Nafisa Amini est une activiste en lutte pour la défense des droits humains en Afghanistan. Membre de plusieurs organisations non gouvernementales, elle poursuit son militantisme à Oslo, où elle avait déjà suivi des études en sociologie et en sciences politiques. Elle nous informe sur le génocide Hazara et la situation de plus en plus difficile des femmes expatriées et forcées de rester en Afghanistan. Entretien exclusif.

L’activiste afghane Nafisa Amini

Mr Mondialisation : Pouvez-vous revenir sur votre parcours militant lors de vos études à l’université d’Oslo en partant de vos premiers engagements dès l’enfance ?

Nafisa Amini : J’ai étudié les sciences politiques et la sociologie à l’université d’Oslo. J’étais une étudiante active dans mon école en Afghanistan, et quand je suis arrivée en Norvège, j’ai très vite milité pour les droits de l’homme et les droits des femmes dans différentes organisations. J’ai toujours essayé de parler de la situation des femmes en Afghanistan et des défis qu’elles doivent relever quotidiennement dans cette société patriarcale. J’ai proposé à mes professeurs de l’Université d’Oslo de faire des recherches sur la situation des femmes, sur le génocide des Hazaras et sur d’autres crimes qui violent les droits humains en Afghanistan. Pour moi, défendre le droit à l’égalité des citoyens est une nécessité. Je pense qu’il y a un manque de débat constructif en Afghanistan. Pourtant, il est très important. Si nous ne parlons pas de manière critique et avec des arguments, nous ne pourrons pas trouver de solutions. Avant mes études, je m’engageais déjà dans la défense des plus faibles. Mes parents m’ont soutenue dans mes efforts.

L’activiste afghane Nafisa Amini

Mr Mondialisation :  En ce qui concerne les droits des femmes, qu’avez-vous appris au cours de vos études ? Comment le réinvestissez-vous en tant que militante ?

Nafisa Amini : J’ai beaucoup appris sur les droits des femmes en étudiant la situation des femmes dans le monde, par exemple. J’ai appris ce que signifient des concepts comme la paix, la justice, l’État de droit et les élections. Toutes ces connaissances ont bien sûr nourri mon engagement quotidien. Je parle et j’écris sur les droits des femmes et l’accès à l’éducation. Malgré tout, les journalistes continuent de s’exprimer. Ils soulèvent des questions essentielles malgré le risque élevé d’assassinats. Je dirais que depuis la prise de contrôle de Kaboul, les talibans s’en prennent principalement aux journalistes et aux femmes qui protestent, car ce sont elles et eux qui les dérangent le plus.

Mr Mondialisation :  Dans quelle mesure les talibans détruisent-ils les droits humains, notamment la liberté d’expression, depuis la prise de Kaboul ?

Nafisa Amini : Depuis l’offensive des talibans en 2021, les terroristes en Afghanistan ont commis de graves actes de violence en détruisant les droits humains. Ils ont perpétré des crimes de guerre contre des groupes religieux et ethniques, des femmes et tous ceux qui n’acceptent pas leur idéologie extrême et fondamentaliste. Les talibans veulent imposer leur politique d’oppression. Ils violent le droit à l’éducation, le droit au travail, le droit à la liberté de mouvement, le droit à la liberté d’expression et à la liberté politique, le droit de choisir et le droit de protester. Toutes les informations diffusées par les médias sont censurées et contrôlées par les talibans avant d’être publiées.  Amnesty International décrit la situation des femmes sous le régime taliban comme « une mort lente ».

Mr Mondialisation : Quels sont, à votre avis, les échecs et les pertes les plus importants depuis la prise de Kaboul ?

Nafisa Amini : À mon avis, sur le long terme, l’absence d’élections participatives en Afghanistan pour que les gens puissent choisir le politicien légitime et participer davantage à la vie civique, ne permet pas aux citoyens de rendre les dirigeants responsables de leurs actions. La violation du droit des femmes à étudier et à travailler a des répercussions négatives sur l’Afghanistan. La perte de confiance entre la population et les dirigeants est également délétère.

Guerre civile, monopole du pouvoir, absence de justice sociale, corruption
sont autant de facteurs qui empêchent les dirigeants et les citoyens de se faire confiance pour trouver un consensus contre les talibans. L’Afghanistan est confronté aux pires crises humanitaires. Selon l’Institut pour les femmes, la paix et la sécurité, la moitié de la population souffre d’insécurité alimentaire aiguë et 95 % des ménages n’ont pas assez à manger.

