Charlie Hebdo était (et est encore) un journal satirique de gauche. Particulièrement remarqué pour ses caricatures à l’humour noir et caustique (qu’on aime ou qu’on n’aime pas), sa lignée éditoriale a toujours été résolument contre toutes les formes de fanatismes. Leur manière de les dénoncer : s’en moquer par la caricature. En pratique, il s’agissait d’une critique écrite et imagée contre les sectes, l’extrême droite, les fanatiques religieux, l’hypocrisie politique, la mondialisation… Selon le regretté Charb, la rédaction du magazine reflète une gauche tout ce qu’il y a de plus plurielle. A l’heure du recueillement, comment est-il envisageable de voir certains individus se réjouir à demi-mots de ses actes barbares, condamner les caricatures de l’hebdomadaire en plein recueillement et arborer fièrement, en mode réactionnaire, un bandeau « Je ne suis PAS Charlie » voir « Fuck Charlie » ?

Suite à cette horrible attaque contre des vies et contre la liberté d’expression, les récupérations et les amalgames se font légion. La tentative de plonger tête la première dans une manière de réagir séduisante fut très grande. D’un coté comme de l’autre, on observe une véritable crispation des idées, des tentatives de récupérations politiques mais surtout un manque de nuance et de retenue alors que des personnes sont décédées dans les pires conditions il y a juste quelques heures.

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A la vue des nombreuses réactions, 2 grands courants réactionnaires et confusionnistes se démarquent. La haine contre le musulman et le rejet radical de Charlie Hebdo.

1. La tentative identitaire, l’amalgame et la haine du musulman

C’est évidemment la réaction la plus convenue et prévisible. Haineux de tous bords et partis politiques identitaires n’ont pas attendus que la tension soit retombée pour alimenter l’amalgame. En un jeu sémantique odieux, plusieurs millions de musulmans se voient assimilés malgré eux à 2 individus isolés, criminels, fondamentalistes et malades du cerveau. Le FN crie au retour de la peine de mort. Les identitaires hurlent sans aucune gène leur haine. La page facebook de Marine a vu sa croissance passer à 500% de nouveaux fans. Les réactionnaires jubilent.

Cette récupération politique basée sur la « haine facile » et la division n’a rien d’une surprise. C’est une technique employée depuis des décennies par l’extrême droite conservatrice, et pas uniquement envers les musulmans, pour orienter la mentalité collective à droite toute. La peur engendrée par le choc d’un évènement traumatisant est la plus belle porte d’entrée pour le sécuritarisme. Le rejet d’une communauté dans son ensemble, sans apport de nuance, en est la clé. Pourtant, l’histoire regorge d’exemples, mais qui se soucie véritablement des enseignements du passé ?

Il est ainsi important de rappeler à ceux qui usent de cet évènement pour alimenter les rangs de l’extrême droite que Charlie Hebdo était avant tout contre le Front National et les identitaires.

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2. La haine caricaturale envers Charlie Hebdo et la justification implicite du crime

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La seconde vague réactionnaire vient de ces « Anti Charlie Hebdo » qui s’opposent à l’idée de soutenir le journal. Les plus modérés disent qu’ils pleurent les morts mais restent critiques envers Charlie Hebdo. Les plus extrêmes estiment que l’attaque était justifiée et que la liberté d’expression « ça commence à bien faire » . Des groupes facebook voient le jour avec pour objet « Je ne suis pas Charlie » où on s’étonne de lire une foule d’anonymes répéter « Fuck Charlie » se complaisant entre-eux d’avoir cerné mieux que tout le monde ce journal prétendument islamophobe. On peut également y voir quelques « unes » de l’hebdo, se focalisant sur leurs publications contre le fanatisme religieux, en prenant soins de créer une concentration non-représentative de la réalité. Tout comme les haineux du groupe 1, ceux-ci évitent également de rappeler le nombre important de publications du Charlie Hebdo contre l’extrême droite et la haine raciale.

