La France a longtemps fait figure de mauvais élève européen en matière de protection animale. Le 29 janvier 2021, l’Assemblée Nationale a adopté la Proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale. À cette occasion, les députés ont montré leur volonté de faire avancer la condition animale, tous partis confondus. Une volonté qu’ont noté les associations. Toutefois, ces dernières restent vigilantes quant à la relecture du texte par les sénateurs, connus pour être plus conservateurs que leurs homologues de l’hémicycle. Audrey Fredon, juriste spécialisée en droit de l’environnement et du développement durable, revient sur les évolutions, mais aussi sur les risques éventuels que présente ce texte.
« C’est la première fois qu’on assiste à une telle avancée »
« Cela fait 30 ans que je suis dans la Fondation Brigitte Bardot et c’est la première fois, depuis toute ces années, que j’assiste à une telle avancée » nous confie Christophe Marie, porte-parole de la Fondation Brigitte Bardot (FBB). Les associations luttant pour le bien-être animal ont constaté, à l’occasion des débats du 26 janvier 2021, une évolution du rapport de force. De plus en plus d’élus décident d’agir en faveur de la protection animale en posant des interdictions et ne se contentent plus des simples aménagements sans impact sur le réel. Ils font face aux lobbies en portant leurs convictions et celles de leurs concitoyens.
Ce texte en l’état fait avancer la question du bien-être animal pour un grand nombre d’espèces sur de nombreux points : il vise à la fois les animaux domestiques et les animaux sauvages détenus en captivité. En revanche, il est important de garder à l’esprit que la proposition de loi doit encore être étudiée par le Sénat. C’est pourquoi les associations appellent à la vigilance. Étant donné que le texte pourrait poser un précédent permettant d’améliorer la condition animale, Christophe Marie craint que les sénateurs ne bloquent un certain nombre de points lors de sa relecture.
De quelles avancées parle-t-on ?
La proposition de loi votée en l’état apporte son lot d’avancées dans le domaine de la protection animale. Des mesures réclamées depuis des décennies par les associations ont été votées par les députés. Christophe Marie, engagé pour le droit des animaux depuis plus de 30 ans, précise que « c’est la première fois qu’on avance autant sur autant de sujets en même temps ». Voici ce que le texte voté à l’Assemblée Nationale propose :
– L’encadrement des procédures d’adoption et de vente des animaux domestiques : elle sera sujette à des mesures s’assurant que les futurs propriétaires aient une pleine conscience des besoins propres à l’espèce. C’est le cas notamment des équidés, pour lesquels les associations interviennent souvent dans le cadre de procédure d’abandons, rappelle Christophe Marie. Le texte vise une interdiction de la vente des chiens, chats et autres animaux de compagnie en animalerie dès 2024 ainsi qu’une responsabilisation des détenteurs avec la création d’un certificat d’engagement et de connaissance pour tout particulier qui acquiert pour la 1ère fois un animal de compagnie.
– La création d’une liste positive pour les NACs : cette liste permettra d’identifier les espèces non domestiques pouvant être détenues par des particuliers, sur des critères tenant compte des besoins de l’espèce et de son état de conservation. L’objectif est de rendre impossible la commercialisation d’une espèce dont la population est menacée, fait l’objet de trafics ou peut représenter un danger environnemental si elle est relâchée dans la nature.
– Passage de l’incitation à l’obligation des maires ou des intercommunalités de stériliser les chats errants. Ils devront procéder en lien avec les associations de défense des animaux, qui deviennent à cette occasion des partenaires de la mise en œuvre de la loi.
– L’accueil des animaux trouvés sur la voie publique pourra désormais être confié à un refuge. Jusqu’ici, les fourrières exclusivement avaient cette responsabilité. Les responsables de la structure d’accueil suivront une formation obligatoire relative au bien-être des animaux de compagnie. À cette mesure s’ajoute la prolongation du délai de fourrière pour permettre aux propriétaires de retrouver leur animal avant euthanasie (si les refuges sont surchargés, c’est la solution systématique) : il passe de 8 à 15 jours.
