Bien aidé par une partie du spectre politique et les médias dominants, un nombre grandissant d’individus semble s’être mis en tête que si les chômeurs étaient sans emploi, c’était avant tout par paresse et rejet de l’effort. Toutefois, cette affirmation ne pèse pas grand-chose face à la réalité.

Au rayon des poncifs les plus souvent véhiculés dans la société, « les chômeurs refusent de travailler » est sans doute en bonne place. Dans la droite lignée de la, non moins fallacieuse, dénonciation des « assistés », cette accusation permet surtout de diviser les classes populaires et de détourner leur regard de l’accaparement des richesses par une minorité. Mr Mondialisation vous donne cinq raisons pour mettre à mal ce préjugé.

1. La contrainte géographique

Une des premières raisons qui peut pousser un chômeur à refuser une offre d’embauche peut être la contrainte géographique. Il existe en effet une nette inégalité territoriale entre les différentes zones de France. Les ruraux et les citadins ne disposent par exemple pas des mêmes chances, en particulier dans certaines branches totalement absentes en dehors des grandes villes. D’autres emplois sont par ailleurs situés uniquement en périphérie et engendrent de gros déplacements. Parfois à tel point qu’ils peuvent obliger certains à refuser les offres.

En outre, cette contrainte pose évidemment le problème de la mobilité. Si en moyenne, les Français consacrent pas moins de 50 minutes de temps de trajet de leurs domiciles à leur lieu de travail, cette durée peut être bien plus importante pour certains individus.

La mobilité domicile-travail, un facteur déterminant dans le choix d’un emploi. Photo de Meruyert Gonullu

De surcroît, ces trajets doivent être effectués soit en transports en commun pas forcément adaptés aux besoins des usagers, soit en voiture, ce qui entraîne nécessairement un surcoût pas toujours simple à assumer.

Certains libéraux rétorquent que les chômeurs n’auraient qu’à déménager plus près des bassins d’emplois. Un discours qui ne tient bien sûr pas compte des attaches sentimentales pour son lieu de vie ou pour son entourage qui habite sur place et tout simplement de la tension immobilière. Ce comportement aurait par ailleurs tendance à accentuer les inégalités territoriales en accélérant la désertification des campagnes et la surconcentration des populations en milieu urbain.

2. Des conditions de travail déplorables

Des conditions de travail indignes sont bien sûr une autre raison évidente de refuser un poste pour un chômeur. C’est d’ailleurs souvent le cas des secteurs qui se plaignent régulièrement de « peiner à recruter ». La jérémiade est même largement relayée par les médias et le grand patronat.

Pourtant, c’est peut-être bien les employeurs eux-mêmes qui devraient parfois se remettre en question sur ce qu’ils proposent. Entre la surcharge de travail, des horaires inflexibles, la précarité des contrats, la pénibilité et surtout des salaires très bas en rapport à la mission demandée, il n’est pas étonnant que certaines offres ne trouvent pas preneur. On a particulièrement pu observer ce phénomène dans le monde de la restauration où les conditions sont extrêmement dures.

Le secteur public n’est d’ailleurs pas non plus en reste de ce type de constat. Avec les diverses cures d’austérité imposées par les gouvernements néolibéraux successifs, la tâche se fait de plus en plus difficile, notamment pour les enseignants ou les soignants. Rien d’étonnant dans ces conditions à ce que le recrutement se complique et que certains décident purement et simplement d’abandonner leurs métiers.

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3. L’incompatibilité de profil avec la tâche demandée

Si certains offrent d’emplois restent sans preneur, c’est aussi parce que la main d’œuvre disponible n’est pas obligatoirement qualifiée pour occuper ces postes. À l’inverse, certains chômeurs sont formés dans des domaines qui embauchent peu. Le problème réside donc peut-être dans le fait que la société valorise des activités qui ne sont pas nécessairement en adéquation avec la volonté des citoyens. Pour appuyer ce constat, on peut rappeler que selon une étude de 2021, pas moins de 30 % des interrogés trouvaient leur travail inutile.

Dans un monde sain, les individus devraient pouvoir choisir d’exercer une profession par envie. C’est même dans cette optique que Bernard Friot a proposé le concept du salaire à vie.

Un certain nombre d’individus ne sont, de plus, pas à l’aise avec un marché du travail qui prône avant tout la production de richesses, en particulier lorsqu’elle repose sur des activités sans intérêt (et souvent nocives pour la planète). D’autres sont en outre en incompatibilité psychologique ou physique avec l’emploi tel qu’il est imposé dans un monde capitaliste. Dans ce contexte, le chômage représente d’ailleurs régulièrement une souffrance, et ceux qui en sont tributaires sont en moyenne en moins bonne santé que les autres.

4. On peut travailler sans emploi

Lorsque certains qualifient les chômeurs de paresseux refusant tout simplement le labeur, ils oublient également bien souvent que quelqu’un sans emploi peut en réalité avoir de nombreuses activités bénévoles et être plus utile à la société qu’à travers un métier rémunéré. Il s’agit là d’une typique confusion entretenue par le système capitaliste entre travail et emploi. 

Le parfait exemple de ce phénomène est sans aucun doute celui du travail reproductif (soin aux personnes, tâches domestiques, éducation). En effet, une personne qui passe ses journées à prendre soin de ses enfants ne dispose pas d’un emploi, ce qui ne l’empêche pourtant pas de réaliser un travail. La meilleure preuve en est que cette occupation est bien exercée par d’autres individus en tant que profession.

5. Il y a bien plus de chômeurs que d’offres

L’argument le plus objectif et le plus marquant contre l’affirmation qui ferait des chômeurs une bande de paresseux qui refuseraient de travailler est sans aucun doute la forte disproportion existant entre le nombre d’offres d’emplois et celui des candidats.

Ainsi, au deuxième trimestre de 2023, toutes catégories confondues, on comptait plus de 6 millions de demandeurs d’emploi en France (sans compter les personnes radiées de listes). Dans le même temps, on évaluait à peine 367 000 les postes n’ayant pas trouvé preneurs en France.

Comme vu précédemment, la paresse ne peut décemment pas être avancée comme unique explication de ce chiffre. Les contraintes géographiques, de travail et l’incompatibilité des profils des postulants sont des raisons bien plus crédibles. Mais y compris en validant cette supposition, on peut aisément constater qu’il existe un véritable gouffre entre les propositions et le nombre de demandeurs. Même si ces offres étaient instantanément pourvues, il resterait encore des millions de gens sur le carreau.

Des faits incontestables pourtant bien mal acceptés par beaucoup de Français, souvent influencé par les propos de la classe patronale et de ses soutiens. C’est d’autant plus vrai parmi les anciennes générations qui ont des difficultés à saisir que la conjoncture économique n’est plus aussi favorable qu’à l’époque de leur jeunesse durant les trente glorieuses.

Un chômage indispensable au grand patronat

En réalité, le chômage est structurel et même indispensable à ce système capitaliste. Récemment, un grand patron australien souhaitait qu’il explose pour « écraser l’arrogance des travailleurs » qui osent demander de meilleures conditions.

Car c’est bien le taux de chômage qui installe un rapport de force entre la bourgeoisie et les classes populaires. Plus il existe de concurrence entre les candidats, plus les conditions de travail pourront aisément être abaissées par les employeurs. Dans la même veine, pointer du doigt les chômeurs comme des parasites permet au patronat de monter les plus pauvres les uns contre les autres, et ainsi les empêcher de se retourner contre eux. Pour combien de temps encore ?

– Simon Verdière


Photo de couverture de Ron Lach

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