Nous reprenons notre thématique sur les résistance paysannes, dans laquelle nous donnons la parole à ces paysans, viticulteurs, permaculteurs, maraichers ou éleveurs qui inventent l’agriculture de demain, post-pétrole et durable. L’épisode de cette semaine nous emmène dans une micro-ferme biologique au cœur de la Normandie : La ferme des Rufaux. Découverte et interview.

La crise agricole n’est autre que la crise de l’agro-industrie

Alors que la crise agricole – ou plutôt la crise de l’élevage intensif – continue de secouer la France, les paysans bio continuent eux de pratiquer et de développer l’agroécologie, c’est-à-dire l’agriculture post-pétrole, durable, productive et écologique. Autrement dit, l’exact inverse du modèle actuel défendu par la FNSEA, moribond, polluant, dépendant du pétrole et ultra-subventionné. Un système qui stérilise les sols et broie les vies des agriculteurs – accumulant les maladies, les dettes et les suicides – comme celles de leurs animaux, chosifiés à l’extrême et traités comme tel. Les grands et uniques gagnants de cette agro-industrie sont connus : agroalimentaire, semenciers et producteurs de pesticides. Les perdants sont beaucoup plus nombreux : paysans, consommateurs, écoliers proches des épandages, animaux d’élevage, diversité végétale, faune & flore sauvage, nappes phréatiques, climat, sols, rivières, océans…

La ferme des Rufaux : une micro-ferme bio-intensive

Retour au positif. Parmi les fermes bio qui fleurissent un peu partout, nous vous proposons de découvrir la ferme des Rufaux. Située à Bouquetot, en Normandie, cette ferme a vu le jour il y a 4 ans grâce au travail acharné de Linda et Edouard, ses deux occupants. Pratiquant l’agroécologie, ces jeunes paysans se consacrent principalement au maraîchage biologique et à l’arboriculture. Leur ferme est dite « micro » et fait moins de 3 hectares… ce qui ne les empêche pas de cultiver plus de 100 variétés différentes de légumes, fruits et aromatiques, selon les principes permaculturels de diversification et d’association des cultures. « Notre vision est de vivre de manière autonome notre amour de la nature et de participer à offrir une production saine et variée en circuits courts« . En plus de la production maraichère et fruitière en agroforesterie, les deux paysans ont également développé un rucher écologique et un petit poulailler peuplé de poules de race ancienne, afin de diversifier leur production.

ferme des Rufaux tomate

Linda et Edouard ont suivi la formation de la Ferme du Bec Hellouin, pionnière de la permaculture en France. Le Bec Hellouin allie production agricole bio-intensive, centre de formation et centre de recherche. Aidés par cette formation (Edouard avait déjà une formation agricole diplômante) et après 4 ans de travail, Linda et Edouard livrent aujourd’hui une cinquantaine de familles en AMAP, une école élémentaire, des boutiques sur Paris, des restaurants gastronomiques locaux et proposent une vente directe à la ferme pendant la saison estivale. Leur nouveau projet vient tout juste de naitre : l’association d’éducation populaire FMR (les amis de la Ferme de la Mare des Rufaux), installée sur la ferme, qui aura pour but d’animer des rencontres autour de l’observation de l’environnement, la consomm’action, l’agroécologie, la permaculture, les circuits courts, etc ; de lancer des expérimentations sur l’économie circulaire et d’en tirer des études « références » ; enfin d’accompagner la création de micro-fermes agroécologiques.

Les deux agriculteurs ont lancé un crowdfunding afin de financer les derniers investissements qui leur permettraient de terminer leur installation, de développer leurs projets et d’affronter le futur avec sérénité : « La plate-forme spécialisée dans le financement de projets agricoles durables BLUE BEES soutien notre démarche et vous propose de passer par eux pour participer aux derniers investissements de la ferme et ainsi développer l’agriculture de demain. Alors en échange d’un don, offrez-vous un WE à la ferme, une journée de formation à l’agroécologie et la permaculture ou à la cuisine et prouvez ainsi que les citoyens consomm’acteurs s’emparent du sujet agricole ! ». Avis aux amateurs qui habitent dans la région ou sur Paris ! (interview à lire sous la vidéo).

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Interview

Mr Mondialisation : Bonjour Linda et Edouard, pouvez-vous vous présenter rapidement ? Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans l’agroécologie ?

La ferme des Rufaux : Edouard était fonctionnaire éducateur à l’environnement, il avait un diplôme agricole Bac pro pépiniériste fait en alternance et souhaitait créer sa propre ferme. Moi j’étais à cette époque en pleine remise en question, j’avais démissionné de mon job dans l’immobilier pour reprendre mes études en Management durable. Nous nous sommes rencontrés en formation en permaculture et là notre vision de la ferme idéale pour nous est née. Nous avons été très inspirés des ouvrages et enseignement de Pierre Rabhi, Sepp Holzer, Fukuoka bref, tout ce qui touchait à l’agroécologie et à la permaculture, pour nous tout cela tombait sous le sens et nous avions envie d’apporter notre pierre à l’édifice. Notre projet a donc démarré début 2012. C’est l’avantage de ne pas avoir été formaté par un enseignement agricole classique, nous avions l’ouverture d’esprit et l’envie de bien faire qui nous a permis de plonger tête baissée dans cet art et cette science au service du vivant qu’est l’agroécologie.

ferme des Rufaux anesCrédit : Arnaud Bertereau – agence Moana

Mr M : Comment votre projet a-t-il été perçu dans votre entourage familial et professionnel ? On lit souvent des témoignages affirmant que les agriculteurs « conventionnels » voient au départ d’un mauvais œil l’installation de jeunes en bio près de leur exploitation, puis qu’avec le temps la curiosité succède à la méfiance… surtout en voyant que ça marche !

