BNP Paribas, groupe BPCE, Société Générale, Crédit Agricole et Crédit Mutuel/CIC, les grandes banques françaises mènent une large part de leurs activités dans des paradis fiscaux. C’est du moins ce que démontre une enquête inédite coproduite par CCFD-Terre Solidaire, Oxfam France et le Secours Catholique-Caritas France.

Publiée le 16 mars dernier, l’enquête inédite ne laisse plus aucun doute sur l’implication des principales banques françaises dans la perpétuation des paradis fiscaux de la planète. Une groupe d’ONG ont analysé toutes les données officielles révélées dans le cadre de la loi bancaire, un amendement adopté en 2015, exigeant des banques françaises qu’elles publient des informations fiscales concernant leurs activités. Parmi cette grande quantité d’informations, on retrouve notamment les chiffres des impôts qu’elles paient dans tous les pays où elles sont implantées. Des données essentielles qui vont permettre aux associations de vulgariser la situation des banques françaises pour le commun.

En l’occurrence, le document épingle cinq grandes banques françaises : la BNP Paribas, la Société Générale, la Banque populaire-Caisse d’épargne, le Crédit agricole et le Crédit mutuel-CIC. Ces sociétés bancaires ont réalisé près de 5 milliards d’euros de bénéfices dans des pays à basse fiscalité en 2014. Des paradis pour fortunés qui se trouvent autant à nos portes qu’à l’autre bout du monde. Dans le top 5 de ces pays à la fiscalité avantageuse, on trouve le Luxembourg, la Belgique, Hong Kong, Singapour et l’Irlande. Ainsi, en dépit du fait que la majorité de leurs activités se font en France, les grandes banques françaises déclarent un tiers de l’ensemble de leurs bénéfices dans ces paradis fiscaux.

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Du « shopping fiscal » des banques

Les banques semblent profiter des divers avantages qu’offrent les différents paradis fiscaux comme on ferait du shopping dans une sélection de magasins low-cost. La Belgique, loin d’être un paradis fiscal pour les petites entreprises et indépendants, impose très faiblement les dividendes et offre une fiscalité légère pour les bénéfices tirés de brevets. Quant à l’Irlande, sa législation permet aux banques de réaliser des pirouettes comptables impressionnantes. À ce titre, le rapport indique que la Société Générale y dégagerait 18 fois plus de bénéfices que partout ailleurs. Hong Kong et Singapour offrent à leur tour une fiscalité très avantageuse et sont réputés pour être deux valeurs stables où la croissance est au rendez-vous.

Le rapport révèle également quelques chiffres étonnants. Ainsi, on apprend qu’un salarié moyen est près de 3 fois plus productif dans un paradis fiscal (selon les chiffres déclarés). En Irlande, un seul salarié de la BPCE rapporte 1,8 million d’euros par an. C’est 31 fois plus que la moyenne de tous les salariés du groupe. Ces chiffres incohérent semblent indiquer que les banques délocaliseraient principalement pour augmenter leurs profits, non pas pour développer une activité réelle. Par exemple, dans 34 cas, les banques déclarent posséder des filiales en territoire offshore mais sans le moindre effectif à leur charge… « La palme en la matière revient aux Iles Caïmans : les cinq banques françaises y possèdent en tout 16 filiales, sans un seul salarié, et pourtant 45 millions d’euros de bénéfices y sont déclarés. » indique le site de CCFD-Terre Solidaire. Enfin, les banques éludent en moyenne 50% de l’impôt par ces déplacements d’activités. Elles ne payeraient rien, pas un seul euro, dans 19 cas documentés.

Loin des considérations environnementales

Pour certains, ces manœuvres fiscales pourraient être tolérées dans le sens où elles sont la plupart du temps légales. C’est sans compter sur le fait que les activités bancaires les plus risquées, comme toutes les formes de spéculation, sont toujours réalisées dans les paradis fiscaux – en plus de l’évident pillage des comptes publics et de l’injustice fiscale que ces pratiques « légales » représentent. On sait aujourd’hui à quel point ces activités « casino » permettent un enrichissement sans cause (par simples transactions entre ordinateurs) de manière déconnectée de « l’économie réelle » entrainant pourtant des conséquences sur les producteurs et travailleurs du monde entier. On sait également qu’une grande part des activités de financement et d’investissement des principales banques viennent directement des activités polluantes liées aux énergies fossiles. Et pour cause, en dépit des grands discours soporifiques, la plupart des banques maintiennent une logique critiquable pouvant favoriser des secteurs de l’économie donc les activités détruisent l’écosystème.

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De 40 à 60 milliards d’euros par an

Ce que semble démontrer ce document, c’est que le reporting (déclaration obligatoire) pays par pays s’avère véritablement indispensable dans un effort de transparence et de justice fiscale. C’est ce même outil élargi à toutes les entreprises qu’avait fait bloquer en pleine nuit le gouvernement Valls l’année dernière, suscitant un véritable tollé. En effet, fin 2015, l’Assemblée nationale française votait positivement en faveur d’un amendement obligeant les entreprises à rendre public le montant de leur chiffre d’affaires, nombre d’employés, profits réalisés et impôts payés dans chaque pays où elles sont implantées. Juste après le vote de l’amendement, le gouvernement va soudainement réclamer une suspension de séance, réveiller les députés opposés à cette transparence et faire revoter en urgence un nouvel amendement annulant le précédent. Le gouvernement s’était justifié en mettant en avant la compétitivité de la France sur les marchés. Sans commentaire.

« Alors que l’on sait que l’évasion fiscale représente pour la France un manque à gagner compris entre 40 et 60 milliards d’euros par an, on voit derrière les résultats de cette étude que l’ère des paradis fiscaux est malheureusement loin d’être révolue. Ils restent au cœur de la stratégie internationale des banques françaises. Comment expliquer les résultats si singuliers enregistrés dans les paradis fiscaux autrement que par les facilités fiscales et réglementaires qu’offrent ces pays ? » explique Manon Aubry, responsable de plaidoyer Justice Fiscale et Inégalités à Oxfam France. Transfert artificiel de bénéfices, réduction des impôts, facilitation de l’évasion fiscale du capital des clients, contournement des obligations réglementaires nationales, activités spéculatives à risque, cette situation est-elle tolérable en pleine période d’austérité et de réformes en faveur du CAC40 ? Une chose est certaine, les paradis fiscaux semblent avoir de beaux jours devant eux.

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Sources : ccfd-terresolidaire.org / france24.com / lemonde.fr / amisdelaterre.org

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