Mercredi 9 novembre au matin, la police italienne a évacué une maison occupée par des jeunes précaires et des familles de migrants dans la ville de Padoue (Vénétie, Italie). Une intervention sans préavis ni solution de repli pour les occupant.e.s, mais surtout exercée violemment tant sur le fond (procédé inhumain) que sur la forme (évacuation violente, plusieurs citoyen.ne.s blessé.e.s). L’occasion de revenir sur une crise exceptionnelle du logement dans cette ville étudiante du nord-est de l’Italie, sur l’explosion des prix, mais aussi sur l’incompétence des instances locales dans la gestion d’une crise non anticipée.

« #Padoue. De nouveaux affrontements devant le siège d’ATER. La police et les gendarmes en tenue anti-émeute ont chargé les manifestants à deux reprises. Il y a plusieurs blessés. Un présidium public est relancé devant le siège de la municipalité à 18 heures. » – traduit depuis le média Global Project.

 

ATER, instance publique en quête de profits

Nous nous sommes entretenus avec Marco, membre du collectif local Catai (affilié au parti politique Potere al Popolo), que nous remercions pour ses informations : le logement, honteusement évacué de ses occupant.e.s mercredi 9 novembre, appartient officiellement à ATER (Agence régionale propriétaire du bâtiment) une entreprise régionale publique de la Vénétie, qui est chargée en théorie d’offrir un toit aux plus démuni.e.s par le moyen de logements sociaux.

Or, dans la province de Padoue : ATER a décidé de placer 500 logements sur le marché privé alors qu’elle est une organisation publique avec une balance économique positive et n’a manifestement pas de problèmes de fonds.

Le syndicat des locataires “Unione Inquilini” (pour Padova Oggi) révèle que cette décision est d’autant plus scandaleuse que nous sommes en pleine crise du logement. En effet, ce sont des milliers de personnes qui ont fait récemment la demande de logements sociaux.

la municipalité de Padoue  n’attribuerait que 163 logements sur les 1347 familles demandeuses

Pour le syndicat, l’objectif d’ATER est clair : augmenter le budget de l’entreprise et, ce, malgré l’aggravation de la crise sociale. La responsabilité de la municipalité de Padoue est également engagée, elle qui semble dépassée par la crise et n’attribuerait que 163 logements sur les 1347 familles demandeuses, toujours selon le syndicat. 

 

Spéculation sur la population étudiante

L’université de Padoue, fondée en 1922, est l’une des plus anciennes universités au monde. Reconnue pour son héritage, Padoue est désormais connu pour sa difficulté à loger ses étudiant.e.s... Crédit photo : © Jörgens.mi

Selon un article de la rédaction indépendante de Seizethetime.it : “avoir un toit à Padoue est un problème”. Le papier s’attarde d’abord sur l’urgence du manque de logements universitaires. Avec 63 000 étudiant.e.s pour une ville de 208 000 habitant.e.s, l’administration et les pouvoirs locaux ne peuvent pas prétendre à la surprise quant à la demande élevée de chambres de la part des étudiant.e.s. Pourtant, la crise et l’impossibilité de trouver un logement sont une réalité qui s’aggrave. Seizethetime avance deux sources d’explication à cette crise : 

– L’une de long terme, à savoir la spéculation sur la population étudiante. En cause d’abord : la constante spéculation de la bourgeoisie citadine des professions libérales, mais aussi “l’absence de planification en matière de logement, laissée aux fluctuations du marché, de la part de l’université mais surtout de la municipalité et de la région, à travers ATER.”

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– L’autre, exacerbé par la crise Covid, est “une forte fluctuation de la population étudiante », mais s’y ajoutent aussi : le gel et le dégel incessant des expulsions, la prime à la rénovation – qui rend temporairement inhabitables des logements dont les loyers vont ensuite augmenter – et une tendance générale à préférer la vente à la location (à laquelle contribue la crise économique, en obligeant souvent les petits propriétaires à monétiser un maximum de biens immobiliers, mais aussi des facteurs moins contrôlables comme la peur généralisée des locataires retardataires).

La rédaction de Seizethetime questionne également plusieurs aspects, voire anomalies. En effet, une population marginale a bénéficié de la grande majorité des efforts en matière de création de logements universitaires : les étudiant.e.s de l’école galiléenne. A savoir moins de 150 élèves (soit 0,2% de la population universitaire…), sélectionné.e.s pour avoir les meilleurs résultats scolaires, la méritocratie dans toute sa splendeur. Résultats des courses : seuls 650 logements universitaires sont mis à disposition pour les élèves inscrit.e.s à l’Université de Padoue (hors Erasmus et “Galiléens” donc), un chiffre dérisoire pour une ville qui compte 30% d’étudiant.e.s. 

A noter que les étudiant.e.s internationaux connaissent également, en plus, certains problèmes liés au permis de séjour, document qu’il est nécessaire de présenter pour obtenir un logement universitaire ; or pour obtenir ce permis de séjour il est impératif d’être domicilié.e en Italie…

Des (ir)responsabilités partagées 

Dans la ville de Padoue, 800 expulsions étaient en cours au moment de la sortie de l’article de Seizethetime en date du 1er octobre 2021, témoignant des difficultés économiques rencontrées par une grande partie de la population.

