Une étude récente indique que 87% des Français pensent faire un geste pour la planète lorsqu’ils achètent un produit Made in France. S’appuyant sur cette vague de consommation locale, un grand nombre d’entreprises ont fait de cette appellation leur argument marketing phare. Devenue incontournable, elle permet aux marques de gonfler leur prix, mais peut aussi induire le consommateur en erreur. Dans l’industrie du textile, les filières de production et de distribution sont souvent opaques, décentralisées avec des réglementations peu exigeantes. Ainsi, le Made in France ne garantit pas toujours l’écoresponsabilité du produit et certains producteurs engagés, comme Himalayan Made, se révèlent parfois même encore plus écologiques en centrant leur production dans un seul pays étranger. Explications.

Deuxième secteur industriel le plus polluant au monde, l’industrie du textile émet plus d’1,2 milliard de tonnes de CO2 par an, et produit près de 53 millions de tonnes de fibres chaque année pour l’habillement. Entretenus par la surproduction, le gaspillage, des chaînes de production géographiquement éclatées et une surexploitation des ressources naturelles, ces chiffres révèlent l’impact énorme d’un secteur emblématique de la mondialisation et de la société de consommation. Outre le processus de fabrication, c’est aussi le cycle de vie des vêtements et accessoires qui sont particulièrement problématiques.

Au fil des lavages, les produits synthétiques comme le polyester, qui représentent la majorité des fibres produites, déversent en effet des tonnes de microplastiques dans les océans. Après une durée de vie parfois très courte, plus de la moitié des produits de la Fast Fashion étant éliminée en moins d’un an, un nombre ridiculement faible de vêtements sont recyclés (les estimations les plus optimistes avancent le chiffre d’1%). L’industrie du textile exerce donc une pression considérable sur les ressources naturelles, dégrade les écosystèmes naturels, et creuse en outre les inégalités sociales à l’échelle locale, régionale et mondiale.

Une définition légale souple du « made in France »

Les impacts négatifs de cette industrie amènent de plus en plus de consommateurs à orienter leurs choix vers des achats considérés comme plus éthiques, ou plus éco-responsables. C’est ainsi que le Made in France connaît un net regain d’intérêt ces dernières années. Et sur le fond, c’est une bonne nouvelle ! Trois quarts des français seraient ainsi prêts à payer plus cher pour un produit qui porte cette étiquette, également gage de qualité pour beaucoup d’entre eux. Mais si la fabrication française est essentielle pour soutenir l’économie locale et développer de réelles filières textiles dans l’hexagone, le Made in France n’est pas toujours synonyme d’absence de transport aérien ou maritime, loin de là !

Le trajet typique d’un vêtement issu de la Fast Fashion – Source : Himalayan Made

Légalement, un produit peut en effet revendiquer l’appellation même si la majorité de sa valeur ajoutée n’a pas été produite sur le territoire national, ce seuil étant fixé à 45% à l’heure actuelle. Lorsque que plusieurs pays sont impliqués dans la chaîne de production, ce qui arrive dans l’immense majorité des cas pour l’industrie textile, il faut également que la dernière transformation substantielle ait eu lieu en France. Si le simple ajout de boutons ne suffit donc pas à revendiquer l’appellation, cette définition légale relativement souple ouvre tout de même la voie à de nombreuses dérives. Plusieurs grandes marques l’ont bien compris, et jouent sur la confusion qu’elle permet. Ceci est encore plus vrai dans le cas de mentions volontairement ambiguës, comme « Designed in France », « Conditionné en France » ou encore « Création française », qui ne garantissent en aucun cas une fabrication locale.

La dernière étape cruciale pour l’appellation

« Pour un vêtement, ce sera la dernière opération de transformation qui déterminera l’origine du produit, c’est-à-dire la confection, et non le pays du tissu ou du fil » indique Emmanuelle Butaud-Stubbs, Déléguée Général de l’Union des Industries Textiles, à l’organisme de certification Bureau Veritas. « Une chemise confectionnée en France à partir de tissu chinois peut légitimement revendiquer l’origine française ». Ce cas de figure est particulièrement fréquent, en raison de la rareté des filières complètes de transformation en France.

L’attention portée au Made in France ne garantit donc pas à elle seule la limitation de l’empreinte écologique d’un produit textile. Pourtant, c’est bien l’origine du textile qui est problématique, pas son assemblage. D’autres facteurs importants sont à prendre en considération, à commencer par l’origine et la fabrication de la fibre textile elle-même (cultivée, synthétique, recyclée…). Cette production est en effet particulièrement gourmande en ressources naturelles, avec 98 millions de tonnes de pétrole nécessaire par an nécessaire pour la culture de coton, les teintures, le traitement des textiles et la fabrication des fibres synthétiques. La production textile mondiale requiert également 93 milliards de mètres cubes d’eau par an, notamment pour les systèmes d’irrigation des champs de coton.