– Les policiers municipaux et les gardes champêtres pourront désormais contrôler
l’identification des animaux trouvés sur la voie publique. Cela permettra à ces structures de proximité de rechercher leur maître et de restituer sans délai l’animal à son propriétaire sans que ce dernier n’ait à régler de frais de fourrière. Cette mesure vise aussi à établir un filtre entre l’animal et le propriétaire afin de faciliter l’engagement de procédures en cas de maltraitance de l’animal.
– Renforcement des peines : pour les sévices graves et actes de cruauté, il serait mis en place une circonstance aggravante en cas d’abandon mettant en péril la vie de l’animal, inscrite dans le texte de la proposition de loi. Jusqu’ici, les sanctions étaient mineures et peu contraignantes : on passe de maximum 2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amendes à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende.
– Élargissement des sanctions pour actes de zoophilie à l’enregistrement, à la possession et diffusion d’images zoophiles. Ce délit serait puni au maximum de 2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende, faisant du diffuseur/possesseur des images un complice des sévices infligés à l’animal.
– Un meilleur contrôle de la vente en ligne d’animaux de compagnie : seuls les refuges, les éleveurs et les établissements immatriculés pour l’exercice commercial de cette activité seront autorisés à recourir à la vente d’animaux par internet. Cela concerne à la fois les sites professionnels et les plateformes de vente entre particuliers (type leboncoin, Facebook, Marketplace…). Depuis que l’administration fiscale et l’URSSAF sont autorisées à utiliser les réseaux sociaux pour repérer les éventuelles fraudes, les contrevenants s’exposeraient d’autant plus à des sanctions de taxation d’office et à une majoration d’impôt de 80%.
– L’interdiction de détenir, commercialiser ou transporter, en vue de les présenter au public dans des établissements itinérants, des espèces d’animaux non-domestiques. Ces mesures, relatives aux cirques itinérants, ont fait l’objet de nombreux débats. Cependant, dans la lignée des annonces faites par la Ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, le 29 septembre 2020, l’Assemblée Nationale a également voté cette mesure.
– L’interdiction de la reproduction et de l’acquisition d’animaux sauvages en captivité dans des établissements itinérants dès promulgation de la loi. Les cirques itinérants auront alors 5 ans pour trouver un refuge en lien avec les associations, mais la reproduction et l’acquisition de nouveaux animaux seraient interdites dès l’entrée en vigueur du texte.
– Interdiction de détention, de reproduction et d’acquisition de spécimens de cétacés dans le but de les faire participer à des spectacles. Cette interdiction rentrerait en vigueur dans un délai de 7 ans pour les dauphins, et 2 ans pour les orques, avec une prolongation possible allant jusqu’à 10 ans si aucun refuge ou sanctuaire adapté n’a été trouvé. Là encore, ces dispositions s’inscrivent dans la lignée des annonces de Barbara Pompili.
– Interdiction de l’élevage des visons d’Amériques et d’animaux d’autres espèces non domestiques exclusivement élevées pour la production de fourrure. Pour cette dernière catégorie, l’interdiction rentre en vigueur dès promulgation de la loi. En revanche, pour les visons d’Amérique, un délai de 2 ans est accordé après l’entrée en vigueur.
– Interdiction des manèges/carrousels à poneys dans les foires, fêtes foraines et événements similaires. Cette interdiction, déjà effective en Belgique, intervient tant sur l’espace public que privé.
Pourquoi rester vigilants ?
« La proposition loi permet d’avancer sur de nombreux points, mais elle ne concerne ni les zoos, ni la chasse, ni les élevages industriels » déplore le député Groupe Écologie démocratie solidarité, Cédric Villani.
Ce champ d’application restreint n’est pas la seule lacune que présente le texte. Plusieurs points sont en effet dénoncés par les associations et les députés :
– Un contrôle de la vente en ligne d’animaux de compagnie encore trop faible. L’objectif initial était d’interdire ce type de vente sur les sites généralistes. Malheureusement, cette demande a été rejetée. Christophe Marie craint toutefois que la disposition adoptée soit encore trop timide : selon la Fondation Brigitte Bardot, lors d’une veille réalisée en décembre 2020 sur les annonces publiées sur leboncoin.fr, 75% d’entre-elles sont non conformes (47% pour absence de SIREN, 21% sont des ventes déguisées en dons, 7% concernent la vente de chiens de catégorie « pit-bull et autres »).
