders Report 2023/2024 – Sep 10 2024

C’est en Amérique latine que 85% des meurtres sont documentés. « La Colombie est le pays le plus meurtrier au monde pour les défenseurs de la terre et de l’environnement, avec 79 assassinats en 2023, soit 40 % de tous les cas signalés », rapportent les auteurs du rapport. « Il s’agit du total annuel le plus élevé pour un pays documenté par Global Witness depuis que nous avons commencé à documenter les cas en 2012 ». En un peu plus d’une décennie, 461 militants y ont été assassinés.

Des communautés particulièrement ciblées

Parmi eux, 31 des personnes tuées en Colombie étaient des autochtones et six étaient membres de communautés afrodescendantes. De manière générale, le nombre disproportionné d’attaques contre les peuples autochtones (85) et les Afrodescendants (12) s’est poursuivi à l’échelle mondiale, visant notamment les représentants de communautés locales qui luttent contre les invasions de terres ancestrales, « souvent avec peu ou pas de soutien de l’État », et donc peu de protection.


Gratuit, sans subvention et indépendant depuis 10 ans, nous avons besoin de vous pour continuer ce travail en 2024. Sens-toi libre d’activer un abonnement volontaire sur ce lien en offrant un thé à l’équipe. Merci infiniment.


En outre, les femmes sont également confrontées à des défis supplémentaires que leurs homologues masculins et à des risques spécifiques liés au genre, « notamment lorsqu’elles défient les normes de genre traditionnelles », détaille l’organisation. Global Witness met ainsi en cause la « nature patriarcale de la violence contre les défenseurs », nécessitant une stratégie publique qui s’attaque aux formes croisées d’oppression.

Des chiffres incomplets par manque d’accès à l’information

En Asie, 468 activistes ont été assassinés entre 2012 et 2023, dont 64 % aux Philippines (298), avec des cas supplémentaires en Inde (86), en Indonésie (20) et en Thaïlande (13). D’autres formes d’intimidation, moins violentes mais non moins efficaces, sont également de plus en plus utilisées comme tactique pour réprimer l’activisme dans la région.

- Pour une information libre ! -Soutenir Mr Japanization sur Tipeee

« Forum Asia a identifié le harcèlement judiciaire comme la violation la plus enregistrée contre les défenseurs des droits humains en Asie en 2021 et 2022, recensant 1 033 incidents ».  

Le rapport signale également sept disparitions forcées aux Philippines, « et la tendance semble s’étendre à d’autres pays en 2024 », s’inquiète l’organisation.

Les Philippines est le pays le plus dangereux d’Asie pour les militants environnementaux en 2023 – Crédits : Global Witness Annual Defenders Report 2023/2024 – Sep 10 2024

L’Afrique reste de loin le continent qui enregistre le moins d’agressions : seuls deux défenseurs ont été assassinés en République démocratique du Congo, un au Rwanda et un au Ghana en 2023. Mais derrière cette apparente sécurité ce cache un accès à l’information lacunaire et compliqué, source d’une  « sous-estimation grossière », selon l’association.

Les minerais au coeur du conflit

Même s’il reste difficile d’établir un lien direct entre la mort d’un activiste et des intérêts commerciaux spécifiques, Global Witness identifie l’exploitation minière « comme étant de loin le plus grand moteur de l’industrie ». Plus de 40 % des décès liés à cet enjeu ont eu lieu en Asie entre 2012 et 2023. La région dispose en effet d’importantes réserves naturelles de minéraux essentiels, indispensables aux technologies dites propres, « notamment le nickel, l’étain et la bauxite ».

L’extraction minière était l’enjeu le plus meurtrier en 2023, devant l’industrie forestière, la pêche et l’agrobusiness. – Crédits : Global Witness Annual Defenders Report 2023/2024 – Sep 10 2024

En Occident, l’organisation déplore les mesures prises par les gouvernements qui vise à limiter le droit de manifester.

« Les libertés civiques sont menacées dans l’Union européenne, au Royaume-Uni et aux États-Unis, et les militants sont de plus en plus souvent poursuivis en justice par les entreprises et les gouvernements pour avoir participé à des manifestations pacifiques ».

Malheureusement, il existe encore de nombreuses histoires de personnes courageuses qui ne sont jamais racontées. « Partout dans le monde, ceux qui s’opposent à la destruction de leurs terres et de leurs foyers sont confrontés à la violence et à l’intimidation. Pourtant, l’ampleur de ces attaques reste cachée », regrettent les auteurs du rapport. « De nombreux meurtres ne sont pas signalés. La peur des représailles empêche les familles de demander justice et les communautés sont contraintes au silence. Les journalistes deviennent des cibles. Les histoires sont enterrées, étouffées, effacées ».

Agir pour sauvegarder nos libertés fondamentales

L’organisation Global Witness déplore également la discréditation des mouvements de défense des droits de l’homme et de l’environnement dans les médias traditionnels observée ces dernières années. « Les défenseurs sont classés comme des extrémistes climatiques et considérés comme des menaces terroristes, dans un contexte d’augmentation des poursuites, de brutalité policière et d’intimidation judiciaire ». En réaction, certains craignent un effet dissuasif important sur la société civile et l’exercice des libertés fondamentales.

Face à cela, l’organisation britannique plaide pour une collecte de données systématique des attaques subies par les militants afin d’assurer une protection légale en phase avec les réalités et les défis auxquels ils sont plus que jamais confrontés.

– L.A.


Photo de couverture : Charles Rocil, un jeune militant anti-exploitation minière, tient une pancarte contre l’exploitation minière sur l’île de Sibuyan, dans la province de Romblon, aux Philippines. Basilio Sepe / Global Witness

- Cet article gratuit et indépendant existe grâce à vous -
Donation