Dans le nord-ouest du pacifique, 40% des populations de saumons Chinook sont éteintes localement, et une large partie des individus restants sont en voie de disparition. Résultat : tout un écosystème qui dépend du saumon est menacé, et notamment les orques qui s’en nourrissent. La cause principale est à chercher du côté des quatre barrages de la rivière Snake, qui tuent environ 8 millions de saumons juvéniles chaque année et empêchent les adultes de se reproduire. Le 1er mars, des activistes du monde entier ont ainsi commencé une marche de 380 km pour demander aux autorités de briser ces barrages au plus vite.

Dans l’état de Washington, au nord-ouest des États-Unis, un écosystème unique est en danger. À cause des barrages hydroélectriques, la rivière Snake, l’un des affluents majeurs du fleuve Columbia, voit ses populations de poissons diminuer inexorablement. Les trois espèces de saumon de la zone sont en danger, mais la plus impactée est le Chinook, le plus gros, menacé d’extinction. Les quatre barrages empêchent en effet les adultes d’opérer leur cycle de reproduction naturel, et sont à l’origine du déclin inévitable des populations. En 2019, les migrations de saumons dans le bassin du Columbia et la rivière Snake étaient ainsi parmi les plus basses jamais enregistrées de l’histoire.

Des solutions alternatives vaines

Or le saumon est la clé de voûte de tout un écosystème complexe, des ours qui s’en nourrissent aux arbres, en passant par les loups et les oiseaux. Il constitue également 80% du régime alimentaire des orques qui vivent au large des côtes américaines, au sud de la Colombie Britannique. À ce jour, il ne resterait que 72 individus d’orques sauvages dans la zone, l’espèce est également en voie critique d’extinction. Comme on ne cesse de le constater, l’activité humaine impacte en cascade les équilibres naturels, projetant de plus en plus d’espèces dans le gouffre. La grogne monte du côté des nombreux activistes de diverses associations qui luttent pour préserver la biodiversité locale, mais aussi au sein des communautés natives, comme les Palouse et les Nez Percé, très attachés à leurs terres ancestrales.

Des solutions alternatives pour sauver les populations de saumons ont bien été explorées. Les déversements, de bien rares trous aménagés dans les barrages pour permettre le passage des poissons, ont ainsi dans un premier temps augmentés. Des contournements et des programmes de restauration de l’habitat ont été mis en place, et la pêche des saumons a été interdite en eau douce sur le territoire américain. Mais rien n’y fait, le problème reste structurellement le même. Les remontées de poissons demeurent en déclin et les orques meurent de faim. Néanmoins, les agences fédérales et les élus locaux refusent de considérer la solution la plus évidente, l’enlèvement des barrages de la rivière Snake.

Les orques de la côte pacifique en voie d’extinction – Crédit photo : Tori Obermeyer

Des barrages en déficit

Cette solution s’impose pourtant d’autant plus que ces barrages sont économiquement déficitaires. Ils font perdre de l’argent chaque année à la Bonneville Power Administration (BPA), l’agence fédérale tentaculaire qui commercialise l’électricité produite par les 31 barrages du bassin de Columbia. La BPA doit en effet emprunter 1,6 milliard de dollars auprès du gouvernement fédéral pour entretenir les quatre barrages de la rivière Snake. L’argent des contribuables américains est donc utilisé pour maintenir des dispositifs déficitaires aux impacts désastreux sur la biodiversité locale.

Des études indépendantes, comme ce rapport publié en Juillet par EcoNorthwest, confirment pourtant la nécessité d’enlever ces barrages, se basant sur des analyses de coût-bénéfice strictement économiques. Daniel Malarkey, co-auteur de l’étude, déclare qu’ils ont atteint la fin de leur rentabilité et de leur vie, insistant sur les « alternatives zéro carbones qui n’engendrent pas l’extinction des poissons ». Les arguments en faveur du maintien des barrages ont en effet été fortement remis en cause par le développement de sources d’énergie plus propres (solaire, éolienne et issues du gaz naturel), qui sont devenues les moins chères du Nord-Ouest du Pacifique. Pourtant, aucune source d’énergie n’est véritablement totale propre (énergies grises).

