Le parc National des Virunga, s’étendant sur l’Est de la République Démocratique du Congo jusqu’aux frontières de l’Ouganda et du Rwanda, est connu pour sa biodiversité des plus riches. Il accueille une espèce en voie d’extinction : les gorilles des montagnes. Depuis des décennies, des rangers veillent à la conservation du parc et luttent contre le braconnage des gorilles et le trafic illégal des ressources. Malheureusement, en raison de sa situation géographique, le parc subit l’insécurité constante de la région depuis plus de 20 ans et, notamment, dû à une récente escalade de la violence suite au retour d’un groupe armé inactif depuis 2013.

Le Virunga, c’est le parc national le plus ancien du continent africain et l’un des plus riche en termes de biodiversité, recouvrant sur sa superficie de 790 000 hectares à la fois volcans actifs, savanes, montagnes, lacs et vastes forêts tropicales. Ce parc fait plus largement partie de la forêt du bassin Congo considérée comme le deuxième poumon de la planète après la forêt amazonienne.

Parc national des Virunga. Auteur : Guy Debonnet © UNESCO

Sa riche biodiversité lui vaut son nom de « parc de feu et de glace » ainsi que son inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1979. La faune du parc compte plus de 1.000 espèces d’animaux dont 44 espèces menacées d’extinction. C’est l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN) qui est chargé de sa gestion, ainsi que des 10 autres parcs naturels congolais. L’ICCN y mène des projets environnementaux mais aussi énergétiques, économiques et agricoles.

Le rôle essentiel des « écogardes »

Le parc national des Virunga, c’est aussi et surtout le travail de plus de 770 rangers, ou « gardiens de la biodiversité »,  qui dédient leur quotidien à la conservation du parc contre le trafic illégal des ressources et à la protection des derniers gorilles de montagne et des éléphants contre le braconnage.

Alors que le parc ne comptait plus que 58 gorilles des montagnes en 1981, ils sont aujourd’hui estimés à 330 et ce, en grande partie grâce aux patrouilles régulières des gardes qui leur permettent de localiser les familles de gorilles, surveiller leur état de santé et faire intervenir des vétérinaires si nécessaire, ou encore désactiver les pièges installés par les braconniers. Un travail de titan sur un territoire si vaste qu’est le Virunga.

Véhicules de rangers au Parc National des Virungas. Source : Nina R from Africa

En plus de suivre les gorilles dans la forêt afin de s’assurer de leur survie à l’état sauvage, le parc a mis en place le Centre Senkwekwe, sanctuaire qui recueille et s’occupe des jeunes gorilles orphelins dont les parents ont été victimes de braconnage ou de conflits.

Ce travail de protection ne va malheureusement pas sans risques. Depuis 1996, plus de 200 rangers sont décédés dans l’exercice de leur fonction, se retrouvant souvent face à des groupes armés qui occupent certaines parties du parc. Le dernier en date, Etienne Kanyaruchinya, est décédé en novembre 2021 à la suite d’une attaque contre le poste de patrouille de Bukima.

La menace de l’exploitation pétrolière

Le directeur du parc depuis 2008, l’anthropologue Emmanuel de Mérode, a d’ailleurs été la cible de plusieurs attaques en raison de sa fonction et de sa volonté de protéger le parc coûte que coûte, notamment en s’opposant à des compagnies pétrolières qui souhaitent exploiter les ressources du parc.

L’une de ces attaques remonte à 2014 durant laquelle le directeur s’est fait tirer dessus dans des circonstances encore vagues. Selon Emmanuel de Mérode, à cette époque,

« Nous nous battions contre une compagnie pétrolière britanniqueNous étions en confrontation avec un certain nombre de personnes. Ce jour-là, j’avais soumis un rapport d’enquête substantiel sur les activités de la compagnie pétrolière ».

Et en effet, comme expliqué dans le documentaire Virunga sorti en 2014, les autorités du parc ont activement lutté contre la compagnie pétrolière britannique SOCO et son ambition d’exploiter le pétrole au sein du parc. La compagnie avait d’ailleurs déjà commencé ses explorations mais, suite à une médiation avec WWF notamment, SOCO avait finalement accepté de se retirer et d’abandonner son projet de concessions pétrolières dans le Virunga.

