Ce sont deux associations, foodwatch et BLOOM, qui tirent la sonnette d’alarme. Des fiches « ludiques » destinées aux enfants et encourageant la consommation de produits marins viserait à manipuler les enfants dans le but affiché de soutenir la filière de la pêche. Une atteinte inquiétante à l’éducation des enfants (de CM1 et CM2) sponsorisée par le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. Nous relayons leur communiqué.
« Le kit sur les poissons de l’industrie et du ministère de l’Agriculture désinforme les enfants, dénoncent foodwatch et BLOOM »
Avec ses fiches ludiques, le nouveau kit pédagogique « Poissons Coquillages et Crustacés » — proposé par France Filière Pêche et destiné aux élèves de CM1 et CM2 — entend encourager les enfants à manger plus de poisson. Il s’agit de les éduquer à « la santé, la biodiversité, la responsabilité citoyenne vis-à-vis de l’environnement ». Mais dans les faits, ce kit ment surtout sur les véritables recommandations en termes de consommation et occulte par ailleurs d’importantes questions sur la surpêche, la saisonnalité des poissons, les métaux lourds, ou l’impact environnemental de la pêche. foodwatch et BLOOM dénoncent également l’ambiguïté de ce kit qui fait référence au Ministère de l’Education nationale alors que ce dernier n’a pas validé son contenu. À y regarder de plus près, ce kit est en réalité sponsorisé par le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, dans le but de soutenir la filière de la pêche et de l’aquaculture.
- Petits arrangements avec la véritable recommandation PNNS
- Pas de validation du Ministère de l’Education nationale
- Sont éludés : la surpêche et les impacts de la pêche sur les écosystèmes marins, les méthodes de pêche, la saisonnalité, les polluants, ce qu’implique l’élevage.
foodwatch et BLOOM s’insurgent contre le matériel promotionnel de la filière industrielle des produits de la mer, au contenu fortement biaisé et trompeur. Ce kit pédagogique, destiné aux élèves de CM1 et CM2, garde notamment le silence sur les questions qui fâchent, pourtant essentielles si l’on entreprend de sensibiliser de façon objective les générations futures. Ce kit est également annoncé comme étant soutenu par le Ministère de l’Éducation nationale, alors qu’il est en réalité le fruit d’une collaboration avec le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation et que le Ministère de l’Education n’en a pas eu connaissance.
« Nous dénonçons cette opération de désinformation des enfants sur les poissons et crustacés et ce, au sein même des écoles : une pratique inacceptable qui vise à occulter les sujets de fond comme les véritables recommandations nutritionnelles, les polluants, la surpêche, l’impact de la pêche sur les écosystèmes marins », soulignent Ingrid Kragl, directrice de l’information de foodwatch et Sabine Rosset, directrice de BLOOM.
Les objectifs affichés du kit « pédagogique » semblaient pourtant louables sur le papier : « Réalisé en collaboration avec des pédagogues et des enseignants (…), son objectif est de permettre aux plus jeunes de découvrir les acteurs, les métiers et les produits de la pêche et de l’aquaculture et de développer la consommation de produits aquatiques chez les jeunes. » Pour montrer patte blanche auprès des enseignants, le kit indique être le fruit d’une collaboration à priori rassurante : « France Filière Pêche, le Comité National de la Conchyliculture (CNC) et le Comité Interprofessionnel des Produits de l’Aquaculture (CIPA) se sont associés dans le cadre d’une grande campagne de valorisation des produits aquatiques, soutenue par l’UE, le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation et le Ministère de l’Education nationale ».
Problème n°1 : après vérification, le ministère de l’Education nationale n’a pas du tout validé le contenu du kit.
Problème n°2 : pour inciter à manger davantage de produits de la pêche, le kit ment sur les recommandations nutritionnelles officielles en annonçant dès les premières pages du ‘Guide de l’enseignant’ : « Bien que les recommandations du PNNS (Programme national nutrition santé, ndlr) soient de manger du poisson, des coquillages et/ou des crustacés au moins 2 fois par semaine… ». C’est faux. La recommandation du PNNS est de manger du « Poisson : 2 fois par semaine, dont un poisson gras (sardines, maquereau, hareng, saumon, truite fumée) ». Et non davantage, comme écrit dans le kit.
Problème n°3 : pour constituer un véritable outil pédagogique, bon nombre d’informations supplémentaires auraient dû s’y trouver, soulignent foodwatch et BLOOM. La responsabilité citoyenne vis-à-vis de l’environnement marin vaguement promise en introduction est la grande absente de ce kit. Plusieurs éléments d’importance pour nourrir la réflexion des élèves sur la consommation durable des produits aquatiques sont manquants ou à peine évoqués, regrettent les deux organisations. Ainsi, le kit ne comporte aucune information sur :
- Les polluants : selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), les poissons d’eau douce fortement bioaccumulateurs en PCB ou polychlorobiphényles (anguille, barbeau, brème, carpe, silure) sont à consommer avec modération : les fillettes notamment ne devraient pas en manger plus d’une fois tous les deux mois.