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Dans une vidéo datant de février 2006 (voir ci-dessus), on peut observer une conférence de rédaction typique entre divers membres (et invités) de Charlie Hebdo. C’est pendant une réunion bon enfant de ce type que plusieurs personnes furent massacrées sans le moindre état d’âme pour avoir réalisé un dessin. Ce jour là, il était question de trouver « la une » d’une prochaine édition en vue de se moquer de l’extrémisme d’une poignée d’islamistes radicaux (et non pas la communauté musulmane) suite aux menaces de mort reçues par un journal danois. Des menaces réelles qui posaient des questions quant à la liberté d’expression. C’est ici qu’ils vont trouver collectivement l’idée d’un Mahomet disant « C’est dur d’être aimé par des cons » en précisant qu’il parle des « cons » d’intégristes, dont la haine est le moteur, pas des musulmans en général. Et en effet, les fanatiques sont tellement en opposition avec l’islam, que même « le prophète » ne peut accepter l’amour de ces extrémistes. Une nuance de taille qui semble niée par les observateurs les plus radicaux. Peut-on alors critiquer l’intégrisme ? Et comment le faire par l’humour sans choquer la communauté musulmane ? Depuis ce jour, l’hebdo ne cessera de recevoir des menaces de mort et bénéficiera d’une protection policière. En 2011, les locaux furent attaqués aux cocktails Molotov.

Fabrice Nicolino, journaliste à l’hebdo endeuillé disait en 2013 : « Charlie Hebdo a mal aux tripes et au coeur […] Nous avons presque honte de rappeler que l’antiracisme et la passion de l’égalité entre tous les humains sont et resteront le pacte fondateur de Charlie Hebdo […] Même si c’est moins facile qu’en 1970, nous continuerons à rire des curés, des rabbins et des imams, que cela plaise ou non. »

Ghilas Aïnouche, caricaturiste algérien, témoigne aussi de son passage chez Charlie : « Je ne vois pas comment l’on peut dire que Charlie Hebdo est islamophobe (…) Ce sont des gens qui respectaient profondément les croyances des autres » . En effet, ce sont les symboles d’un pouvoir idéologique que les dessinateurs attaquaient, et pas les religieux. Le jeune homme y avait rencontré Mustapha Ourad, le correcteur de Charlie Hebdo, d’origine kabyle, également assassiné. Charb lui même affirmait recevoir de nombreux soutiens de musulmans qui, eux les premiers, s’opposaient au fanatisme religieux. Ils considéraient que les musulmans avaient l’intelligence de comprendre par eux-mêmes que c’est bien le fanatisme qui est à combattre dans l’islam, et pas le musulman.

Pour ceux qui ne restent pas en surface des choses, on découvre sans peine que Charlie Hebdo est un journal résolument de gauche dont les caricatures grossières et volontairement choquantes cachent le plus souvent une réflexion engagée. Enfants de mai 68, sur fond d’anarchisme, ils s’opposent à toutes les formes de fanatismes et d’autorités, qu’elles soient politiques ou religieuses. Ainsi, on peut observer autant d’attaque contre l’intégrisme chrétien et du judaïsme. Les dessinateurs s’attaquent d’une manière tout aussi forte à la mondialisation, au capitalisme, à l’extrême droite, au monde politique et à tout ce qui pourrait atteindre à la Liberté, l’Égalité et la Fraternité.

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Moralité ?

Aucune position extrême n’est enviable à cette heure. L’extrémisme voile la réalité en ne cherchant pas la nuance des choses, ce qui a pour effet d’alimenter une vision du monde étroite, monochrome. Et ces deux groupes sont proprement dans une logique extrême, c’est à dire dans l’opposition radicale de manière impulsive sans possibilité d’adopter la raison, la justesse des choses. Quelle est cette justesse aujourd’hui ? Le juste milieu : l’extrémisme religieux existe chez des individus dans TOUTES les religions. Cet extrémisme concerne une minorité d’individus. Tous les extrémismes doivent être dénoncés par la liberté d’expression. Un extrémisme d’une minorité ne doit sous aucun prétexte alimenter la haine raciale et le délire identitaire. La paix n’est possible que si nous tournons le dos à toutes formes de fondamentalismes, religieux et politiques.

Nous recherchons tous intuitivement une solution simple à une réalité complexe. La raison nous pousse à ne pas sombrer dans ces solutions de facilité. La situation à laquelle fait face le peuple français est d’une incroyable complexité. Une complexité que certains tentent de réduire par des explications simples afin d’offrir des solutions encore plus simplistes : la haine, le sécuritarisme, la violence, la vengeance, la division,…

« Mais alors ? On ne fait rien ? On laisse faire ? »

Un évènement horrible vient de se produire. Quoi qu’il arrive, vous ne pouvez rien y changer. Répondre à la haine par la haine ne fera que donner raison à tout ceux qui tentent de déstabiliser les peuples, qu’ils soient dans le premier groupe ou le second. Ce qu’il convient de faire à ce jour, c’est de donner de la lumière, de l’intelligence, et de la force collective pour garantir la liberté d’expression, pour garantir les droits de l’homme, pour garantir la justice demain. Ne livrons pas le France aux fanatismes.

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