Ce mercredi soir, 11 mai, un SDF a poignardé un autre SDF à Bordeaux. Mais voilà, le triste fait divers se déroule non loin d’un rassemblement #NuitDebout. Immédiatement, la presse s’enflamme, BFMTV en tête, trouvant ici un nouveau prétexte pour jeter l’opprobre sur un mouvement détesté de tous autant à droite et au gouvernement que dans la fachosphère. La machine à forger l’opinion s’est immanquablement activée, jusqu’à ce qu’on découvre qu’il n’y a absolument aucun lien, pas le moindre, entre #NuitDebout et ce tragique évènement. Petite balade au cœur de la propagande ordinaire dans le monde de la presse conventionnelle.
Ce n’est pas un secret, la presse traditionnelle est en pleine transition. Elle peine en effet à conserver son audimat, perdant chaque jour un peu plus ses lecteurs, au profit de médias alternatifs et/ou numériques toujours plus importants. Ceci oblige la presse en général à recourir de plus en plus aux billets d’opinion et à monter en épingle des faits divers, notamment au moyen de titres racoleurs ou de sujets bâclés, pour maintenir des chiffres viables. Pierre Bourdieu disait déjà en 1996 à ce sujet : « Poussées par la concurrence pour les parts de marché, les télévisions recourent de plus en plus aux vieilles ficelles des journaux à sensation, donnant la première place, quand ce n’est pas toute la place aux faits divers ou aux nouvelles sportives… » ce à quoi il ajoutait « La télévision a une sorte de monopole de fait sur la formation des cerveaux d’une partie très importante de la population. » L’histoire ne cesse tristement de lui donner raison.
Un très récent fait divers attire à nouveau notre regard sur ce sensationnalisme creux qui prend, dans ce cas précis, des airs de propagande politique. Tout commence donc par une désinformation lancée par BFMTV sur petit écran concernant une personne poignardée. Rappelons avant tout qu’il y a en moyenne 2,5 homicides par jour en France et bien plus de tentatives d’homicides et de rixes en tout genre. Pain béni pour BFMTV, une bagarre éclate non loin du rassemblement #NuitDebout de Bordeaux le 11 mai au soir. Une personne est blessée. Sans plus de détails, le média relie le fait directement aux manifestants non-loin en titrant « au cours d’un rassemblement Nuit debout » laissant donc présager un acte odieux des membres du collectif. Le sentiment est clair : ceci se déroule en plein cœur de l’évènement et le danger est réel. BFMTV va même jusqu’à oser une précision de taille : « L’auteur des coups de couteaux est un participant au mouvement selon les témoins« . Il n’y a donc aucune raison de douter, il y a des témoins, croyez-le…
Face à ce gros titre, la plupart des médias vont relayer l’information, parfois en allant de leur petit commentaire sur le mouvement #NuitDebout, parfois en usant du conditionnel dans le doute. Malgré quelques précisions du type « à proximité du campement de Nuit debout » ou encore « en marge du« , la majorité des articles font le lien direct dans leur titre entre ce fait et NuitDebout. Malheureusement pour ces médias, l’AFP va rapidement préciser que l’altercation concerne deux sans-abris sans aucun lien avec le mouvement. De plus, on apprendra également que le mouvement bordelais de NuitDebout était en rassemblement spécial à l’autre bout du centre-ville au moment des faits. En dépit du fait que les personnes impliquées dans l’altercation n’ont pas de rapport avec NuitDebout, BFMTV ne modifiera pas son article. Pire encore, le lendemain 12H, BFMTV exprime en direct à la télévision que « le mouvement NuitDebout marqué par un incident grave » en ajoutant que « selon les témoins l’agresseur n’a pas été identifié mais il ferait partie des participants au mouvement. » Sans commentaire.
De son côté, le collectif « Nuit debout Bordeaux » a été obligé de réagir dans un communiqué qui « dément formellement que l’agression ait pu avoir lieu sur la place sans que quiconque ne le remarque« . Tous les éléments sont présents pour démontrer un enfumage médiatique qui, sur base d’une approximation, de copiages de titres et d’opinions, a réussi à impliquer un mouvement de milliers d’individus dans un fait divers tragique concernant 2 personnes sans domicile et surtout sans aucun lien avec le collectif. La Préfecture de Gironde a d’ailleurs confirmé qu’elle n’associait pas NuitDebout à cette agression. Pourquoi les médias impliqués n’éditent pas leur article ? Pourquoi aucun démenti de leur part ? N’est-il déjà pas trop tard pour l’opinion publique ?
Capture du site Boulevard Voltaire
Du pain béni pour les haineux
Sans surprise, les pontes de la fachosphère se sont nourris aveuglément des médias mainsteams pour accentuer ce fait divers en exagérant davantage ses liens avec NuitDebout. On citera notamment Boulevard Voltaire qui, entre deux articles pro Marine Lepen et anti-féminisme, affirme « l’auteur des coups de couteaux est un participant au mouvement » sans se soucier des données de l’AFP. Naturellement, on pouvait compter sur Valeurs Actuelles pour distiller la haine de ce mouvement populaire. Ceux-ci osent titrer « Un homme poignardé lors d’un rassemblement « Nuit debout » » jouant donc sur une similarité temporelle hors sujet. Au regard des faits, il aurait été tout aussi crédible de titrer « Un homme est mort pendant une éclipse lunaire » tout en soupçonnant la lune… Ce type de titre est donc une désinformation volontaire cherchant à nuire politiquement et à orienter le lecteur. Et pourtant, le journal d’extrême droite va jusqu’à ajouter « Les incidents se multiplient lors des rassemblements « Nuit debout » à travers la France. » … On observe donc l’utilisation d’un évènement hors sujet (particulièrement heurtant) pour placer une position idéologique sur une thématique sans aucun rapport avec l’évènement initial.
Si on estime que la plupart des grands médias (sauf exception) ont répercuté cette désinformation sans aucun recul critique, comment le français moyen pourrait-il à son tour se faire une juste idée de ce qu’est NuitDebout ? Au regard des commentaires sous ces différents articles, on observe que la haine et les généralités grossières l’emportent haut la main sur la raison. Déjà, d’autres faits divers et violences en marge furent utilisés depuis des semaines pour juger radicalement un mouvement désorganisé comme l’était Podémos avant de prendre sa place dans les institutions espagnoles. Une haine naturellement portée vers « le gauchiste » (mot fourre-tout à la mode), caricature du militant humaniste qui n’est pourtant pas au pouvoir, le tout amalgamé à la politique très à droite du gouvernement actuel qui n’a plus de gauche que le nom. En résumé, nous baignons dans la plus parfaite confusion. Et si c’était le but recherché ?
Reste une interrogation : comment une presse subventionnée à hauteur de plusieurs millions de fonds publics chaque année peut-elle publier des articles du niveau d’un tabloïd à sensation ? Comment en est-on arrivé à un tel niveau de propagande sans que la population ne tourne définitivement le dos aux médias qui l’alimentent ? N’est-il pas temps pour les lecteurs d’information de prendre leur courage à deux mains, de faire une véritable sélection de leurs sources d’informations et surtout de soutenir efficacement les quelques médias indépendants et libres qui survivent en France et ailleurs ?