Détour par l’archipel de Svalbard, l’une des terres habitables les plus au nord sur notre planète. À « seulement » 1000 kilomètres du pôle Nord, c’est la vie arctique par excellence qui s’étend sous nos yeux. Des pics montagneux, l’océan Arctique, des glaciers, les aurores boréales et, quelque part dans cette nature sauvage, des milliers d’ours polaires en liberté, géants blancs bien plus nombreux que les hommes dans ces contrées hostiles. Ici, un jardinier extraordinaire fait son œuvre.

À 78° de latitude nord, dans ce décor du bout du monde entre la Norvège (pays souverain sur l’archipel) et le pôle Nord, Benjamin Vidmar a trouvé sa destinée : la permaculture polaire. Ce chef cuisinier américain est tombé amoureux de l’Arctique. Après avoir voyagé et exercé ses talents professionnels dans de nombreux pays ou sur des bateaux de croisière, il s’est installé ici, dans les cuisines d’un pub local. Mais le constat s’est rapidement imposé à lui : la nourriture (exclusivement importée faute de production locale) n’était pas à la hauteur de ses attentes, elle porte le goût amer des milliers de kilomètres parcourus. « Je voulais les produits les plus frais possibles mais ici, tout arrive par avion ou bateau depuis le continent », nous explique Benjamin Vidmar. Impossible dites-vous ? « Beaucoup de produits stockés pourrissent et sont jetés à la mer comme tous les déchets alimentaires à Svalbard. Tout cela n’a aucun sens, il y a tellement mieux à faire ! ». Il ne fallait pas plus, Benjamin va alors révolutionner Svalbard en tentant de cultiver des produits frais et locaux en conditions extrêmes. Et ce n’est pas la rigueur du climat qui va l’en empêcher…

Benjamin Vidmar – Photographies: Pascale Sury pour Mr Mondialisation

À plus de 3000 km de Paris, Svalbard, l’une des dernières grandes terres sauvages d’Europe, est composée à 60% de glace, 30% de roches montagneuses et à peine 10% de végétation. Il y a quelques siècles encore, l’endroit était inhabité avant l’arrivée des trappeurs, chasseurs de baleines puis des mineurs qui extraient le charbon aujourd’hui encore. Dans cette nature isolée, ce climat glacial où la lumière du jour s’absente pendant 3 mois par an, le projet de Benjamin ressemble à « mission impossible » et pourtant…

Depuis 2015, sa petite ferme polaire est installée à Longyearbyen, la principale ville de l’archipel : un dôme est utilisé comme serre pour les cultures sous le soleil d’été, un laboratoire intérieur sert de potager hivernal. Compost, hydroponie, lampes LED basse consommation,… Benjamin est encore en phase d’expérimentation de multiples techniques pour produire localement coute que coute : « Je suis pour une approche holistique et durable, la permaculture en fait partie, mais pas seulement. La permaculture a beaucoup évolué, de nombreux courants existent désormais. Moi je regarde ce qui se fait partout, ce qui fonctionne et je l’expérimente ici. J’ai choisi le terme de permaculture polaire car j’aime l’éthique qui caractérise la permaculture : prendre soin de la Terre, des hommes et mieux utiliser les ressources, ce sont ces principes qui me guident, pas une vision fanatique de la permaculture ! ».

Photographie: Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Dans les glaces de l’Arctique, Benjamin produit des légumes, des graines germées, des herbes aromatiques, des radis, des choux et des œufs de caille qu’il vend aux locaux. Avec les technologies modernes et un peu de savoir-faire, il est persuadé que l’homme peut faire pousser de la nourriture locale partout sur terre, même en condition climatique extrême, afin de nourrir sa famille et sa communauté.

