Sarah Roubato propose de poser un autre regard sur une France que l’on dit trop vite condamnée et pessimiste en donnant la parole à des gens qui ont décidé de pratiquer autrement leur métier, ou tout simplement leur vie, là où ils sont et à leur échelle. Entretien avec Sarah Roubato sur ce projet atypique de portraits sonores intimes qui s’inscrit dans une économie solidaire.

« Au coin de la rue, il y a des gens qui cultivent l’extraordinaire au quotidien. Hors système, hors-norme, ils mènent leur révolution. La nôtre aussi. Celle de demain. Ils ont accepté de me donner quelques heures, quelques jours de leur vie, dans un lieu qui leur parle. » 

Voici ce qu’on peut entendre dans le générique de la série de portraits sonores L’Extraordinaire au quotidien. Sa conceptrice et réalisatrice, Sarah Roubato, est l’auteure de la Lettre à ma génération : moi je n’irai pas qu’en terrasse publiée sur Mediapart en novembre 2015, qui avait fait plus d’un million de lecteurs, devenant le texte le plus lu de l’histoire du journal.

Mr Mondialisation : D’où est venue l’idée de ces portraits sonores ?

Sarah Roubato : Partout où je vais en France, je suis frappée par le décalage entre la société française que je vois sur le terrain et la représentation médiatique qu’on nous en fait. Or ce qu’on voit dans les médias agit beaucoup sur les comportements : à force de voir partout que la France est en crise, que tout va mal, les gens se disent qu’il n’y a rien à faire. Ces portraits proposent de montrer que partout, en campagne comme en ville, beaucoup de gens de tous les âges parviennent à pratiquer leur métier loin des chemins tracés, en conformité avec leurs valeurs et à vivre autrement.

cecile-recadreeCécile Raynal, celle qui sculpte ceux qu’on ne voit jamais. Portrait.  

Mr M. : Autrement, mais pas nécessairement sur un mode alternatif ou écologique ?

S. R : Non, ces portraits ne se limitent pas à ceux qui vivent en harmonie avec la nature ou sur un mode alternatif. Il y en a bien sûr, mais je parle d’un changement plus large, qui s’amorce à tous les niveaux. Ce sont des gens qui n’ont simplement pas suivi les chemins tout tracés dans leur domaine. Je vais voir un paysan dans les Pyrénées qui travaille sans tracteur, un ancien champion du monde de boxe qui allie boxe et soutien scolaire en banlieue parisienne, un chanteur qui chante partout sauf sur les scènes conventionnelles, ou encore une sculpteure qui sculpte des détenus, des adolescents en soins psychiatriques, des religieuses, des mamies dans des maisons de retraite, et change par ses sculptures leurs rapports et le regard qu’ils portent sur eux-mêmes.

Mr M : En quoi les portraits de L’extraordinaire au quotidien se distinguent des portraits ou reportages qu’on peut entendre habituellement à la radio ?

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S. R : Ce ne sont pas des portraits journalistiques, c’est-à-dire que je ne vais pas chercher d’information ou de récit biographique. On n’est pas dans une configuration d’interview en question/réponse. Je n’oriente pas l’entretien, au contraire je me laisse porter par ce que la personne veut exprimer. Ça peut se passer sur son lieu de travail, de vie, où elle veut, et souvent je participe. Je raconte avant tout l’histoire d’une rencontre, dans une narration très personnelle où j’assume ma subjectivité, tout en ouvrant la réflexion pour aller au-delà de la personne.

paysan4Olivier de Méras, un paysan qui a décidé de travailler sans tracteur.

Mr M : Justement le but de ces portraits, ce n’est pas tant de s’intéresser à la personne ni même à son métier, mais de trouver des inspirations pour nos propres vies ?

S. R : Oui, exactement. Le but n’est pas tant de connaître les personnes que de montrer en quoi leurs choix de vie peuvent être inspirants pour chacun de nous, là où l’on est, dans son domaine, et quelque soit notre âge et notre catégorie socio-économique. Au final, avec le paysan on parle plus de transmission et d’éducation que d’élevage, avec la sculpteure on parle féminité et comment se connaître soi-même, avec le chanteur on parle de sortir des catégories toutes faites et de liberté.

Mr M : Faire vivre ces portraits doit représenter un investissement important. Faites-vous appel à une économie solidaire sur internet et en direct ?

S. R : Oui, je sais qu’il n’est pas habituel de payer pour un podcast, mais en même temps les gens réalisent de plus en plus que s’ils veulent autre chose, il faut nous donner une chance. On a besoin d’eux pour inventer de nouveaux métiers et de nouveaux médias.

Chaque portrait prend environ un mois de travail à temps plein, et je ne bénéficie d’aucune aide ni subvention. Un extrait de chaque portrait est disponible en ligne, et pour acheter le portrait complet de 25 minutes, la vente en ligne est à prix libre, c’est-à-dire que les gens choisissent ce qu’ils sont prêts à mettre : 0.50 € équivalent à un caramel, 1 € équivalent à un café, etc jusqu’à l’équivalent d’un film en DVD.

J’organise aussi des soirées d’écoute collective, le principe est de se réunir pour écouter ensemble deux portraits, et en discuter. C’est unique car dans nos sociétés l’expérience de l’écoute de la radio est devenue solitaire. Pour ces soirées c’est sur contribution libre : nourriture, logement ou argent. Ça peut se passer dans un café, une bibliothèque, un théâtre, un fournil, une ferme, un centre d’animation, ou encore chez les gens. Et la contribution peut se faire en argent ou en échange de service. Alors avis à ceux qui seraient intéressés à organiser ces soirées, ils peuvent m’écrire sur la page contact de mon site.

Mr M. : Merci Sarah et bonne continuation pour vos projets !

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Source : sarahroubato.com / Toutes les photographies à la discrétion de Sarah Roubato

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