Nous avons récemment publié sur les réseaux sociaux une planche de bande dessinée de l’artiviste Mélanie Body, abordant un sujet aussi simple qu’essentiel : le consentement sexuel. Résultat : plus d’un millier de commentaires, certains particulièrement choquants, témoins d’une culture du viol bien ancrée. Mais celle-ci doit-elle vraiment être une fatalité ? Et si une autre société était possible ?
L’idée que personne ne doit des relations sexuelles à qui que ce soit, peu importe le contexte — qu’il s’agisse d’un rendez-vous, d’une tenue vestimentaire ou d’un comportement particulier — est un concept parfaitement basique, abordé dans cette BD. Il s’agit du simple respect de la liberté et de l’intégrité de chaque individu. Pourtant, malgré cette évidence, certains ne le voient pas de cet œil-là.
La déferlante sexiste
Des milliers de commentaires, pour la plupart issus d’hommes, illustrent la profondeur d’une culture du viol enracinée dans notre société, une culture qui continue d’objectifier les femmes et à banaliser les agressions sexuelles. Le ton des réactions varie entre l’ignorance pure du consentement, des stéréotypes sexistes bien ancrés, la culpabilisation des victimes, et même des relents de racisme.
Le tout, sous couvert d’humour ou de provocation, camoufle une vérité profondément dérangeante : ces discours traduisent une mentalité dangereuse qui alimente la violence envers les femmes et perpétue l’impunité des agresseurs. Nous en avons mis en avant quelques uns qui sont assez représentatifs, mais en réalité il y en a des centaines, tous présents sous cette publication.
Une banalisation des violences sexuelles, teintée de racisme
Ces commentaires, certains à la limite de l’absurde, révèlent une profonde méconnaissance des mécanismes de la violence sexuelle et montrent au passage à quel point la propagande d’extrême-droite fonctionne dans les esprits, avec ses boucs-émissaires et ses discours qui alimentent la haine de l’autre pour faire diversion et détourner l’attention de graves phénomènes de société qui nous concernent toutes et tous.
Ces propos vont d’idées abjectes selon lesquelles une femme serait « redevable » de son corps dès lors qu’on lui paie un repas, jusqu’à des discours purement racistes laissant sous-entendre que seules les personnes racisées seraient responsables de viols.
Pourtant, les faits sont implacables, les violences sexuelles sont un phénomène de société qui touche toutes les communautés, sans distinction de couleur de peau, de religion ou de classe sociale. Rejeter la faute sur des minorités ethniques ne fait que renforcer des stéréotypes malhonnêtes et empêche de regarder en face ce vaste problème structurel : le patriarcat.
Dire que « c’est la faute aux migrants » n’est rien d’autre qu’une manière de détourner la conversation et d’éviter de reconnaître que la violence sexuelle est un problème interne, qui existe partout dans la société.
Prenons un exemple bien réel et récent : l’affaire des viols de Mazan, où l’on retrouve près d’une centaine de violeurs (51 étant actuellement en procès), dans une zone géographique très limitée. Des dizaines d’hommes, tout à fait ordinaires, à priori « respectables », qui sont en fait des criminels qui n’ont pas hésité à violer une femme droguée par son mari. Et ceci sans compter tous ceux qui ont vu l’annonce et qui ne l’ont pas dénoncée.
Cette affaire montre une fois de plus que les violeurs sont des Monsieur-tout-le-monde, et que les violences sexuelles sont un phénomène globalisé et omniprésent, qui transcende les barrières ethniques et sociales. Le stéréotype du violeur comme étant « l’autre » est non seulement faux, mais il contribue aussi à minimiser la responsabilité des hommes blancs dans ces crimes.
La réalité est au final bien plus inconfortable : les violences sexuelles sont le fruit du patriarcat, système profondément inégalitaire qui valorise le pouvoir et le contrôle des hommes sur les femmes, et qui touche absolument toutes les sphères de la société. Un système qui profite aux hommes, qu’ils le veuillent ou non, qu’ils en aient conscience ou non.
Et cela ne sous-entend pas que tous les hommes sont des violeurs mais que la culture du viol et de l’impunité les y encourage. Plus spécifiquement, on pourrait parler ici de phallocratie, qui glorifie le pouvoir symbolique du phallus et représente la domination masculine fondée sur la sexualité.