Source : https://marchforthedams.com

Une nécessité environnementale mais aussi économique

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La Bonneville Power Administration, dont le développement des énergies alternatives a fait chuter les comptes, continue de résister, arguant que l’économie de la région serait inséparable du système d’énergie hydroélectrique, comme le rapporte un article de la prestigieuse Yale School of Forestry & Environmental Studies. Mais cet argument est loin de faire l’unanimité. Le collectif March4thedams, à l’origine d’une marche visant à mettre la pression sur les autorités locales, estime ainsi qu’ouvrir une brèche dans les quatre barrages cette année permettrait de gagner 8,65 milliards de dollars au cours des 25 prochaines années et de créer en moyenne 317 emplois par an.

Le coût estimé pour créer ces brèches serait par ailleurs de « seulement » 340 millions de dollars, et l’opération ne devrait prendre qu’environ six mois pour les deux premiers barrages. Un an et demi plus tard, le saumon sera théoriquement de retour sur la côte pacifique. Soutenant ce projet, 700.000 signatures ont été déposées au Gouverneur de l’état de Washington Jay Inslee, et le 18 février dernier, Kate Brown, gouverneure de l’Oregon, a déclaré que l’enlèvement des « quatre barrages de la rivière Snake est la solution la plus certaine et la plus robuste à la restauration des saumons ».

Une marche de 380 kilomètres

Aucune décision en ce sens n’a encore été prise à l’heure actuelle, malgré l’urgence de la situation et les irréfutables preuves des impacts économiques et environnementaux désastreux du maintien des barrages. Pire, un document longtemps attendu sur l’impact environnemental (Environmental Impact Statement (EIS)) a été publié par le corps des ingénieurs de l’armée américaine (U.S. Army Corps of Engineers), la Bonneville Power Administration et le Bureau de Réclamation, rejetant le perçage des barrages. Un délai de 45 jours, jusqu’à la fin du mois de mars, a été accordé au public pour envoyer leurs commentaires au US Army Corps of Engineers.

Une marche de 380 km pour protester contre le maintien des barrages.

La mobilisation s’est donc organisée, et depuis début mars, plus de 100 personnes participent à une marche de 380 kilomètres de Portland (Oregon) jusqu’à l’écluse de Ice Harbor, dans l’état de Washington. L’événement, organisé par Coextinction Foundation, le mouvement We Are The Orca et les PNW Protectors, inclut des membres des tribus Palouse et Nez Percé ainsi que des activistes et influenceurs du monde entier. Leur but est de faire pression sur la BPA et le gouverneur de l’état de Washington pour leur faire entendre raison, et d’encourager le public à envoyer des commentaires demandant que la solution de percer les barrages soit choisie par les autorités. « Nous avons besoin que tout le monde nous rejoigne pour que les entreprises et les lobbies amenant ces deux espèces (ndlr : les orques et les saumons) à leur extinction soient finalement tenus responsables et agissent », appelle Morgane Trussardi, co-organisatrice du mouvement.

Des manifestations devraient également avoir lieu le 22 mars 2020, jour de la fin de la marche, à Paris et Londres pour alerter l’opinion publique mondiale sur la situation. Cela fait maintenant 20 ans que le débat fait rage à propos du maintien des quatre barrages. Les faits scientifiques sont pourtant sans appel : les percer dès aujourd’hui serait bénéfique d’un point de vue environnemental et économique. Or l’urgence de la situation ne permet pas une autre année de débat, c’est aujourd’hui qu’il faut agir pour sauver des espèces de l’extinction et restaurer un écosystème en danger.

En savoir plus / #WeAreTheOrca #March4TheDams

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