Il existe bel et bien des appels à l’attribution de logements sociaux, mais dans un cadre problématique où l’ATER vend des appartements au marché privé sans planifier la construction de nouveaux logements. De plus, les garanties demandées pour obtenir un logement excluent d’emblée une partie importante de la population, puisqu’il faut présenter deux contrats à durée indéterminée par famille.

En plus de l’Université et de l’ESU (agence régionale pour le droit aux études universitaires), Seizethetime pointe les responsabilités de l’administration et de la région de la Vénétie “en tant que ceux qui n’ont pas pu -ou pas voulu- œuvrer pour soustraire le droit fondamental du logement aux fluctuations du marché”.

Un logement occupé honteusement évacué

« Les opérations d’expulsion de l’occupation des logements sont terminées. Un cortège sauvage s’est formé, se dirigeant vers l’ATER, l’agence régionale propriétaire du bâtiment. » titre Global Project quelques temps après l’intervention de la police.

Ce mercredi 9 novembre matin, ATER a fait un pas de plus vers la maltraitance sociale en évacuant une maison occupée par plusieurs étudiant.e.s, travailleur.se.s précaires et familles de migrants dans l’impossibilité de trouver un logement.

ATER a décidé d’envoyer la police afin d’expulser au petit matin les occupant.e.s sans préavis ni solution de repli, le tout dans l’objectif de se placer sur le marché privé et de réaliser des profits sur ce logement, récupéré violemment tant sur le fond que sur la forme.

Selon un témoignage d’une membre de « l’Agence pour la Cohésion Sociale » de Venise pour Global Project, près de 1800 logements de propriété publique sont laissés vacants sur le seul territoire de Venise... De même, ATER laisse vacants plusieurs logements dans la même rue (rue Melette à Padoue) où elle a procédé à l’évacuation du 9 novembre…

C’est le pas de trop de la part d’ATER qui a suscité l’indignation des diverses organisations sociales et associations de Padoue, mais aussi de centaines de citoyen.nes, s’étant réunis le soir même devant la mairie à l’appel de plusieurs organisations ; en solidarité avec les personnes expulsées et blessées par la police, mais aussi pour réclamer logements, droits et dignité pour tous.tes.

« Stop aux évacuations. Trop de personnes sans logement, trop de logement sans personne. » Devant la mairie de Padoue, Italie. Crédit : Fsociété.fr

Cette réunion solidaire marque en effet une injustice très concrète du quotidien des habitant.e.s de Padoue : qui aujourd’hui ne connaît pas un.e proche ou ne s’est pas retrouvé.e soi-même dans la désespérante situation de ne pas trouver ne serait-ce qu’une chambre -même partagée- pour vivre ? Cette incertitude peut toucher n’importe qui dans un contexte où les logements se font rares, les prix ont explosé, de nombreux.ses étudiant.e.s précaires ont d’ailleurs dû renoncer à leurs études, pris un logement dans une ville voisine ou bien se ruinent en logeant dans des auberges de jeunesse ou autres Airbnb en attendant de trouver une solution.

Padoue est la ville d’Italie où l’augmentation des prix de l’immobilier est la plus forte avec une hausse médiane de +42,2% pour une chambre entre l’année 2021 et 2022

Padoue est d’ailleurs la ville d’Italie où l’augmentation des prix de l’immobilier est la plus forte avec une hausse médiane de +42,2% pour une chambre entre l’année 2021 et 2022 selon Il Giornale. Une chambre coûte désormais en moyenne 458€ dans cette ville de taille moyenne, des prix équivalents à ceux de la capitale romaine ; le tout dans un contexte de vie de plus en plus chère et d’explosion des factures que nous subissons tous.tes à travers l’Europe.

En somme, la ville de Padoue illustre un cas aujourd’hui extrême (demain normalisé ?) de : la vie chère, la gentrification, l’explosion des prix, la spéculation sur la population étudiante, d’une précarité bientôt synonyme de sans-abris, de l’échec voire l’inaction des instances publiques à apporter des solutions aux personnes les plus démunies, de la violence administrative et inhumaine pour celleux qui doivent recourir à l’illégalité pour avoir ne serait-ce qu’un toit, etc.

Dans un contexte de guerre et de crise économique qui nous plongent de plus en plus dans la maltraitance et la violence sociale, le système capitaliste continue de faire payer la crise à celleux qui la subissent déjà de plein fouet. Alors gardons une certaine vigilance quant aux comportements des services et pouvoirs publics lorsqu’ils s’inscrivent dans la recherche de profits et ignorent les préoccupations sociales, en contradiction criminelle avec leur supposée fonction.

Benjamin Remtoula


Photo de couverture : Expulsion à Padoue, Italie (09/11/2022) @Sherwood Foto, partagée avec toutes autorisations.

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