Un savoir-faire unique que Benjamin espère partager au monde entier pour voir d’autres communautés développer leurs propres produits locaux et de qualité. « Avec ce projet, je veux repousser les limites du possible, beaucoup de gens dans d’autres pays nous observent, alors je veux tenter un maximum d’expériences ici, mixer les techniques, on a toute la liberté de le faire à Svalbard. Et quand on réussit ici, dans ce climat compliqué, c’est la preuve qu’on peut le faire partout ailleurs ! »

Photographies: Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Dans ce petit bout du monde, la beauté est dans l’immensité blanche, le pastel du ciel, la sérénité du silence, le souffle du vent et du craquement des glaces. C’est la nature à l’état pur, même si le changement climatique ne manque pas de menacer ce paysage fragile. Les températures moyennes ont augmenté, les grands glaciers de l’archipel fondent et reculent d’années en années ! Alors, pour préserver cette splendeur, au-delà d’une nourriture fraîche, organique et locale, le projet de Benjamin a une ambition plus large, réduire l’empreinte écologique de l’archipel et améliorer le développement durable de la localité : « Je veux participer à la construction d’un modèle circulaire et durable pour toute la communauté, je récupère par exemple les déchets organiques pour qu’ils ne soient plus jetés à la mer mais transformés en compost, ce qui me permet de faire pousser de nouveaux légumes ». Produire localement, même à l’aide du savoir moderne, reste infiniment plus propre que d’importer sa nourriture industrielle depuis le continent.

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Photographies: Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Aujourd’hui, Svalbard importe toujours la majorité de sa nourriture et exporte la majorité de ses déchets, mais les restes organiques et les égouts sont eux tout simplement jetés à la mer. L’explosion de l’industrie touristique menace également le fragile équilibre, le nombre de nuitées touristiques est passé de 80000 à plus de 130000 en une décennie. Le grand nord semble peu à peu devenir une zone incontournable à visiter comme Paris ou Tokyo. Une situation environnementale qui interpelle Benjamin : « Nous avons les plus hautes émissions de C02 par habitant ici, il faut réagir. Casser le modèle, ‘j’importe, j’achète, je rejette à la mer’. D’autant que Longyearbyen veut être « une vraie ville » et attirer encore plus de touristes ! » Selon les dernières statistiques des autorités norvégiennes et les études de l’université locale, si Svalbard était un pays, il serait en tête de liste des émissions de CO2 par habitant : en 2017, le Qatar était leader avec 35 tonnes par habitant, Svalbard en compte plus de 70, soit 10 fois plus que la Norvège continentale, à cause principalement des centrales au charbon et de l’activité minière. Cette situation n’est plus tenable.

Photographies: Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Svalbard entretient une relation étroite avec l’agriculture mondiale, l’archipel accueille l’unique « réserve mondiale de semences » (Global Seed Vault en anglais). Une chambre forte, enfoncée dans le permafrost, destinée à conserver dans un lieu sécurisé les graines de toutes les cultures vivrières de la planète et ainsi, mettre à l’abri des désastres, la biodiversité végétale du monde. Tout juste 10 ans après son ouverture, la réserve compte désormais plus d’un million de graines et près de 6000 espèces différentes, endormies par le froid dans ce bunker. Une « copie de sauvegarde » en cas de catastrophes naturelles, guerres, maladies ou changements climatiques. En espérant que la fonte du permafrost ne s’attaque pas à cette oeuvre d’une importance capitale. À 5 km de là, Benjamin prévient : « On ne sera pas auto-suffisant en alimentation, mais un pourcentage, quel qu’il soit, de notre nourriture doit absolument être cultivé ici ! Et on doit prendre en charge nos déchets, ce sera déjà une grande victoire ».

Mari Tefre/Svalbard Global Seed Vault

Photographies: Pascale Sury pour Mr Mondialisation

Même si le projet de permaculture polaire est une petite pierre dans l’océan Arctique, il a le mérite de conscientiser la population. Benjamin en appelle désormais au crowdfunding pour que le rêve se professionnalise et se construise avec une véritable équipe !

Photographie: Pascale Sury pour Mr Mondialisation

– Pascale Sury & Mr Mondialisation


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