- La pêche durable : les fiches parlent de pêche durable et plus responsable en ne faisant référence qu’à la marque « Pavillon France ». Or, la marque « Pavillon France » — créée par France Filière Pêche, à l’origine du kit critiqué — ne donne aucune garantie concernant une pêche « durable et responsable » (garanties sur les conditions sociales et sur l’origine de la pêche uniquement), ce qui contribue à renforcer la perception totalement infondée de cette marque comme un éco-label.
- L’élevage : 20% des captures mondiales de poisson sont réduits en farine destinée à l’élevage, bien que 90% des poissons ciblés soient parfaitement comestibles par les humains. Les trois-quarts de cette pêche, que l’on appelle minotière, sont dédiés à l’aquaculture . Par son lien direct et conséquent avec la pêche minotière — largement critiquée pour ses impacts environnementaux mais aussi sociaux — l’aquaculture telle qu’elle est connue et promue au niveau européen, ne peut donc en aucun cas être présentée comme une solution.
- La surpêche : au niveau européen, 41% des stocks sont surexploités en Atlantique Nord-Est, et près de 90% en Méditerranée. Au niveau mondial, un tiers des stocks de poissons est surexploité. Le phénomène de la surpêche est donc toujours une réalité qui ne peut pas être niée. Le kit élude ce sujet-clé et prône une consommation durable des produits de la mer alors que les faits au niveau mondial mais également européen restent peu reluisants.
- La saisonnalité n’est pas non plus mentionnée dans ce kit. Or, comme dans le domaine agricole, c’est une notion importante pour la petite pêche côtière et la consommation responsable. Le bar, par exemple, se reproduit en hiver ; consommer cette espèce en février ou mars est une absurdité environnementale, en plus du fait d’obtenir alors un poisson de mauvaise qualité avec une chair flasque, des poissons emplis d’œufs.
- L’Anses recommande de varier les espèces de poisson et les lieux d’approvisionnement (sauvage, élevage, lieux de pêche, etc.) afin de permettre une couverture optimale des besoins en acides eicosapentaénoïque (EPA) et docosahexaénoïque (DHA), tout en limitant le risque de surexposition aux contaminants chimiques. Le kit n’aborde pas cette question et ne donne aucune information sur les différentes méthodes de pêche — qui utilisent soit des engins « passifs », immobiles, soit des engins « actifs », tractés par un ou deux navires — qui ont pourtant des impacts très différents sur les écosystèmes marins. Cette information est importante car c’est l’une des rares qui est indiquée obligatoirement sur l’étiquetage du poisson sauvage. Elle constitue donc un critère de choix pour les consommateurs.
Conclusion : nous demandons à ce que ce kit pédagogique soit retiré des classes où il a été envoyé, ou, à défaut, qu’un complément soit envoyé par le Ministère de l’Education, comportant les éléments cités ci-dessus.
- Le kit pédagogique dans son intégralité : le guide pour l’enseignant·e, les fiches à destination des élèves
- France Filière Pêche est une organisation interprofessionnelle qui regroupe les acteurs du secteur de la pêche : producteurs, mareyeurs, grossistes, transformateurs, grande distribution et poissonniers détaillants en France. Sa gouvernance est assurée par : Jacques Woci, ancien directeur général d’Intermarché Entreprises, Philippe Mérabet, président de la centrale d’achat et de référencement des coopératives d’avitaillement Cecomer, Gaëtan de Lamberterie, directeur de la marée pour le groupe Carrefour, Damien Levallois, Directeur général de l’entreprise Société Nouvelle de Pêcherie de Normandie (CA : plus de 9 millions d’€), Peter Samson, Secrétaire Général à l’Union du Mareyage Français (le mareyage représente 65% du CA des criées françaises), Bernard Benassy, directeur de la SCAPP (Société Coopérative Artisanale de Poissonniers Professionnels), Olivier Le Nézet, Président du Comité des Pêches de Bretagne, Bertrand Wendling, directeur général de la Société Coopérative Maritime des Pêcheurs de Sète Môle / SATHOAN.
- Recommandation PNNS officielle
- Celle de l’Anses est « consommer du poisson deux fois par semaine en associant un poisson gras à forte teneur en oméga 3 (saumon, sardine, maquereau, hareng, truite fumée) et un poisson maigre ».
- Recommandations pour enfants : Ameli, Santé publique France et PNNS pour les 3 – 11 ans
- Polluants, recommandation Anses
- Surpêche et stocks, cf. : FAO (2018) The state of world fisheries and aquaculture — Meeting the Sustainable Development Goals, Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO), Rome (Italy), p. xiv + 210. Voir aussi : Froese et al. (2018) Status and rebuilding of European fisheries, Marine Policy 93159-170, et STECF (2019) Scientific, Technical and Economic Committee for Fisheries — 60th plenary meeting report (PLEN-19-01), in: Ulrich and Doerner (Eds.) Scientific, Technical and Economic Committee for Fisheries (STECF), Ispra (Italy), p. 161.
- Obligation de l’Etiquetage des poissons sauvages
- Les trois-quarts de cette pêche, que l’on appelle minotière, sont dédiés à l’aquaculture : Cashion et al. (2017) Most fish destined for fishmeal production are food-grade fish, Fish and Fisheries 18(5) 837–844.