La contre-culture punk, et notamment anarcho-punk, a eu sur le véganisme, la permaculture, La Défense des animaux et de la nature, une influence décisive. Etude, à partir de l’émission Transition, sur France Culture, par Quentin Lafay.

« No future », vraiment ?

Comme l’ont récemment mis en lumière plusieurs publications en sciences sociales, la galaxie punk et ses courants multiples travaillent, depuis les années 1970, à repousser voire éviter… la fin du monde.

Ainsi l’ouvrage Ecopunk, paru aux éditions du Passager clandestin, signé Fabien Hein et Dom Blake, montre comment la contre-culture punk, et notamment anarcho-punk, a eu sur le véganisme, la permaculture, La Défense des animaux et de la nature, une influence décisive. Explications.

Sid Vicious à Atlanta, pendant la dernière tournée des Sex Pistols’ en 1978. Photo : Getty Images.

La naissance du punk constitue certainement l’un des événements les plus importants de toute l’histoire du rock, et, par contagion, un phénomène culturel à part entière.

Le terme signifie en anglais « moche », « qui ne vaut rien ». À l’origine, au milieu des années 1960, il est utilisé pour désigner des groupes de rock amateurs et bruyants, qui répètent dans des garages, et se veut en opposition à une certaine « prétention » qui s’était installée dans le rock des années 1970 : The Damned, The Clash ou The Buzzcocks en Grande-Bretagne, The Heartbreakers et The Ramones aux États-Unis, Nina Hagen Band en Allemagne, Métal Urbain, Starshooter ou Oberkampf en France seront des figures de proue du mouvement.

En Angleterre, bien sûr, les Sex Pistols ont été longtemps la représentation à la fois musicale et visuelle d’un phénomène social déjà en lice, qui montait depuis la fin des années 60. En France, cette révolte sociale et culturelle connaîtra son apogée par les violentes manifestations de Mai-Juin 68. Ce mouvement est caractérisé par une vaste révolte spontanée anti-autoritaire (« ici et maintenant »), de nature à la fois sociale, politique et culturelle, dirigée contre le capitalisme, le consumérisme, l’impérialisme américain et, plus immédiatement, contre le pouvoir gaulliste en place. Le mouvement punk, c’est la reprise de chants de révolte, une lutte sociale et l’affichage « provoquant » du rejet d’un système.

@Jonathan Harrison/Unsplash

La musique, la chanson, ne sont ainsi que la pointe avancée de la galaxie punk, qui est une contre-culture hétéroclite à part entière, une forme de militantisme en soi, portant en germe et en action une constellation d’idées et de pratiques collectives, de tentatives, de réalisations concrètes.

Pour Valérie Chansigaud, historienne des sciences et de l’environnement, qui a publié en 2019 Les combats pour la nature, aux éditions Buchet-Chastel : « Le grand public n’a guère retenu du mouvement punk que le nom des « Sex Pistols ». (…) Mais le punk est aussi une démarche politique, car de nombreux groupes expriment une vraie réflexion sociale, notamment en condamnant toute forme de domination à l’égard des êtres humains et des animaux. »

 

« Sans Dieu ni Maître », comme on dit.

Valérie Chansigaud, également chercheuse associée au laboratoire SPHERE, explique les liens qui unissent cette galaxie… à l’écologie :

« Le mouvement punk a été un phénomène presque universel, parce qu’on en voit des exemples dans des pays aussi variés que les Philippines, au Mexique, l’Occident bien sûr mais pas seulement. C’est vraiment une partie de la jeunesse des années fin 70, 80 qui est davantage un mode de vie qu’une musique.