L’objectification persistante des femmes
Ce qui est particulièrement déconcertant dans ces commentaires, c’est cette vision persistante de la femme comme étant un objet, propriété de l’homme. Comment peut-on encore croire qu’au 21e siècle, une femme « doit » quelque chose en échange d’un verre ou d’un repas ? Cette perception archaïque révèle à quel point les schémas patriarcaux imprègnent toujours les mentalités.
Les hommes qui se fâchent de ne pas obtenir ce qu’ils estiment être leur « dû » après un rendez-vous manquent profondément de compréhension de la liberté fondamentale de disposition de soi. Comme si payer un dîner à quelqu’un offrait soudainement des droits sur son corps.
Alors oui, certaines personnes, hommes comme femmes, peuvent parfois tirer avantage de la situation financière d’autrui. Mais cela n’a rien à voir avec le consentement sexuel. De plus, malgré les inégalités salariales qui persistent – les hommes gagnant encore en moyenne plus que les femmes pour des postes équivalents – partager l’addition est aujourd’hui une pratique courante.
De plus en plus de femmes invitent elles-mêmes, et cela ne change en rien les règles fondamentales du respect de l’autre. Faire d’importantes dépenses lors d’un rendez-vous est un choix personnel, il ne doit en aucun cas donner lieu à des attentes sexuelles implicites ou explicites. Croyez-vous sérieusement que les femmes que vous invitez devraient se comporter comme des travailleuses du sexe en échange d’un repas ?
L’argument de la « misère sexuelle » pour justifier les viols
Un argument qui revient régulièrement lorsque l’on parle des violences sexuelles est celui de la « misère sexuelle » des hommes. Le manque de sexe, cette frustration, les pousserait donc à commettre l’irréparable. Au-delà du fait que cette justification alimente un stéréotype sexiste toxique en présentant une vision purement dégradante et réductrice des hommes, comme s’ils étaient incapables de gérer leurs frustrations autrement que par la violence, elle est par ailleurs erronée et ne prend pas en compte le conditionnement social dont les hommes aussi, sont victimes.
S’il existe une souffrance bien réelle chez les hommes, apposer sur celle-ci le terme fallacieux de « misère sexuelle » conduit à penser qu’il y a une privation induite par les femmes, rejetant de facto la responsabilité des violences sexuelles sur les victimes, ce qui est purement inacceptable et lâche.
Une excellente vidéo à regarder concernant ce phénomène : « La misère des hommes sous les draps », par la chaîne Les vidéos de Léo. Celle-ci inclut trois témoignages d’hommes qui ont vécu de manière frappante ce manque qui les a fait souffrir, mais qui en réalité, n’était pas vraiment lié au sexe mais aux stéréotypes de genre qui leur sont imposés. Il y parle également du consentement, celui des femmes mais aussi celui des hommes, ce dernier étant un sujet encore particulièrement tabou, ce qui les conduit à ne pas respecter leur propre corps et par conséquent, encore moins celui des femmes.
Dans la vidéo, Léo cite plusieurs hommes qui ont étudié tout particulièrement ce phénomène de « misère sexuelle ». Parmi eux, Steve Bearman, écrivain et fondateur de l’Interchange Counseling Institute. Steve Bearman, explore les impacts du patriarcat sur les hommes, mettant en lumière comment les attentes culturelles liées à la masculinité peuvent causer de l’isolement émotionnel, des blessures psychologiques, et des comportements obsessionnels liés à la sexualité.
« De manière directe ou indirecte, la sexualité nous est donnée comme le seul véhicule par lequel il serait encore possible d’exprimer et d’expérimenter certains aspects essentiels de notre humanité. Le sexe nous est présenté, depuis longtemps, comme seul chemin vers une réelle intimité, une proximité absolue, comme seul domaine où il est possible de s’aimer ouvertement, d’être doux et vulnérable en toute sécurité. » – Steve Bearman
Dans son article « Why men are so obsessed with sex », Steve Bearman analyse la condition masculine sous l’angle de l’isolement émotionnel et physique des garçons dès leur enfance, lié à la manière dont la société les conditionne à réprimer leurs sentiments, à éviter l’intimité, à ne pas éprouver de l’empathie, et à rechercher une forme de validation à travers la compétition et la violence. Les garçons, tout en étant naturellement portés à l’intimité et à la sensualité, sont poussés à s’en éloigner, ce qui les isole et les désensibilise.
