Alors que nous sommes de plus en plus nombreux à acquérir de nouveaux appareils électroniques chaque année, les inégalités sociales et économiques continuent de croître à tous les échelons de la chaîne industrielle du secteur. Justice et Paix, une ONG belge et organisation d’éducation permanente, propose une analyse sans détours des (trop) nombreuses violations des droits des travailleurs au sein des chaînes de montage d’appareils électriques et électroniques, tels que nos smartphones, ordinateurs et autres gadgets bien-aimés. Au programme : de nombreuses heures supplémentaires obligatoires, exposition à des produits toxiques, précarité de l’emploi, dictature managériale… Bref, une politique de l’entreprise peu scrupuleuse du bien-être de ses employés et de leurs droits fondamentaux !

Intitulée « Travail décent, le grand absent du secteur de l’électronique », la nouvelle analyse de l’organisation belge d’éducation permanente dévoile les coulisses peu reluisantes du secteur lucratif de l’électronique. « Nous connaissons toutes et tous les noms de marques tels qu’Apple, Samsung, LG ou Lenovo » commente ainsi le rapport. Mais derrière ces grands noms se cachent diverses entreprises bien moins connues, « qui constituent les échelons intermédiaires de la chaine de valeur : Quanta, Compal, Flextronics, etc » poursuit l’association. Si elles ne commercialisent pas directement de produits électroniques auprès du consommateur, ces sociétés alimentent plutôt les géants du secteur en cartes-mère, puces, et autres composants nécessaires au bon fonctionnement de nos appareils électriques.

Une industrie qui pèse lourd sur le marché de l’économie mondiale…et sur le dos de ses travailleurs

Peu nombreuses, elles exercent ainsi un quasi-monopole qui les rend inflexibles face aux exigences des travailleurs et des autres acteurs impliqués. A titre d’exemple, Foxconn, incontournable en la matière, emploie à lui seul environ 10 millions de personnes, soit 40% des employés du secteur au niveau mondial ! Tout bonnement tentaculaire. Si cette industrie s’est surtout développée sur le continent asiatique, aujourd’hui leader du marché, elle est également présente sur le vieux continent, notamment en Pologne, Slovaquie et République tchèque. De quoi renverser quelques clichés selon l’ONG Justice et Paix, qui souhaite sensibiliser les consommateurs et les pouvoirs publics aux réalités sociales et économiques du secteur.

Crédits : Justice et Paix.

Car si l’industrie électronique mondiale est aujourd’hui devenue l’un des plus importants secteurs de l’économie mondiale, générant plus de revenus que tout autre industrie, les ouvriers et ouvrières sont nombreuses à avoir supporté les coûts de la croissance économique du marché avec des horaires de travail excessifs pour de bas salaires dans des conditions d’emploi précaires et des milieux insalubres, souligne Electronics Watch dans un rapport de 2014. Justice et Paix cible ainsi trois problématiques majeures dans le traitement des employés : une grande précarité dans le statut des travailleurs, un manque de prise en compte des risques sanitaires et sécuritaires, et une hostilité déclarée envers l’action syndicale.

« Ils ne devraient pas nous dire d’un jour à l’autre s’il y a du travail ou pas,  j’ai besoin de prévoir à l’avance. »

Electronics Watch explique la congestion d’emplois précaires par la nature-même du secteur de l’électronique : « les commandes urgentes, le transfert des risques aux sous-traitants et les mécanismes de réduction des coûts font partie d’un modèle industriel économique qui impacte profondément les conditions de travail dans les usines ». De ce modèle résultent immanquablement des modalités de travail flexibles et précaires comme l’emploi temporaire, à temps partiel et contractuel, ainsi que des heures de travail irrégulières, une absence de sécurité sociale et de l’emploi, des risques sanitaires et sécuritaires croissants.

Ainsi selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT), environ 80 à 90% du personnel est constitué d’ouvrier.e.s contractuels temporaires dans certaines régions de Chine, de Malaisie, de Hongrie et du Mexique pendant les période de pointe de production. Justice et Paix précise au sein de son analyse les détails abjectes de telles situations : confiscation de passeport, obligation déguisée d’exécuter des heures supplémentaires, impossibilité de prendre des vacances ou de simples pauses, déductions arbitraires de salaire, détention forcée et abus de faiblesses de personnes vulnérables comme de nombreux travailleurs migrants ou de simples étudiants en quête d’expériences.

Crédits : Pixabay

Un autre aspect important de ces violations est le non-respect ou le manque d’information quant aux mesures de santé et de sécurité. La manipulation de produits toxiques est en effet fréquente sur les chaînes de production de tels appareils, et les personnes qui les manipulent ne sont souvent pas convenablement informées de leur dangerosité, explique l’organisation belge, tandis qu’un travail témoigne auprès d’Electronics Watch : « beaucoup d’ouvriers souffrent de maladies respiratoires et d’allergies. Ils ont des maladies pulmonaires et des difficultés à respirer. Ceci est dû aux vapeurs de toluène.» Et avec l’arrivée du Covid-19, il est à craindre que certaines situations se soient encore empirées… « Ajoutons finalement qu’il existe une large culture anti-syndicale dans le secteur, rendant la tâche d’autant plus difficile aux employés pour s’organiser afin de faire respecter leurs droits », indique Claire Mathot, Responsable pédagogie et autrice du rapport.

Privilégier le facteur humain dans le cadre des marchés publics comme solution d’avenir

En conclusion, l’ONG belge préconise un solide renforcement des organisations syndicales et des processus de conciliation entre entreprise et travailleurs afin d’améliorer considérablement les conditions de travail des employés et d’instaurer davantage de démocratie interne. « Mais il est également possible, tout au bout de la chaine, de prendre conscience de ces problématiques et d’agir en conséquence », ajoute Justice et Paix dans sa note d’analyse. Elle invite ainsi les pouvoir publics, de même que l’organisation Electronics Watch, à davantage considérer le respect des droits humains comme un critère déterminant dans le cadre de chaque marché public, au même titre qu’un bon rapport financier. « Les marchés publics sont généralement des processus très réglementés. C’est donc un endroit idéal pour faire valoir des critères de durabilité, comme le respect des droits des travailleuses et travailleurs de l’industrie », conclut ainsi l’autrice du rapport. Voilà peut-être de quoi motiver les entreprises du secteur à revoir leurs « méthodes de management » ? On peut cependant en douter. Cette réalité ne date pas d’hier et est de notoriété publique aujourd’hui, y compris pour les grandes entreprises des nouvelles technologies. La réalité froide est sans doute que ces conditions de travail offrent des opportunités économiques majeures.

L.A.

- Cet article gratuit et indépendant existe grâce à vous -
Donation