Plus vieilles que les pyramides de Gizeh, le colosse de Rhodes ou encore la grande Muraille de Chine, certaines merveilles du monde n’ont pas attendu l’essor des civilisations humaines pour advenir. C’est apparemment le cas de « Gran Abuelo », un cyprès de Patagonie (Fitzroya cupressoides) prenant racine dans une vallée isolée du sud du Chili depuis près de 6 000 ans. C’est grâce aux récentes estimations de Jonathan Barichivich, amoureux des forêts et chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), que le géant de plus de 60 mètres de haut apparait aujourd’hui comme l’arbre le plus vieux du monde, détrônant au passage les pins Brislecone de Californie (Etats-Unis).

« C’est un miracle », s’émerveille Jonathan Barichivich. S’il a toujours grandit dans les forêts du parc national d’Alerce Costero, le climatologue ne s’attendait pas à faire une telle trouvaille un jour. « Je n’ai jamais pensé à l’âge que pourrait avoir le Gran Abuelo », confie-t-il au Guardian. « Les disques ne m’intéressent pas vraiment. » 

Le tronc du Gran Alerce Abuelo fait 11 mètres de circonférence – Source : Wiki Commons

Un véritable défi scientifique

Mais à force d’admirer ses hauteurs, l’homme de 41 ans a fini par souhaiter percer le mystère. L’affaire n’est cependant pas si simple. Généralement, la méthode utilisée pour déterminer l’âge d’un arbre consiste à compter le nombre d’anneaux, ou de cernes, composant le tronc du végétal. Ce processus connu sous le nom de dendrochronologie nécessite donc un échantillon (carotte) prélevé dans le tronc de l’arbre vivant. Une autre technique consiste à analyser un fragment des racines en utilisant la datation au carbone. 

Dans les deux cas, ces prélèvements étaient tout bonnement impossible à effectuer sur Gran Abuelo, très fragilisé : le coeur du Fitzroya cupressoides a probablement pourri sous l’effet du temps et les racines du du vieil arbre sont déjà trop mal en point. « L’objectif est de protéger l’arbre, pas de faire la une des journaux ou de battre des records », explique le climatologue au magazine américain Newsweek.

« Ce n’est pas la peine de faire un grand trou dans l’arbre juste pour savoir que c’est le plus vieux. L’enjeu scientifique est d’estimer l’âge sans être trop invasif pour l’arbre. »

Un modèle statistique pour pallier le manque de données

Le chercheur et son collègue Antonio Lara, dendrochronologue à l’Université Australe du Chili, ont alors commencé par prélever une carotte partielle d’environ 40% du diamètre de l’arbre. Celle-ci comptait déjà plus de 2 400 cernes de croissances, laissant présager un âge encore plus avancé du spécimen. 

Le parc national Alerce Costero est l’un des cinq parcs bicentenaires du Chili. – Crédits : Patagonia Chile Adventures

Sans se laisser décourager, les deux scientifiques ont mis au point un modèle statistique permettant de déterminer l’âge complet du Gran Abuelo. Basé sur les analyses d’autres troncs de la même espèces, des facteurs environnementaux locaux et des phénomènes de croissances mis à jours, ils ont pu estimer l’âge total probable du vétéran : 5484 ans.

Si ces résultats restent à l’état de probabilités pour le moment, Jonathan Barichivich et Antonio Lara affirment que l’arbre a 80% de chances d’être âgé d’au moins 5000 ans, détrônant ainsi l’arbre Mathusalem, un pin Bristlecone considéré depuis 1964 comme l’organisme vivant non-clonal le plus âgé de la planète. Prenant racine dans l’état de Californie depuis près de 4 800 ans, l’arbre au tronc épais et dense a été tordu par les siècles sans succomber aux maladies ni aux intempéries. Son emplacement exact est encore aujourd’hui gardé secret pour éviter toute dégradation volontaire.

L’arbre Mathusalem, un pin Bristlecone de Californie. Source : Wiki commons

Mésentente scientifique

Certains scientifiques ne partagent cependant pas l’enthousiasme du chercheur, estimant qu’aucune conclusion hâtive ne puisse être tirée de l’expérience tant que celle-ci n’aura pas fait l’objet d’une recherche publiée en bonne et due forme.

Pour Ed Cook, dendrochronologie américain reconnu de la Columbia Climate School, « la seule méthode pour déterminer l’âge réel d’un arbre est de compter les cernes annuels et cela nécessite que tous les anneaux soient présents ».

Sûr de ses avances, le climatologue Jonathan Barichivich espère tout de même publié les résultats de ces recherches dès le début de l’année prochaine. Entre temps, il entend bien affiner son modèle statistique. 

Une histoire de famille

Alors que son grand-père, autrefois premier gardien du parc, découvre le Gran Abuelo lors d’une patrouille au début des années 1970, de nombreux cyprès géants sont encore abattus par les bucherons des environs. Leur bois était alors encore privilégié pour la construction, notamment de certaines églises. 

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Les célèbres églises en bois de l’île de Chiloé, protégées par l’Unesco, ont été fabriquées avec du bois de cyprès de Patagonie. 

Depuis, le Chili a interdit leur coupe et les hordes de touristes se précipitent chaque année dans cet espace naturel privilégié pour admirer « leur arrière grand-père à tous ». Haut d’une soixantaine de mètres, large de 4 mètres de diamètre pour 11 mètres de circonférence, ce cyprès de Patagonie a décidément tout d’un vieux et ne manque pas d’impressionner ses visiteurs. 

Le Gran Abuelo en danger

Ces mensurations majestueuses ne sont pourtant pas toujours gage de robustesse. A force d’être piétinés à longueur de journée, les racines de l’arbre et le sol qui les recouvrent se tassent, empêchant une bonne absorption des nutriments nécessaires à la vigueur de ce dernier. Certains touristes s’autorisent même à prélever un morceau d’écorce du colosse, en guise de souvenirs. « Petit à petit, l’arbre est en train de mourir », déclare Marcelo Delgado dans les colonnes du Guardian, l’un des cinq gardes forestiers à plein temps.

Après avoir constaté de nombreux actes de vandalisme sur les arbres du parc, la société forestière nationale du Chili a décidé de fermer le sentier pour une durée indéterminée, accordant ainsi à ces géants silencieux un temps de repos bien mérité.

De nombreux touristes parcourent le parc naturel chaque année, dégradant parfois les spécimen les plus vieux. – Crédits : Patagonia Chile Adventures

Jonathan Barichivich, soucieux du bien-être et de la survie des cyprès qu’il a pu observé toute sa jeunesse, espère que sa découverte permettra de sensibiliser les âmes humaines à la nécessité de protéger et de s’émerveiller du monde sauvage qui nous entoure. 

– L.A.

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