Depuis plusieurs années, les hausses continuelles du coût de l’électricité en France n’ont échappé à personne. De 2010 à 2019, les tarifs s’étaient déjà envolés de 50% ; mais suite à la crise du Covid-19, l’escalade ne semble plus pouvoir s’arrêter. Dans ce drame, les politiques de l’énergie imposées par l’Union Européenne portent une responsabilité fondamentale. Introduction à cette dimension du problème.

Tout récemment, ce sont les prévisions du prix de gros de l’électricité pour 2023 qui ont défrayé la chronique. On annonce en effet 1000€ le mégawatt-heure l’année prochaine, contre seulement 85€ il y a un an. Et même si le tarif des particuliers n’est pas directement lié au prix de gros, plusieurs autres facteurs ont de quoi faire paniquer bon nombre de ménages.  

Une conjoncture défavorable 

Les prix pourraient d’abord augmenter à la défaveur d’une production nucléaire française historiquement faible : 32 réacteurs nucléaires sur 56 sont actuellement à l’arrêt pour cause d’entretien ou de corrosion due à la sécheresse.

La remise en service de plusieurs centrales pourrait même prendre du retard et pénaliser l’approvisionnement cet hiver. À cause de ces défaillances de réseau, que beaucoup nous présentaient pourtant comme infaillible, la France se trouve en ce moment contrainte d’importer de l’énergie. 

De nombreux observateurs ont aussi pointé du doigt la guerre en Ukraine comme responsable de la crise énergétique. En représailles des sanctions économiques qu’elle a subies de la part de l’Union Européenne, la Russie a, en effet, choisi de limiter l’alimentation des pays occidentaux en gaz. Résultat, les prix de l’électricité bondissent. D’une part, parce qu’une fraction de l’électricité est produite grâce à ce gaz, mais surtout parce que les prix du courant sont directement liés à celui du gaz en raison des réglementations européennes.  

L’absurde système européen  

En effet, le marché unique européen pénalise fortement la France, puisque les prix de gros de l’électricité sont alignés sur la production des centrales énergétiques européennes les plus chères, en l’occurrence celles au gaz. On amplifie ainsi les tarifs en se fixant sur des critères complètement indépendants du coût réel de fabrication globale. Autrement dit : comme le gaz augmente, tout augmente.

Mais le cœur du scandale réside sans doute dans la mise en concurrence d’EDF avec d’autres fournisseurs. Imposée par l’UE, cette rivalité totalement artificielle ne répond qu’à une logique dogmatique du néolibéralisme.  

En France, deux géants nationaux, Engie (ex GDF-Suez) et surtout EDF, élaborent et distribuent 95% du courant électrique. Et pourtant, il existe une constellation de marchands. Si certains comme Enercoop ou Ilek produisent eux-mêmes par l’intermédiaire d’énergies renouvelables, pendant que d’autres fournisseurs dits verts cachent des mines de charbons, l’immense majorité d’entre elles se contentent d’acheter cette énergie à EDF pour ensuite la revendre.

Et pour cause, la loi imposait à EDF de solder à ses concurrents 100 terawatts-heures (soit un quart de sa production nucléaire) à des prix cassés. Pire, le gouvernement a fait augmenter cette quantité à 120 terawatts-heures, alors même que la production globale est en baisse. Toutefois, les fournisseurs concurrents n’ont, de leur côté, aucune obligation d’acheter. Tels des  courtiers, ils saisissent simplement le moment opportun, c’est-à-dire lorsque les prix sont au plus bas. Ce qui explique que certaines entreprises invitent en ce moment leurs clients à résilier leur abonnement.  

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Perte d’argent pour EDF 

Et pour entretenir cette concurrence factice, EDF est même obligé de vendre à perte. Pire encore, lorsqu’elle ne dispose plus assez d’énergie à céder à ses rivaux, elle est forcée d’en racheter au prix fort sur les marchés pour ensuite la sacrifier à bas coût aux fournisseurs concurrents.  

Au bout du compte, le revendeur principal des Français se trouve alors obligé d’augmenter ses propres prix, pour que ses adversaires puissent survivre à ses dépens et rester compétitifs. Le tarif réglementé d’EDF doit donc être fixé à un niveau supérieur de celui des autres marchands. Un mécanisme digne d’un roman de Kafka, pourtant en vigueur depuis 2015. 

Dans ces circonstances, on aurait pu penser que la future renationalisation d’EDF, annoncée par le gouvernement, serait une bonne raison de se réjouir. Seulement, elle n’interviendra pas dans un contexte de monopole d’État puisque les fournisseurs concurrents et la tarification absurde du marché européen unique existeront toujours.  

Le plan paraît plutôt fondé sur une relance massive du nucléaire et sur une socialisation des pertes essuyées par EDF. Dans le même temps, les énergies renouvelables, bien plus rentables que l’atome, pourraient être privatisées. Une façon pour le gouvernement de renouer avec le projet Hercule dont l’objectif était de découper l’entreprise publique EDF pour la soumettre au droit européen de la concurrence. Rien qui ne semble, en tout cas, pouvoir faire diminuer la note. 

Si pour le moment, la flambée des prix est contenue à hauteur de 4% par un bouclier tarifaire mis en place par l’État, ce dispositif prendra fin en février 2023. Les macronistes ont promis qu’ils ne laisseraient pas les factures exploser, mais ils ont cependant admis qu’ils ne pourront pas geler les prix éternellement et qu’une hausse des tarifs est à prévoir. Pas de quoi rassurer les  ménages déjà fortement touchés par l’inflation galopante… Pendant que les classes les plus riches continuent de profiter allègrement d’une dépense énergétique bien supérieure. 

– Simon Verdière


Photo de couverture Engie @Photothèque AT/Flickr

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