Alors que les pesticides s’imposent toujours largement dans les champs européens, l’Agence européenne de l’environnement (EEA) déplore ses effets néfastes pour la santé humaine et les écosystèmes du continent. Dans son dernier rapport, l’institution propose un état des lieux des dernières connaissances sur la question et identifie les bonnes pratiques pour réduire leur utilisation et leurs risques dans toute l’Europe. A quand l’application de ces consignes ? Retour sur une inaction politique mortelle. 

« La production agricole européenne dépend de volumes élevés de pesticides chimiques pour maintenir les rendements des cultures », c’est par ce triste constat que débute le nouveau rapport de l’Agence européenne de l’environnement (EEA) sur l’utilisation des intrants chimiques agricoles en Europe.

Et pour cause, bien que les pesticides détruisent la viabilité des terres agricoles et aggravent la précarité alimentaire sur le long-terme, une dépendance toxique a bien été mise en place puisque, de 2011 à 2020, les ventes de pesticides dans l’Union des 27 sont restées relativement stables, avec environ 350 000 tonnes de produits vendus par an, malgré les alertes sanitaires et écologiques.

Etat des lieux européen

« Alors que la Lettonie et l’Autriche ont enregistré les taux d’augmentation les plus élevés des ventes de pesticides, les plus fortes augmentations totales des volumes vendus ont été observées en Allemagne et en France », rapportent les experts.

Ces derniers notent en revanche une baisse des ventes dans 11 états-membres de l’Union durant cette même période, particulièrement en Tchéquie, au Portugal et au Danemark.

Source : « How pesticides impact human health and ecosystems in Europe » – Briefing no. 06/2023 – European Environment Agency, disponible sur : https://www.eea.europa.eu/publications/how-pesticides-impact-human-health

Il est à noter que ces chiffres sont loin de ne concerner que les agriculteurs : « Les pesticides sont également utilisés dans des milieux non agricoles, comme par exemple, dans les forêts, le long des routes et des voies ferrées et dans les zones urbaines telles que les parcs publics, les terrains de jeux ou les jardins », précise le rapport.

Pour certains de ces espaces comme les espaces verts urbains, leur fréquentation par le public et notamment par les enfants et les personnes âgées représente un risque supplémentaire associé à leur utilisation massive. Plusieurs associations de défense des espaces publics « sans pesticide » se sont d’ailleurs faites entendre récemment : comme par exemple l’initiative Pesticide Free Towns, lancée par le Pesticide Action Network Europe en 2022.

Ces organisations déplorent généralement le manque de certitude quant aux impacts des ces pesticides sur la santé humaine et sur l’environnement et exhorte à l’application du principe de précaution.

En effet, si « les risques posés par les pesticides pour la santé humaine et les écosystèmes dépendent non seulement des propriétés intrinsèques de leurs composants (par exemple, les substances actives, les coformulants, les adjuvants) », ils découlent également de « la manière dont ils sont utilisés y compris la fréquence d’application, les volumes et la méthode, et la culture et le type de sol ».

L’application de pesticides sur une parcelle entraîne inévitablement un transfert vers les environs. – Image : Pixabay

Des méthodes d’évaluation des risques controversées

Au sein de l’Union européenne, une substance active peut-être approuvée si elle est considérée comme sans danger pour la santé des personnes et qu’elle n’a pas d’effets inacceptables sur l’environnement après une série de tests.

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Malheureusement, les experts pointent « les limites des méthodes d’essai, la disponibilité des données et les obligations de communiquer les effets indésirables des pesticides approuvés (c’est-à-dire la surveillance post-commercialisation) » comme des freins majeurs à la bonne évaluation des produits disponibles sur le marché. Par exemple, les substances actives en cours de renouvellement d’agrément restent aujourd’hui sur le marché le temps d’une nouvelle évaluation des risques. Une dynamique qui a conduit « à la poursuite de l’utilisation de substances dont l’interdiction a ensuite été proposée, comme dans le cas récent du fongicide dimoxystrobine », rappellent les auteurs du rapport.

De même, certaines autorisations d’utilisation d’un pesticide interdit peuvent être accordées à titre exceptionnel par un Etat membre. En 2020, selon le rapport, plus de 13 000 tonnes de substances actives non approuvées ont été vendues dans l’UE, comme les néonicotinoïdes réintroduits plusieurs fois en France, puis récemment interdits, car reconnus comme des substances toxiques majeures pour les abeilles.