Nafisa Amini lors d’une interview avec une femme victime de violence

Mr Mondialisation : Pourquoi l’ethnie Hazara a-t-elle été persécutée pendant de nombreuses années et pourquoi cela se reproduit-il aujourd’hui ?

Nafisa Amini : Dans le cadre de la politique d’élimination, d’assimilation forcée et de nettoyage ethnique, les Hazaras sont le groupe le plus visé. Ils sont systématiquement victimes de violences et de discriminations. Dans le cadre de cette politique menée par l’Emir Abdurrahman Khan dans les années 1890, 60% de la population hazara a été massacrée et les survivants ont été vendus comme esclaves, privés de leurs droits politiques et interdits d’éducation. Le groupe ethnique Hazara a fait l’objet de multiples formes de discrimination fondées sur son identité ethnique et religieuse et sur ses traits faciaux asiatiques distinctifs.

Selon l’Assemblée générale des Nations unies et sa Convention sur le génocide, Article I et Article II (1948), tout acte commis dans l’intention de détruire tout ou partie d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux est un crime ou un génocide. Les Hazara ont donc été victimes d’un génocide et celui-ci doit être reconnu. Au cours des vingt dernières années, les talibans, ISIS et divers groupes extrémistes ont attaqué et tué des Hazaras sur les routes, dans leurs centres religieux, culturels et éducatifs et pendant les sermons de mariage. Selon un rapport de la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan, le groupe ISIS a revendiqué l’attaque d’une manifestation pacifique contre les Hazaras chiites à Kaboul, faisant au moins 85 morts. Le 20 mai 2021, au moins 14 personnes ont été tuées.

Après une manifestation, des femmes se recueillent devant l’ambassade d’Afghanistan à Oslo

Mr Mondialisation : Que pensez-vous des femmes qui manifestent en Afghanistan contre l’oppression des talibans ?

Nafisa Amini : Je compte sur ces femmes d’Afghanistan car elles sont résistantes. Elles font partie de la nouvelle génération et sont conscientes de leur destin. Les talibans appliquent la même politique de restriction et de suppression des femmes que celle mise en œuvre entre 1996 et 2001. Ils ont interdit aux filles d’aller à l’école et à l’université, aux femmes de travailler et de fréquenter les parcs et les gymnases. Ces derniers jours, les talibans ont même interdit aux femmes de travailler dans des organisations non gouvernementales (ONG).

Lorsque la moitié d’une société est privée de la possibilité d’étudier, de travailler, de parler en public et de prendre des décisions politiques, cette société s’assombrit. Elle est comme paralysée. L’économie de cette société ne pourra pas se développer, et la société ne pourra pas augmenter le niveau de conscience. Le rapporteur spécial des Nations unies, Richard Bennett, a décrit la politique d’oppression et de restriction des talibans comme une persécution fondée sur le sexe et un crime contre l’humanité en vertu du droit international. Les hommes et les femmes d’Afghanistan doivent continuer à résister contre le régime oppressif des talibans.

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Mr Mondialisation : Pourquoi les femmes sont-elles les principales cibles des talibans ? La situation des femmes était-elle plus favorable avant l’arrivée des talibans l’année dernière ?

Nafisa Amini : Les talibans sont un groupe terroriste à l’idéologie extrême et fondamentale qui vit dans une société patriarcale. Ils monopolisent le pouvoir et n’acceptent pas les femmes comme des citoyens indépendants dans la société. Bien que la situation des femmes ait changé à bien des égards au cours des vingt dernières années, il reste de nombreux défis à relever. La situation des femmes marginalisées telles que les femmes âgées, les veuves, les femmes handicapées et les femmes analphabètes, en particulier dans les zones rurales, n’a pas changé de manière significative au cours des vingt dernières années. Des normes négatives limitent toujours les opportunités des femmes et leur droit de choisir. Les femmes sont toujours victimes de discrimination sexuelle à tous les niveaux de la société.