En grandissant, ils intègrent l’idée que le sexe est la seule voie d’accès à l’intimité et à l’expression émotionnelle, ce qui mène à une obsession pour celui-ci. Une obsession alimentée par des attentes irréalistes et des blessures émotionnelles profondes. Selon lui, pour sortir de ces schémas, les hommes devraient se reconnecter à leurs émotions, leurs corps et autrui, redécouvrir leur sensualité et développer des relations intimes non sexuelles.
L’obsession sexuelle pourrait alors être remplacée par une vie plus épanouissante, où le sexe devient un choix parmi d’autres pour exprimer la passion et la tendresse, se libérant du conditionnement masculin qui mène à l’isolement et à l’obsession. On pourrait ainsi parvenir à une approche plus empathique et solidaire des relations humaines, en promouvant l’intimité émotionnelle et la guérison collective à travers l’écoute, la vulnérabilité et la compassion.
Dans son article « Fuel for Fantasy: The Ideological Construction of Male Lust », le sociologue américain Michael Kimmel écrit quant à lui que :
« Le plaisir sexuel est rarement le but d’un rapport sexuel ; quelque chose de bien plus important que le plaisir est en jeu : notre sentiment de soi en tant qu’hommes. Le sentiment de pénurie sexuelle et leur besoin presque compulsif de sexe pour confirmer leur virilité s’alimentent mutuellement, créant un cercle vicieux de privation sexuelle et de désespoir. »
Violences sexuelles en phallocratie : une réalité encore manifestement trop taboue
Chaque année, des dizaines de milliers de plaintes pour violences sexuelles sont déposées, mais une écrasante majorité d’entre elles sont classées sans suite. Selon une enquête datant de 2022, de Vécu et ressenti en matière de sécurité – VRS, seulement 2% des personnes de 18 à 74 ans victimes de violences sexuelles hors cadre familial osent porter plainte.
Ces statistiques sont le reflet d’un système où la parole des victimes est minimisée et où la culpabilité des agresseurs est souvent effacée ou ignorée. Des chiffres effrayants qui montrent à quel point la culture du silence et de l’impunité est encore omniprésente.
Une autre enquête, particulièrement glaçante, est celle de #NousToutes, sur le consentement dans les rapports sexuels. Elle met en lumière l’effrayante banalisation des actes non consentis, avec de nombreux témoignages illustrant ces réalités, tout en appelant à une meilleure éducation et à des actions politiques pour aborder la question du consentement et lutter contre la culture du viol.
Les commentaires non modérés que nous avons choisis de laisser visibles dans notre publication ne sont que la surface d’un problème bien plus profond. Ils révèlent les racines profondes d’une culture de l’impunité, alimentée par des stéréotypes sexistes et racistes. Laisser ces commentaires visibles, c’est exposer ce qui gangrène encore notre société.
Les effacer, c’est aussi rendre invisible la violence verbale et psychologique que subissent quotidiennement les femmes lorsqu’elles osent parler de sujets aussi basiques que le consentement. C’est précisément en les laissant là, à la vue de tous, que nous pouvons exposer les racines de cette culture toxique. Il est essentiel de confronter cette réalité, aussi inconfortable soit-elle.
Face à ces réactions, notre rôle est d’amplifier les voix qui luttent pour une société juste et égalitaire, où chaque individu, quel que soit son sexe, sa couleur de peau ou son orientation sexuelle, a le droit fondamental de disposer de son corps, sans peur, ni pression, ni objectification. Aujourd’hui, plus que jamais, il est impératif que nous continuions à dénoncer ces idées rétrogrades et destructrices.
Les hommes et les femmes doivent tous et toutes prendre conscience de l’importance de concepts purement basiques tels que le consentement, le respect mutuel et l’égalité des droits. L’heure est venue de déconstruire ces mentalités toxiques et de revendiquer un changement réel. Nous avons tous à y gagner.
Les cultures sans viol existent : et si on essayait ?
On en entend très peu parler et pourtant, il a existé et il existe des cultures sans viol, souvent des sociétés matrilinéaires, où la continuité sociale est assurée par lignée maternelle plutôt que paternelle. Mais pas que ! Précisons également que la plupart ne sont aucunement matriarcales, par opposition au patriarcat : les rapports entre les hommes et les femmes y sont, de manière globale, bien plus égalitaires.