La ferme des Rufaux : Notre famille et nos amis ont été nos premiers soutiens. Même si ils ne comprenaient pas toujours où on voulait aller comme ça, ils étaient bienveillants et nous faisaient confiance (il paraît même qu’on les auraient inspirés…). Pour ce qui est de notre voisinage, nous avons principalement un voisin agriculteur conventionnel et cela s’est toujours très bien passé, il nous a beaucoup aidé au départ quand nous étions sous-équipés. Quelque part, lui étant céréalier, nous ne faisons pas le même métier donc ne partageons pas vraiment sur la question, c’est un peu comme tabou. Les céréaliers sont beaucoup moins concernés par la crise actuelle et ne se remettent pas forcément en question.

Mr M : D’après votre site web, vous avez de nombreux projets ! Vous avez d’ailleurs lancé un crowdfunding auprès des « consom’acteurs » pour vous aider à les financer. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

La ferme des Rufaux : Nous avons longtemps hésité, il y a un peu de tout et n’importe quoi maintenant en crowdfunding et quémander n’est pas notre style. De plus nous avions à cœur de nous en sortir avec les moyens du bord pour montrer que c’était accessible aux bourses les plus minces. Mais après 4 ans, n’arrivant pas à finir le bâtiment avec nos économies, et en voyant les soutiens que nous avions on s’est dit « ‘au lieu de faire un prêt à la banque, et si nous faisions du troc de financement contre nos savoirs-faire acquis ou notre production? » Finalement nous sommes riches maintenant de savoir et de bonnes choses, on voit donc ça plus comme du pré-financement ou de l’échange que comme du don. Et c’est une manière excellente d’impliquer les personnes qui nous suivent et nous soutiennent dans le développement de l’agriculture que nous souhaitons tous pour demain ! En plus, cela a déclenché un déluge de solidarité localement, on nous apporte du matériel, on nous offre des heures de pelleteuse, les messages de soutien sont adorables, ça nous apporte beaucoup plus que des euros. On sent qu’on est utile et dans le droit chemin.

ferme des Rufaux jardin

Mr M : Quel regard portez-vous sur la crise agricole actuelle ? L’agro-industrie est à bout de souffle, les exploitations intensives (notamment les élevages) sont en grande difficulté alors que les « bios » s’en sortent généralement mieux… et pourtant le modèle libéral et productiviste défendu par la FNSEA continue d’être la norme. Quel avenir voyez-vous pour l’agriculture française ?

La ferme des Rufaux : On assiste à une chute, difficile et certaine de l’ancien modèle qui montre à tous les niveaux ses limites (social, environnemental, économique, souveraineté alimentaire, déconnexion du vivant,…). Nous sommes déjà sur la phase de transition, mais je ne suis pas sûr que les moyens soient mis aux bons endroits pour réellement accompagner comme il se doit des agriculteurs en détresse. Pourtant c’est le rôle et la responsabilité de l’État, qui s’est laissé séduire par des entrepreneurs sans scrupules de l’acabit de Xavier Beulin [Mr M : Président de la FNSEA et géant de l’agroalimentaire], peu soucieux de l’avenir des gens qu’ils représentent. Aujourd’hui il faut agir, investir dans la recherche pour enfin prouver les méfaits de l’agriculture conventionnelle et les externalités positives de la Bio et surtout de l’agroécologie, maintenir les aides PAC pour les Bios (nous sommes payés en dernier et avons beaucoup de retard dans les paiements !), investir dans les formations de qualité car on ne passe pas ni facilement ni rapidement d’un modèle à l’autre, cela se fera avec humilité et patience. Les solutions sont déjà là, l’inconnu c’est le temps que cela va mettre et le temps qu’il reste à l’humanité pour changer la donne et empêcher le désastre.

Mr M : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes (et moins jeunes) qui souhaiteraient se lancer ? Des pièges à éviter ?

La ferme des Rufaux : Vous me tendez une belle perche, car je suis en train de rédiger pour les éditions Rustica un manuel d’installation à l’attention des porteurs de projets potentiels qui sera bourré de conseils. Mais il faudra attendre début 2017. En attendant et pour faire court et concentré nous souhaitons avertir et à la fois inviter les porteurs de  projets sur les + et les – que représentent de tels projets. Nos fermes demandent une entière implication physique et morale, loin de nous l’envie de dire que ce sont des métiers lucratifs ou reposants, c’est en réalité tout l’inverse, lol. Nous gagnons moins d’un smic (mais avons adopté un mode de vie résilient) et n’avons jamais autant travaillé de nos vies (mais quand on aime, on ne compte pas !), mais le salaire est ailleurs finalement, dans la noblesse du métier, le paysan est aux premières loges de la beauté de son écosystème et la nature est généreuse, c’est incroyable. Nous sommes remplis de gratitude et de reconnaissance toute l’année, tout ce que l’on donne, elle sait nous le rendre comme personne. Il faut être bien conscient des implications que votre installation vous demandera, du lâché-prise que cela implique, mais quand on est prêt à donner et à recevoir, on n’est pas déçu ! Restez légers, préservez-vous,  ne vous endettez pas, prenez le temps de « penser » votre ferme, faîtes-là à votre image.

Mr M : Merci à vous deux et bonne continuation pour la suite !


Source et Images (sauf mention) fermedesrufaux.com

Page Facebook : LaFermeBiologiqueDeBouquetot

Crowdfunding : bluebees.fr

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