Avec les multiples troubles économiques subis par le pays et l’inflation galopante, la crise du logement n’a sans doute pas fini de faire parler d’elle. Touchant à la question environnementale et surtout sociale, elle pourrait bien devenir l’un des principaux enjeux des  prochaines années. Tour d’horizon de ses composantes majeures. 

1) Les passoires thermiques  

L’hiver approchant, la question des passoires thermiques va inévitablement revenir sur le  devant de la scène. Et pour cause, la France ne compte pas moins de 7,2 millions d’habitations peu ou pas isolées. Parmi elles, 5,2 millions constituent des résidences principales, soit 17 % du parc immobilier. Le reste représente des résidences secondaires (1,2 million) et des logements vacants (800 000). 

Si cette contrainte occasionne évidemment un inconfort certain, aussi bien par grand froid  qu’en période de canicule, elle signifie également un coût financier important. Selon une étude de 2020, les ménages occupant une passoire thermique débourseraient entre 600 € et 1400 € par an de plus que si leur demeure était rénovée. Nul doute, d’ailleurs, que ce coût a encore progressé avec l’explosion récente du prix de l’énergie. 

Vivre dans un logement mal chauffé peut, de même, entraîner un risque pour la santé. Un  logement sous la barre des 18° met déjà en danger les plus fragiles, notamment les seniors. À 16°, il existe une menace psychologique et respiratoire, à 12° on s’expose à des dysfonctionnements cardiovasculaires et à 6° pointe l’hypothermie.  

Et bien sûr, une température constamment trop basse augmente les chances de tomber malade. Selon une autre étude, du Ministère de la Transition Energétique lui-même, mettre fin aux passoires thermiques permettrait de réaliser une économie annuelle de 10 milliards d’euros à la sécurité sociale. Ce type de logement engendre également une certaine forme d’exclusion. En effet, beaucoup de Français souffrent de honte à l’idée d’inviter des amis ou des voisins dans de telles conditions. 

Enfin, les passoires thermiques provoquent évidemment un désastre écologique. Rien qu’en France, celles-ci seraient responsables de pas moins de 6 millions de tonnes de CO² dans l’atmosphère chaque année. Pour arriver à un parc immobilier à zéro émission de gaz à effet de serre d’ici 2050 en France, la rénovation d’environ 700 000 logements par an s’impose. Or,  on est très loin du compte avec le rythme actuel puisque l’hexagone effectue le minimum requis sur à peine 40 000 habitations par an. Il faut dire que les travaux nécessaires coûteraient pas moins de 30 milliards d’euros par an ; un investissement que l’État ne semble pas prêt à réaliser pour l’instant, malgré les bénéfices d’une autre nature qui en découleraient.  

 

2) Le mal-logement 

Il va souvent de pair avec les passoires thermiques ; le manque de confort de base toucherait plus de 2 millions de personnes selon la fondation abbé Pierre. Dans les logements concernés, fait défaut au moins un élément fondamental, comme l’eau chaude, le chauffage, une salle de bains, ou encore une installation électrique sécurisée.

160 000 d’entre eux sont même sous le coup d’un arrêt d’insalubrité d’après l’INSEE. Ce chiffre ne prend évidemment en compte que les logements signalés. Or, un certain nombre d’habitats non conformes ne sont pas dénoncés par leurs occupants.  D’abord, parce qu’ils en sont eux-mêmes les propriétaires et n’ont pas les moyens de les  rénover. Les locataires, ensuite, n’osent pas toujours déclencher des démarches, surtout lorsqu’ils traversent une situation délicate qui leur fait craindre la rue. Enfin, il se peut également que le résidant n’ait tout simplement pas conscience d’avoir affaire à un marchand de sommeil, comme c’est parfois le cas pour des étudiants étrangers.

Il y a également un mal-logement systémique, souvent invisible car hérité de dizaines d’années de politiques d’urbanisation, auxquelles on s’est habitués, comme à une évidence. Qui connaît véritablement l’histoire récente des constructions de bâtiments en banlieue parisienne ? C’est pourtant, en creusant un peu, la source d’une injustice réelle : des immeubles en kit, dont on savait qu’ils étaient friables, de très mauvaise qualité, et impossibles à rénover, ont permis de concentrer des populations pauvres à un même endroit, rapidement. L’Etat et quelques médias ne se seront ensuite pas privés de tenir les habitants responsables du délabrement de leurs locaux, afin de ne pas avoir – la plupart du temps – à y remédier. C’est pourtant l’insalubrité programmée de ces lieux qui, à force, aura davantage découragé leur entretien par leurs occupants dévalorisés :

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Les plus précaires, qui ont beaucoup de mal à trouver un logement, peuvent donc avoir peur  d’avertir les autorités, d’autant plus s’ils ne sont pas à jour de tous leurs paiements de loyer.  Pire encore, quelques propriétaires peu scrupuleux peuvent profiter de la situation illégale de certains immigrés… Pour finir, notons également le problème de certaines résidences universitaires régulièrement décriées pour leur état déplorable. 