– L’exclusion des cirques fixes du champ de la proposition de loi. L’interdiction de détenir, commercialiser ou transporter, en vue de les présenter au public, des espèces d’animaux non-domestiques ne concerne en effet que les cirques itinérants. De même que l’interdiction de la reproduction et de l’acquisition d’animaux sauvages en captivité ne s’applique pas à ces structures. « Seuls les cirques itinérants sont pris en compte, mais la souffrance est la même dans les cirques fixes. Le législateur a craint de créer une confusion entre les cirques fixes et les zoos qui proposent des spectacles d’animaux » nous explique Cédric Villani (Groupe Ecologie démocratie solidarité).
– Une interdiction de détention, de reproduction et d’acquisition de spécimens de cétacés dans le but de les faire participer à des spectacles, qui ne s’applique pas aux zoos. Ces derniers pourront donc continuer à présenter librement des spectacles d’otaries, de fauves, d’oiseaux sauvages et de dauphins. Pour Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, il est important de différencier les zoos des sanctuaires : « les sanctuaires et les structures ayant pour objectif de réintroduire et/ou ré-ensauvager les animaux ayant été captifs le font loin du public. » Elle déplore que les zoos prônent assurer un rôle de sauvegarde des espèces en danger grâce la détention et la reproduction d’animaux sauvages en captivité. « En faisant cela [ils] font oublier au grand public le réel problème qui est celui de la destruction de l’habitat naturel, de la capture et du trafic des espèces captives. »
– La définition de sanctuaires et refuges va être posée par un arrêté pris par la Ministre de la Transition Écologique a posteriori, sans possibilité pour les parlementaires d’intervenir. La définition sera donc donnée unilatéralement par le gouvernement malgré une volonté initiale de formulation commune de cette définition importante de la part des députés.
– L’absence de prise en compte de l’ensemble des animaux aquatiques par le texte. Cédric Villani (Groupe Écologie démocratie solidarité) a porté un amendement en ce sens, et regrette qu’il ait été rejeté : « tous les animaux aquatiques devraient être concernés, mais il est vrai que c’est pour les cétacés que la situation est la pire. »
– La crainte d’un retour en arrière lors de la relecture par le Sénat inquiète à la fois les associations et les députés favorables au droit animal. Pour Cédric Villani (Groupe Écologie démocratie solidarité), « Les dispositions relatives aux cétacés ont été les plus sujettes à débat. Ce sont celles qui, pour moi, ont le plus de risques d’être remises en cause par les sénateurs. »
Que retenir de cette proposition de loi ?
Ce que l’on retient de ce bilan de la proposition de loi au lendemain de son vote par l’Assemblée Nationale, c’est que la plus grande interrogation pour tous réside dans la définition que fera l’exécutif des termes « refuge » et « sanctuaire ». Cet arrêté sera pris sans que les parlementaires et les associations ne puissent donner leur avis.
Lamya Essemlali (Sea Shepherd), cofondatrice du programme Rewild rappelle : « il faudra être attentifs aux lieux d’accueil des animaux et notamment à la définition des sanctuaires et des refuges. »
Beaucoup craignent que certains animaux ne se retrouvent de nouveau en captivité au sein de zoos, sans qu’on ne leur ait donné la chance de retourner à leur habitat naturel. « La considération des zoos en tant que sanctuaires ou refuges par la définition constituerait une réelle trahison du gouvernement » pour Cédric Villani (Groupe Écologie démocratie solidarité). Aussi, tant que les sanctuaires et refuges ne seront pas clairement définis, il est impossible de réellement savoir quel sort attend les animaux des structures visées par la proposition de loi.
Ce texte apparaît pour beaucoup comme un jalon qui favorisera les avancées futures du droit animal. Toutes ces avancées, soutenues par un quasi-consensus des députés, sont déjà une belle victoire pour les défenseurs des animaux, et préfigurent de nouvelles mesures dans les prochaines années.
Audrey Fredon
Nos travaux sont gratuits et indépendants grâce à vous. Afin de perpétuer ce travail, soutenez-nous aujourd’hui par un simple thé 😉☕