Les deux sexes y sont vus comme étant équitablement importants et au-delà de la quasi-absence des agressions sexuelles dans ces sociétés, la violence y est très peu présente. Les femmes n’ont pas peur de se faire agresser lorsqu’elles se promènent seules la nuit. Dans ces cultures, l’environnement est lui aussi respecté, les rapports de domination quels qu’ils soient y étant généralement très peu présents.
Les Iroquois par exemple, sont une confédération de peuples amérindiens qui ont historiquement occupé une grande partie du nord-est de l’Amérique du Nord. Ils étaient particulièrement connus pour leur organisation sociale et politique exceptionnelles en matière de paix et d’égalité. Leur société matrilinéaire était unique en Amérique du Nord et a suscité un grand intérêt chez les anthropologues, témoignant d’une conception différente des relations entre les sexes et du pouvoir, où les femmes jouaient un rôle central dans la vie sociale et politique. Le viol y aurait été inexistant.
Chez les Iroquois, bien que les rapports entre les hommes et les femmes pouvaient varier selon les peuples, ils étaient toutefois marqués par une forte égalité et complémentarité. La société iroquoise valorisait ainsi une répartition équilibrée des responsabilités entre les sexes. Les arts, l’artisanat et la spiritualité basée sur l’interconnexion de tous les êtres vivants étaient également des éléments centraux de cette culture.
Aujourd’hui, à cause de l’ineffablement violente colonisation européenne qui a entrepris notamment d’éradiquer leur culture, il ne reste qu’environ 150 000 Iroquois dans le monde, principalement en Amérique du Nord. Malgré ces défis, ils continuent de lutter pour préserver leur culture et leurs droits, engagés dans des actions pour la défense de leurs territoires, la revitalisation de leurs langues et la reconnaissance de leurs droits ancestraux.
Les Pygmées Mbuti sont, quant à eux, un peuple méconnu qui vit principalement dans la forêt Ituri, en République Démocratique du Congo. Il ont pour particularité leur profonde connexion avec la nature. Contrairement à nous, ils ne sont pas sédentaires et se déplacent au gré des saisons et de la disponibilité des ressources. Ils vivent en petites communautés très unies, où les décisions sont prises collectivement.
Les rapports entre hommes et femmes chez les Mbuti sont caractérisés par une grande égalité et une coopération étroite – il n’y a pas de hiérarchie stricte entre les sexes. Leur spiritualité est animaliste et la musique et la danse occupent une place centrale dans leur vie sociale. Mais leur culture, unique et fragile, est aujourd’hui menacée, notamment par une pression grandissante à intégrer la société dominante et globalisée.
Ces exemples de sociétés, parmi bien d’autres, nous offrent un modèle alternatif, où les relations entre les sexes sont fondées sur l’égalité et le respect mutuel. Bien qu’elles évoluent et soient confrontées à de nombreux défis, elles nous rappellent que d’autres façons de vivre ensemble sont possibles. En s’inspirant de ces exemples, nous pouvons repenser nos propres sociétés et construire un avenir où la violence sexuelle n’a plus sa place.
Avec la libération de la parole des femmes, on se rend compte aujourd’hui, plus que jamais, de la prépondérance et de la puissance des mentalités toxiques à déconstruire et ceci, autant pour le bien des femmes que celui des hommes. Les réactions que suscitent des idées subversives vont de la simple incompréhension et méconnaissance des enjeux sociaux actuels, jusqu’aux insultes et menaces, parfois même de mort comme on a pu le constater à maintes reprises.
Mais l’ampleur du problème ne doit pas nous décourager. En exposant les mécanismes de la culture du viol et en déconstruisant les mythes qui l’alimentent, nous posons les fondations d’un changement durable, les bases d’une société plus juste et plus égalitaire.
La lutte contre les violences sexuelles nécessite une transformation profonde de nos mentalités. Il s’agit de remettre en question les normes sociales patriarcales qui ont pendant longtemps légitimé la violence envers les femmes. En dénonçant les discours haineux, en soutenant les victimes et en promouvant une éducation à l’égalité, nous pouvons contribuer à créer une société plus juste et plus respectueuse. Il est possible de construire un monde meilleur, en nous inspirant de cultures où le respect et l’égalité priment. Continuons d’amplifier les voix de celles et ceux qui se battent pour la justice et l’égalité. Le changement est à notre portée, saisissons-le.
– Elena Meilune
Photo de couverture @Anghelo Estrada Fú / Pexels