Par ailleurs, 934 000 personnes manqueraient d’espace dans leur logement. Selon l’INSEE, une habitation est dite « surpeuplée » dès lors qu’elle n’est pas dotée d’au moins une pièce de vie, d’une chambre pour un couple, et d’une chambre pour deux enfants du même sexe ou de moins de 7 ans (sinon une chambre par occupant supplémentaire). Cette promiscuité a d’ailleurs été particulièrement ressentie par certaines familles lors des confinements imposés par la crise du covid-19. 

Mais le cas le plus grave reste sans doute celui des infortunés ne disposant tout simplement  pas de toit au-dessus de la tête. Dans ce contexte, 643 000 résidants français sont hébergés par  des tiers et près de 50 000 individus séjournent en foyer où à l’hôtel. Enfin, 300 000  personnes vivent encore la rue, et ce malgré les promesses d’Emmanuel Macron de mettre fin au sans-abrisme en 2017. 

3) Le coût financier 

D’année en année, la part du budget des ménages dans le logement ne cesse d’augmenter. À l’aube des années 60, elle s’élevait à peine à 12 %, en 2021, elle avait franchi les 34 %. Il n’a, en effet, échappé à personne que les loyers gonflent sans arrêt, surtout dans les grandes villes, tandis que la progression des salaires ne suit pas. 

Cette hausse n’est évidemment pas étrangère à celle des tarifs de l’immobilier, surtout depuis le début du millénaire. Si l’on prend l’exemple de Paris, on arrive d’ailleurs à des  augmentations démentielles : le prix du mètre carré a ainsi été multiplié par 10 depuis 1960.  

Au rayon des grosses dépenses, il faut également compter celui de l’énergie. Non seulement le coût de l’électricité ne cesse de progresser, mais les divers moyens de chauffage semblent tous subir de la même façon les  conséquences de l’inflation. À titre d’exemple, on peut noter que le prix des pellets de bois pour les poêles à granulés a doublé depuis l’année dernière. 

 

4) Le bruit 

La concentration des habitats et surtout la mauvaise isolation acoustique de beaucoup de  logements sont la source d’un problème auquel de nombreux Français sont confrontés ; celui du bruit.  

Dans un rapport de 2021, le coût social de ce fléau était même évalué à 147,1 milliards  d’euros par an. Il s’agit d’abord d’un véritable enjeu de santé publique puisque 20 % de la population européenne est suffisamment exposée aux nuisances sonores pour en subir des conséquences sanitaires. 

La première raison (66,5 %) de ces pollutions auditives résulte du transport routier, de  nombreuses habitations se situant près des voies de circulation. Mais dans 18 % des cas, les  bruits dérangeants proviennent directement du voisinage. Là encore, les pauvres sont les moins bien lotis, surtout en milieu urbain. Et pour cause, les  demeures les moins bien isolées contre le froid le sont aussi contre le bruit. Les plus précaires  sont également ceux qui ont les logements les moins bien localisés, les plus petits et les plus concentrés. Autant de facteurs qui ne font que décupler les nuisances sonores. 

 

5) Une offre insuffisante 

Manifestation Nationale pour l’accès au logement 10/2020 @Gwenael Piaser/Flickr

De plus en plus de Français ont du mal à trouver un toit. Il faut dire que l’offre immobilière se restreint chaque année. Dans les grandes villes, c’est même la croix et la bannière pour  dénicher un logement décent. Une enquête récente de « Particulier à particulier » indiquait  d’ailleurs que 76,4 % des prétendants à la location éprouvaient des difficultés à trouver  chaussure à leur pied. 

Et pour cause, l’explosion des prix de la pierre a détourné de nombreux potentiels acheteurs vers la location. Résultat des courses, le marché s’est profondément tendu. Un préjudice qui  touche notamment les étudiants et les jeunes. À Paris, les garanties financières demandées aux postulants se multiplient chaque année, à tel point que beaucoup de candidats sont forcés de falsifier leur dossier. De plus, beaucoup d’entre eux doivent travailler en parallèle de l’université, réduisant ainsi leur chance de réussite. 

La situation devient tellement complexe pour certains élèves précaires qu’ils sont contraints de refuser de suivre leur cursus dans certaines villes où les loyers sont trop élevés. D’autant  plus que l’État ne fait pas grand-chose pour développer sérieusement son parc immobilier étudiant. Il n’existe en effet que 380 000 places en résidence publique alors qu’il y a 2,7  millions de personnes engagées en faculté.  

D’autres régions connaissent une certaine pénurie d’habitats en raison d’un élément auquel on pense peu : l’attrait touristique. En Bretagne ou sur la côte basque, par exemple, l’offre se raréfie considérablement à cause de citadins qui s’achètent des maisons secondaires (1 logement sur 10 en France) ou des biens loués uniquement en saison (type Airbnb).  

Ce phénomène fait donc grimper les prix et oblige les locaux les plus précaires à s’éloigner de leur lieu de travail. Un cercle vicieux qui a d’ailleurs également des conséquences environnementales puisque ces déracinés n’ont pas d’autre choix que d’utiliser plus souvent leur voiture. 

Une chose est certaine, si les pouvoirs publics ne prennent pas rapidement la situation en main, la question du logement pourrait très vite se transformer en une bombe à retardement, autant au niveau social qu’écologique ; et une fois de plus, ce sont les plus pauvres qui en paieront les pots cassés.

– Simon Verdière 

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