Au delà de ces mesures réglementaires discutables, l’effet cocktail est également insuffisamment pris en compte : « le paradigme actuel d’évaluation des risques est fragmenté et ne parvient pas à saisir l’exposition cumulée et combinée aux pesticides, et les impacts qui en résultent sur la santé humaine et les écosystèmes », regrettent les experts, sans oublier les effets combinés des co-formulants ou des adjuvants.

Pollution : quand s’arrêteront les dégâts ?

En attendant, l’utilisation massive de ces intrants chimiques pollue les sols et les eaux du continent : « en 2020, sur la base des données nationales communiquées à l’AEE, un ou plusieurs pesticides ont été détectés, au-dessus des seuils d’effet ou de qualité, sur 22 % des sites de surveillance des eaux de surface signalés en Europe, y compris les rivières et les lacs ».

Parmi les substances détectées, l’atrazine, un puissant herbicide interdit depuis 2007, continue de polluer largement nos eaux souterraines. « En fait, la plupart des substances pour lesquelles un nombre élevé de dépassements sont observés à travers l’Europe ne sont plus approuvées dans l’UE. Cela met en évidence les impacts à long terme de l’utilisation des pesticides et les utilisations d’urgence possibles », constate encore l’EEA.

Pour la population générale, la principale source d’exposition au pesticide reste l’alimentation, notamment les fruits et les légumes non-biologiques, mais également les produits d’origine animale.

De même, l’eau potable s’avère être également un facteur de contamination. Une étude danoise a ainsi estimé que 41 % des ménages du pays étaient potentiellement exposés aux pesticides dans l’eau potable entre 2015 et 2019, tandis qu’en Irlande, 4,5 % des approvisionnements en eau potable dépassaient les normes autorisées.

Source : « How pesticides impact human health and ecosystems in Europe » – Briefing no. 06/2023 – European Environment Agency, disponible sur : https://www.eea.europa.eu/publications/how-pesticides-impact-human-health

Cette exposition importante et durable aux intrants agricoles chimiques peut-être délétère pour la santé humaine à plusieurs égards, et est notamment suspectée d’être liée à l’apparition de maladies chroniques telles que divers types de cancers (lymphome non hodgkinien, myélome multiple, cancers de l’ovaire, du sein, du cerveau et de la prostate), des troubles neurologiques tels que les maladies de Parkinson et d’Alzheimer, des retards de développement chez les enfants, des problèmes d’infertilité ou encore une altération des capacités respiratoires.

Pour le reste du monde vivant, les pesticides s’avèrent aussi être particulièrement néfastes : « des évaluations récentes montrent que l’exposition aux pesticides est liée à un large éventail d’effets directs (létaux et non létaux) et indirects sur la biodiversité, contribuant au déclin des populations d’insectes, d’oiseaux, de chauves-souris, de vers de terre, de plantes aquatiques, de poissons et d’amphibiens, etc… », déplorent les auteurs du rapport.

Colibri @timothy-abraham/Unsplash

Des pistes pour enfin sortir des pesticides

Finalement, et forts des ces nombreux constats, l’équipe de recherche plébiscite une action politique urgente et impactante.

Celle-ci devra débuter sans concession par la réduction des pesticides dans les cultures, notamment au moyen de pratiques agroécologiques, comme « les cultures intercalaires, la gestion de la conservation des sols et la diversification des cultures », qui assurent selon les auteurs, une préservation de la productivité et de la rentabilité des exploitations, « outre leurs bénéfices pour la biodiversité et la qualité des sols ».

Au-delà d’une diminution de l’utilisation des pesticides et des risques associés, l’EEA encourage les institutions à prévenir de nouveaux risques au stade de l’évaluation des risques et de l’autorisation de mise sur le marché, notamment par le biais de l’amélioration des procédures actuelles d’évaluation des risques, afin de « mieux appréhender les impacts des pesticides au niveau de l’écosystème et répondre à l’incertitude scientifique, conformément au principe de précaution qui sous-tend le règlement sur les produits phytopharmaceutiques ».

Cela inclurait également l’exigence d’une surveillance post-commercialisation plus systématique, le renforcement de la collecte de données au niveau des exploitations sur l’utilisation des pesticides et l’expansion de la biosurveillance humaine et de la surveillance environnementale. Autant de prescriptions qu’il reste à appliquer, impliquant pour cela d’approfondir la question du rôle des lobbies dans la persistance du marché des pesticides malgré leurs dangers avérés.

– L. A.

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