Publiée dans le magazine Science Advances, une nouvelle étude britannique décèle les risques environnementaux liés à l’éclairage nocturne artificiel largement répandu en Europe. En se basant sur des millions de clichés pris par la Station spatiale internationale (ISS), les chercheurs mettent en évidence la progression fulgurante de l’éclairage par diode électroluminescente (LED), plus froid, plus blanc, mais aussi plus nocif pour l’environnement.
Lampadaires allumés, néons des panneaux publicitaires, éclairages des vitrines, phares des voitures ou écrans de télévision… Autant de sources lumineuses qui polluent l’obscurité et empêchent la nuit de s’installer. Si l’on parle aujourd’hui volontiers de la pollution chimique, plastique, sonore ou même spatiale, la disparition de l’obscurité n’est encore que très peu évoquée.
Pollution de masse
Pourtant rien qu’en France, le nombre de points lumineux de l’éclairage public a augmenté de 89 % depuis les années 1990 quand la quantité de lumière émise a, elle, connu une croissance infernale de 94 %. À cela s’ajoute encore les sources lumineuses privées comme les publicités lumineuses, les vitrines, les illuminations, les bureaux vides mais éclairés et les parkings. Au total, ce n’est pas moins de 11 millions de lampadaires et plus 3,5 millions d’enseignes de magasins qui s’allument chaque soir pour éclairer l’Hexagone.
À l’échelle européenne, la pollution lumineuse est donc loin d’être un détail. Les cartes nocturnes émises par la Station spatiale internationale parlent d’elles-mêmes : en les observant, n’importe quel spectateur prendra conscience de l’envergure du phénomène.
Transition lumineuse accélérée
Mais alors que les scientifiques ont déjà été nombreux à répertorier cette vertigineuse évolution lumineuse et à en pointer les impacts sur l’environnement – comme c’est le cas de Johan Eklöf, chercheur et écologiste suédois qui a récemment alerté sur la disparition de l’obscurité dans son ouvrage « Osons la nuit » – peu d’entre eux avaient déjà songé à comparer la composition spectrale de la lumière artificielle nocturne.
Pourtant, « une grande partie du stock mondial d’éclairage extérieur est en train de passer de lampes à spectre étroit (par exemple, les lampes à sodium basse pression) à des lampes à spectre « large blanc » (comme les LED), ce qui a notamment entraîné une augmentation des émissions bleues », explique Alejandro Sánchez de Miguel, chercheur à l’Université de Exeter, au Royaume-Uni.
Du jaune au bleu
Alors qu’en 2005, 56 % des lampadaires en Europe étaient des lampes au sodium (47 % haute pression et 9 % basse pression) produisant une lumière orangée à jaune, l’installation de lampes dites blanches (LED ou autres technologies) s’est rapidement imposée ces 20 dernières années sur le continent européen, et notamment au Royaume-Uni, en Italie, en Roumanie, et en Irlande.
« Milan a été la première ville municipale d’Europe à entreprendre une conversion totale de son éclairage public aux LED blanches », détaillent ainsi les chercheurs.
Au Royaume-Uni, 51 % de l’ensemble de l’éclairage public étaient déjà convertis en LED début 2019, et en Espagne, les LED représentaient 61 % de toutes les ventes et 56 % de l’éclairage public en 2017. « D’ici la fin de cette décennie, toute l’Europe pourrait paraître blanche depuis l’espace », explique Alejandro Sánchez dans un communiqué de l’Agence spatiale européenne.
A contrario, certains pays ont connu des changements moins marqués comme l’Autriche, l’Allemagne ou encore la Belgique. « L’Allemagne a probablement la plus forte proportion d’éclairage au gaz de tous les pays, et de nombreuses lampes fluorescentes et à vapeur de mercure sont encore utilisées, de sorte que le changement spectral avec la transition LED est moins marqué », poursuit Alejandro Sánchez de Miguel. Le plat pays, lui, brille en orange foncé en raison de l’utilisation généralisée de lampes au sodium basse pression.
Sobriété, vraiment ?
Si autant de pays ont fait le choix de cette transition lumineuse, c’est avant tout pour assurer un éclairage moins gourmand en énergie. Mais alors que la technologie LED permet une réduction des émissions associées à l’éclairage, les sources lumineuses n’ont jamais été aussi nombreuses ces dernières années.
En cause ? Probablement un « effet rebond » ou « paradoxe de Jevon » selon les chercheurs, qui postulent que l’efficacité énergétique et la diminution perçue du coût économique associée ont entraîné une augmentation de la demande d’éclairage.
Forts de ces constats, les scientifiques se sont penchés sur les impacts biologiques de ces nouveaux types d’éclairage. « Les changements dans les spectres de l’éclairage nocturne artificiel et en particulier l’augmentation des émissions aux longueurs d’onde bleues couramment associées à l’éclairage public à LED se sont avérés avoir des impacts biologiques importants », révèlent-ils dans leur nouvelle étude publiée en septembre dernier dans la revue Science Advances.
Bouleversements biologiques
Alejandro Sánchez de Miguel et son équipe ont ainsi mis en évidence les bouleversements biologiques entrainés par une telle transition lumineuse. Par exemple, alors que les cycles de la mélatonine sont des composants clés des systèmes circadiens et des déterminants de l’organisation temporelle biologique, la production de cette hormone est supprimée par l’éclairage nocturne artificiel, déréglant ainsi les cycles naturels d’éveil et de sommeil d’une multitude d’espèces, y compris les êtres humains.
Pour les insectes et les animaux nocturnes, comme les chauves-souris, la production lumineuse de nuit dérègle leur capacité à se mouvoir et à accomplir les rôles biologiques nécessaire à leur survie (alimentation, reproduction, repos,…). Les scientifiques craignent que l’augmentation d’une composition spectrale plus blanche des éclairages nocturnes n’aggrave ce phénomène.
Un examen minutieux indispensable
Si les chercheurs ne se sont concentrés que sur quelques conséquences de l’émergence d’une lumière blanche dans nos villes (comme la suppression de la mélatonine, de la visibilité de la lumière des étoiles, la phototaxie et le comportement des chauves-souris), ils estiment que les impacts d’une telle transition sont « beaucoup plus étendus », étant donné que « de très nombreux phénomènes biologiques sont spectralement dépendants et souvent particulièrement sensibles aux émissions bleues ».
Voilà peut-être de quoi questionner la transition lumineuse au LED tant plébiscitée par les politiques européennes de ces dernières décennies. Les scientifiques de l’Université de Exeter suggèrent dans tous les cas un examen plus minutieux des conséquences environnementales et sanitaires du passage à l’éclairage LED à l’échelle européenne avant de poursuivre cette transition.
– L. Aendekerk
Photo de couverture : crédits à l’Agence spatiale européenne.