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Des dizaines de milliers de kilomètres parcourus pendant la conception

Le parcours du vêtement avant et pendant son assemblage est un autre facteur déterminant, tout comme le lieu de production et de distribution. Si le transport est une des causes majeures d’émission de CO2 lors du processus de production, ce n’est en réalité pas le transport du produit fini qui est le plus problématique, mais bien les différentes étapes de production, qui font voyager le textile à travers le globe : culture du coton en Inde, filature au Pakistan, teinture en Chine, assemblage en Tunisie, etc. pour un seul et même produit. Si une dernière étape de confection qui engage 45% de la valeur ajoutée du produit intervient en France après ces nombreux voyages, le produit peut tout de même afficher l’appellation Made in France ! On peut pourtant logiquement estimer qu’un tel vêtement n’a rien de Français ni d’écologique.

Les Français majoritairement prêts à payer plus cher un produit Made in France.

Par opposition, un vêtement entièrement conçu à l’étranger dans une filière durable et n’effectuant qu’un trajet vers la France pour y être vendu peut posséder une empreinte écologique bien plus faible qu’un produit similaire estampillé Made in France. C’est le pari qu’a fait Himalayan Made, une marque qui propose des vêtements et accessoires en chanvre fabriqués au Népal par des communautés locales de femmes, pratiquement en ligne directe. Consciente des enjeux de l’industrie du textile, l’entreprise a fait ce choix paradoxal pour limiter l’impact de sa production. C’est aussi pour cette raison qu’elle utilise la fibre naturelle la plus écologique au monde : le chanvre, qui se cultive sans pesticide et sans système d’irrigation de manière localisée près de la production. En plus d’être sain pour le sol, il peut absorber 15 tonnes de CO2 pour un hectare planté, soit 5 fois plus qu’un hectare de forêt.

Himalayan Made, une marque engagée qui assume produire au Népal

Ce choix du Népal peut paraître paradoxal, étant donné que le chanvre est aussi cultivé en France. Le secteur est même en plein essor, faisant de l’Hexagone le premier producteur d’Europe. Mais la plante est cultivée en France pour d’autres applications (alimentation, bâtiment, etc.) et en l’absence de filature sur le territoire, Himalayan Made a décidé de centrer la confection de ses produits dans un pays où le chanvre est à la fois cultivé et transformé de manière écologique, afin d’éviter le transport de matières inutiles. Au Népal, la culture et la couture du chanvre sont des savoirs ancestraux, et toutes les étapes se font manuellement, permettant une grande économie d’énergie.

L’entreprise, qui fait preuve d’une réelle transparence en matière de traçabilité, soutient également des associations locales qui œuvrent pour les personnes défavorisées dans la région. Le transport du produit final reste néanmoins une étape qui entre en contradiction avec la volonté d’Himalayan Made de réduire son impact sur l’environnement, à l’heure où l’approvisionnement local est une priorité. Pourtant, leur bilan écologique reste inférieur à une production décentralisée avec assemblage en France. En limitant drastiquement les trajets au cours de la chaîne de production, Himalayan Made démontre qu’un vêtement fabriqué au Népal « proprement » peut dans certains cas être plus écoresponsable qu’un produit industriel Made in France.

L’entreprise Himalayan Made démontre qu’une production concentrée sur un seul pays permet de limiter l’impact environnemental du textile.

Un impératif de transparence dans tout le secteur

Si cette appellation est trop souvent utilisée comme argument marketing, précisons toutefois que certaines des marques qui l’affichent sont réellement engagées dans des processus de production plus éthiques et plus respectueux de l’environnement. La transparence dont elles peuvent faire preuve constitue souvent un indicateur important de cette bonne volonté, même chez des entreprises aux procédés encore imparfaits dans une industrie particulièrement mondialisée. Certains labels fiables existent aussi afin d’assurer une production faite en partie en France : Origine France Garantie, Entreprise du Patrimoine Vivant, Indication Géographique, France Terre Textile.

D’autres initiatives, comme l’application Clear Fashion, permettent de s’informer sur l’impact des marques de l’industrie de la mode en matière d’environnement, de santé, de droits humains et de respect des animaux. Transparence et engagement des entreprises du textile sont donc essentiels pour soutenir une production locale et développer des filières écoresponsables. Il est néanmoins important de rappeler qu’une réduction drastique de cette production et de la consommation qui en découle demeure la priorité absolue pour réellement préserver l’environnement.

Raphaël D.

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