Un manifestant anti-pétrole tient une banderole swahili, « Le forage pétrolier dans les Virunga est dangereux pour les habitants et l’environnement. » Les autorités congolaises assurent la sécurité des participants © Edgar Mbekemoja

Malheureusement, depuis 2 ans, ce sont les autorités congolaises elles-mêmes qui ont exprimé leur souhait d’un « déclassement par décret d’une zone à intérêt pétrolier » dans plusieurs parc naturels dont celui des Virunga… Chose faite à présent : en juillet dernier, le président congolais Félix Tshisekedi a lancé un appel d’offres pour 27 blocs pétroliers et 3 blocs gaziers, autorisant les activités de forage dans 11 millions d’hectares de forêt dans le Bassin du Congo. Le Président a justifié cette décision par l’ambition de développer la région et de créer de nouveaux emplois.

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Et pourtant, pas sûr que l’exploitation du pétrole par des multinationales profite vraiment aux populations locales, au contraire… En plus de représenter une dégradation de l’environnement et une aggravation du réchauffement climatique, les activités de forage représenteraient aussi une atteinte aux droits des communautés autochtones qui résident dans certaines des zones mises aux enchères.

Projets d’économie verte et de justice sociale

L’extraction des ressources naturelles au détriment de l’environnement et des peuples autochtones qui y habitent ne constitue pourtant pas le seul moyen de promouvoir le développement de la région, et c’est ce que les projets économiques lancés dans le Virunga prouvent à nouveau.

Outre les activités directement liées et destinées à la conservation du parc, le Virunga abrite de nombreuses initiatives de relances économiques durables et de création d’emplois, ses populations frontalières étant majoritairement en situation d’extrême pauvreté. Ces projets sont lancés sous l’impulsion de L’Alliance Virunga, créée en 2013, qui vise à « favoriser la paix et la prospérité par le développement économique responsable des ressources naturelles ».

Selon Emmanuel de Mérode, la conservation du parc ne concerne pas un « simple problème de protection des gorilles et des éléphants ; il s’agit de surmonter un problème économique au cœur de l’une des plus horribles guerres civiles de l’histoire ».

C’est notamment dans cette optique que 3 centrales hydroélectriques ont été construites en 2018, engendrant la création de 20.000 emplois et favorisant la naissance d’entreprises autour du parc. Les centrales permettent de fournir de l’électricité aux quelques 200.000 habitants aux alentours, et de fournir gratuitement l’électricité aux hôpitaux ou encore aux écoles.

L’équipe de l’ONG Virunga Origine

Cette énergie verte engendre l’opportunité pour d’autres initiatives de développement, telle que la construction d’une usine de chocolat locale, Virunga Origins, qui permet aux autorités du Virunga d’exporter des produits issus de l’agriculture durable afin de « générer de la valeur pour les populations riveraines du Parc » et de rémunérer correctement les producteurs de cacao.

De quoi soutenir les habitants congolais subissant l’instabilité de la région depuis trop longtemps. Selon la philosophie du parc, sortir les gens de la pauvreté permettrait aussi de les éloigner de l’envie de rejoindre les groupes armés et ainsi d’alimenter la violence incessante au sein de la région.

Cycle de la violence

Ce n’est malheureusement pas qu’aux civils aux alentours que profitent les ressources abondantes du Virunga pour subvenir à leur besoins. On estime qu’une douzaine de milices armées survivent grâce aux ressources du parc – principalement en braconnant, en pratiquant la pêche illicite dans le Lac Edouard et, surtout, en coupant du bois pour le vendre comme combustible.

Barques de pêches du Lac Edouard. Source : MONUSCO Photos

Le commerce du charbon de bois rapporterait l’équivalent de plus de 27,5 millions d’euros. Celui-ci est principalement géré par les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), autre groupe armé sévissant dans les régions du Sud-Kivu et Nord-Kivu. À cette fin, les groupes armés procèdent au déboisement pour le charbon de bois et menacent directement la biodiversité du parc. Au-delà des dégâts environnementaux qu’il engendre, ce trafic alimente directement les groupes armés, ce qui de toute évidence, n’améliore pas la stabilité de la région.

Escalade des tensions dans l’Est de la RDC

En plus du braconnage et du trafic d’armes, la situation est restée instable depuis le début des guerres civiles en 1996. La résurgence du groupe rebelle M23 depuis octobre 2021, actif dans l’Est de la République Démocratique du Congo, représente à nouveau une importante menace. Il avait pourtant été dissout en 2013. Le M23 ou « mouvement du 23 mars » est un groupe rebelle également exposé dans le documentaire Virunga. On peut y voir des évacuations de villages entiers et du personnel du parc en raison de l’avancée de la milice aux abords du parc.