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Cette philosophie de vie consiste à proclamer la capacité des individus à se diriger eux-mêmes : il y a clairement une dimension anarchiste très présente dans le mouvement punk, et ça a eu une influence considérable dans la diffusion d’idées radicales par rapport à l’écologie et sa dimension politique, mais également en ce qui concerne le véganisme et la libération animale, puisque c’était l’un des termes récurrents du mouvement punk. »

 

Un militantisme punk actif

Bien sûr, la musique reste le plus puissant porte-voix du mouvement. Le rejet et la critique acerbe du nucléaire ? Le groupe britannique Crass chante en 1978 The’ve got the bomb. Le végétarisme, la défense des animaux, le combat antispéciste ? Le groupe anglais Conflict secoue les foules à partir de 1983 avec Meat means murder. La lutte contre la voiture et pour le vélo ? Le groupe américain Divide and Conquer entonne poétiquement en 1997 Bike Punx! : « Emmerdons les bagnoles / Insultons-les / Tendons le majeur et occupons toutes les voies ! ». Enfin… la recette de la tarte végane ? Elle est célébrée dans un chant fameux : Anarcho pie, la tarte anar.

« Alors, la musique a été un véhicule des idées. C’est-à-dire que dès lors qu’on étudie le mouvement punk, ce qui est vraiment frappant, c’est la profusion de textes écrits – dans les chansons, mais pas seulement ! – qui sont des chants de révolte, souvent découverts à l’adolescence ou à un âge jeune adulte. Le mouvement punk est caractérisé par sa capacité à exercer une influence sur le parcours des jeunes individus absolument considérable. »

 

« Punk un jour, punk toujours ? ».

Faire sa place dans notre société ultra-standardisée demande de rentrer dans une case, et les contraintes imposées par un système capitaliste obligent les individus à s’oublier eux-mêmes, au profit d’une personnalité fonction.

On se définit aujourd’hui par notre travail, on est cadre, employé, sans-emploi. Dès les révolutions socialistes de la fin du XIXème, la nouvelle opposition a cherché à émanciper l’homme de l’exploitation capitaliste. Le courant marxiste défendait par exemple de ne pas rabaisser le prolétaire à l’animal. Cependant, cette pensée montre aussi où se situe la considération que l’on porte à l’animal en question : un être dont l’existence est déterminée par sa fonction, justement, et dont la seule reproduction matérielle est digne d’intérêt. C’est là qu’émerge l’anarchisme et la libération de l’animal.

Louise Michel, institutrice, écrivaine, militante anarchiste et figure majeure de la part prise des femmes dans La Commune de Paris, écrivait déjà dans ses mémoires, en 1886 : « On m’a souvent accusée de plus de sollicitude pour les bêtes que pour les gens : pourquoi s’attendrir sur les bêtes quand les êtres raisonnables sont si malheureux ? C’est que tout va ensemble, depuis l’oiseau dont on écrase la couvée jusqu’aux nids humains décimés par la guerre »

« La bête crève de faim dans son trou, l’homme en meurt au loin des bornes. »

Louise Michel, 1886

La force des travaux et des publications cités est la déconstruction les clichés. Car souvent, le militantisme punk n’est pas simplement déclaratif.

Ici, on crée des communautés rurales autonomes. Là, on lance des appels à l’éco-sabotage. On appel à la désobéissance civile, on enquête et dénonce, on fait blocus de son corps et de sa personne individuelle contre une institution, un groupe immatériel mais dont les conséquences et les décisions sont bien décisives sur le quotidien d’autres êtres.

Au Royaume-Uni, on s’engage contre les autoroutes, où des anarcho-punks parviennent à rassembler en 1996 plus de 8 000 personnes pour arracher le bitume d’une voie rapide.

Partout, très vite, ils luttent aussi contre la fausse écologie et le green-washing. Ils organisent des concerts de soutien à la célèbre association PETA de défense des animaux, qui revendique aujourd’hui plus de 3 millions de membres dans le monde. Les ZAD d’aujourd’hui, qui parsèment le territoire français, s’en inspirent encore. Même si le monde anglo-saxon est le premier concerné. Et que la France est largement restée à l’écart du mouvement…

Bien sûr, le punk, souvent corrélé à l’anarchisme, porte en lui-même sa propre limite : structurer une action collective, une lutte écologiste globale, de long terme. Il reste les musiques, les hymnes, qui continuent de se diffuser et d’infuser, dans une mouvance généralisée de rejet d’un système oppressif et productiviste, dont la dimension lobotomisante fonctionne de moins en moins sur les individus.

– Moro


Photo couverture @Nick Fewings/Unsplash

Sources :
France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/la-transition/le-mouvement-punk-est-il-precurseur-de-la-transition-ecologique

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