Selon l’indice Femmes, paix et sécurité (2017), l’Afghanistan est le pire endroit pour être une femme. Cet indice mesure le « bien-être et l’autonomisation » des femmes. Il inclut les années de scolarité, le nombre de législateurs féminins, l’emploi, la part de discrimination, la guerre, la violence entre partenaires intimes et d’autres critères. Malgré tout, nous avions espoir dans le progrès et dans le changement des normes patriarcales de la société. Les filles avaient le droit d’étudier, les femmes travaillaient dans le secteur privé et public. La liberté d’expression était respectée. Après la prise du pouvoir par les talibans en Afghanistan, les femmes ont perdu tous leurs acquis.

Mr Mondialisation : Quels profils de femmes sont les plus persécutés par les talibans et pourquoi ?

Nafisa Amini : Les talibans suppriment systématiquement le rôle des femmes dans la société. Ils sont contre la présence des femmes à tous les niveaux de la société. Les profils les plus persécutés sont les femmes qui élèvent la voix et résistent pour les droits des femmes. Comme nous pouvons le constater, les femmes qui manifestent sont battues, menacées, arrêtées, disparues, torturées ou même tuées. Certaines d’entre elles ont quitté le pays. La situation est très sombre et incertaine. Si cela continue, la situation va empirer. La majorité des femmes sont restées en Afghanistan. Celles qui ont été contraintes de quitter l’Afghanistan et qui ont pu le faire sont des politiques, des militantes et des journalistes.

Le Comité des Nobel a désigné deux journalistes, la Philippine Maria Ressa et le Russe Dimitri Muratov, lauréats du prix Nobel de la Paix 2021. Ils ont été récompensés pour leur défense de la liberté d’expression dans leur pays respectifs.

Mr Mondialisation :  Nous constatons une prise de conscience progressive de certains hommes en Afghanistan qui ne veulent plus aller à l’université en signe de protestation. Que pensez-vous de ces dernières actions et des révoltes des hommes iraniens, relayées par les médias, qui font écho ?

Nafisa Amini : La raison de ce soutien plus évident des hommes iraniens est leur niveau de conscience plus élevé en matière d’égalité des droits des citoyens, de respect du droit des femmes à choisir la liberté. Le contrôle social sur les femmes est très présent dans la culture afghane. Donc, nous ne voyons pas ce même niveau de sensibilisation des hommes afghans à l’importance du respect des droits des femmes. Ceux-ci sont toujours affectés par les mœurs de la société patriarcale. Les hommes iraniens ne protestent pas tous. Tout comme le nombre d’hommes qui protestent en Afghanistan n’est pas significatif. La torture et l’oppression des talibans, les crises économiques et l’extrémisme religieux y sont pour beaucoup.

Mr Mondialisation :  Quelles peuvent être les solutions pour assurer le respect des droits de l’homme ?

Nafisa Amini : Une action globale est nécessaire pour répondre aux besoins des civils en Afghanistan. En cas d’actes criminels commis par les talibans et de violations des droits de l’homme en Afghanistan, le Conseil de sécurité des Nations unies devrait imposer des sanctions aux talibans. La communauté internationale doit tenir les talibans pour responsables de l’exclusion progressive des femmes de la société. L’aide humanitaire doit être envoyée directement aux personnes dans le besoin. En Afghanistan même, la solution interne consiste à accepter nos différences de langues, d’identité et de croyances. Les hommes et les femmes d’Afghanistan doivent continuer à résister jusqu’à ce que la communauté internationale les reconnaisse. Les Nations Unies et la communauté internationale pourraient entendre la voix de la nouvelle génération qui croit au pluralisme, à une société plus ouverte, à l’égalité des droits des citoyens et à la démocratie. Respecter les droits humains, accepter l’égal droits des citoyens, chercher à organiser des élections libres et équitables sont des voies à suivre.

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– Propos recueillis par Audrey Poussines et Hans Schauer


Photo de couverture de Nk Ni sur Unsplash : The global movement for women’s rights in Afghanistan, Munich, Germany, on January 14th, 2023.

Sources :

https://www.ohchr.org/en/press-releases/2022/04/afghanistan-un-experts-call-us-government-unblock-foreign-assets-central

https://giwps.georgetown.edu/the-index/

https://www.amnesty.org/en/documents/asa11/5685/2022/en/

https://mobile.twitter.com/Nafisa_Amini/status/1532237039902629890

https://twitter.com/amnesty/status/1553757412443693058

https://twitter.com/franceinfo/status/1552173469814726657

 

 

 

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