M23, the 1st of March 2013. © MONUSCO/Sylvain Liechti (Wikimedia)

La RDC accuse le Rwanda de soutenir financièrement ce groupe, expliquant les actuelles tensions entre les 2 pays. Et c’est malheureusement le secteur où vivent justement les gorilles de montagne qui est le plus exposé aux conflits, se situant à la frontière entre le Rwanda et la RDC.

Selon Emmanuel de Mérode, le retour du M23 et des conflits dans ce secteur « met en danger cette espèce des mammifères qui représente l’espoir de la relance du secteur touristique, secteur économique important du pays».

Dans une interview, il précise que les conséquences de ces menaces sont à observer sur le long terme, étant donné qu’elles menacent l’avenir économique de la région. En effet, les conflits menacent à la fois les revenus récoltés grâce au tourisme pour perpétuer la conservation du parc, ainsi que tous les projets de relance et de création d’emplois sous l’initiative de l’Alliance Virunga.

Les sites touristiques ont été complètement fermés depuis l’attaque de l’un de ceux-ci en novembre 2021 et le décès d’un ranger qui s’y trouvait. Le manque de revenus du tourisme est catastrophique pour le parc en cette année 2022, car ce ne sont pas moins de 12 millions de dollars qui ne seront pas générés.

Les projets de relance économique sont eux-aussi mis à mal par la résurgence du groupe armé. Le 16 août dernier, une centrale hydroélectrique en construction a subi des tirs d’artillerie provenant des positions du M23 situées à moins de 5km du site du chantier. Les abords du parc sont à nouveau le théâtre d’affrontements entre les forces armées de la RDC qui essayent de défendre les villes et populations du Nord-Kivu et le M23 qui avance de plus en plus et occupe désormais la ville de Rumangabo, quartier général du parc national des Virunga.

En bref, ce sont toutes les initiatives, qu’elles soient économiques ou environnementales, qui sont menacées par le retour de ce groupe. 

Entre espoir et incertitude

Le Parc national des Virunga représente à la fois une source de projets, d’espoir et un moteur pour la région. Portée par les actes de bravoure des quelques centaines de rangers qui dédient leur vie à sa conservation, la population de gorilles de montagne est grandissante.

Baby Mountain Gorilla in Virunga National Park, the Democratic Republic of the Congo. Source : Wikicommons

Mais à côté de cela, le parc se situe au cœur de conflits incessants, et ses ressources alimentent les groupes armés qui sévissent dans la région. Alors que la situation s’était améliorée il y a une dizaine d’années, aujourd’hui, les menaces du groupe rebelle M23 d’une part et d’exploitation pétrolière d’autre part sont bel et bien de retour.

Les autorités congolaises et la communauté internationale doivent agir pour mettre fin à l’impunité et au cycle infernal de la violence en RDC. Le peuple congolais, et plus particulièrement de l’Est de la RDC, subit depuis trop longtemps l’insécurité. Le Virunga, sa faune, et ses richesses naturelles n’en font pas exception. Continuer de soutenir les projets économiques et sociaux de la région représente aussi une occasion d’encourager les jeunes à sortir du cycle de la violence.

– Delphine de Hemptinne


Sources :

Site officiel du parc national des Virunga, https://virunga.org/fr/

« RDC: tirs d’artillerie signalés dans le parc national des Virunga », RFI, 18/08/2022, https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220818-rdc-tirs-d-artillerie-signal%C3%A9s-dans-le-parc-national-des-virunga

“Guns, Gorillas and Netflix: a Belgian Prince in Congo”, Adam Popescu, New York Times, 22/09/2022, https://www.nytimes.com/2022/09/22/style/congo-belgian-prince.html

« Parc national des Virunga en RD Congo : le dangereux travail de protection des gorilles », Vivienne Nunis et Sarah Treanor, BBC News, 8/03/2021, https://www.bbc.com/afrique/region-56269221

« Soco halts oil exploration in Africa’s Virunga national park », John Vidal, The Guardian, 11/06/2014, https://www.theguardian.com/environment/2014/jun/11/soco-oil-virunga-national-park-congo-wwf

« En RDC, trafics et exploitation illégale du parc des Virunga financeraient les groupes armés », Le Monde, 8/09/2021, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/09/08/en-rdc-trafics-et-exploitation-illegale-du-parc-des-virunga-financeraient-les-groupes-armes_6093864_3212.html

« Vente de concessions pétrolières et gazières en RDC : attention danger ! », Antonia Juhasz et Luciana Téllez Chávez, Jeune Afrique, 3/10/2022

Photo de couverture : Miliciens du M23 au Congo. Source : Al Jazeera English

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