Voilà plusieurs années que l’organisation politique de défense des consommateurs Foodwatch, alerte sur la question, mais nous venons tout juste d’en recevoir la confirmation par l’ANSES – Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. Et le verdict est sans appel : Certains de nos aliments sont effectivement contaminés par des « huiles minérales » contenues dans leurs emballages. Dans un avis publié le 9 mai, L’ANSES émet des recommandations pour réduire la contamination des denrées alimentaires par ces hydrocarbures. Un premier pas vers une réglementation plus ferme au sujet de ces contaminations, mais aussi vers une remise en question des logiques de production de nos emballages.
Quels dangers ?
Déjà en 2015, dans un rapport intitulé « Des hydrocarbures dans nos assiettes, comment les huiles minérales contaminent nos aliments », Foodwatch avait alerté sur les dangers encourus par les consommateurs en provenance de certains aliments. L’ONG avait procédé à un test en laboratoire de 120 produits alimentaires conditionnés dans des emballages carton afin de mesurer leur teneur en huiles minérales. Une étude qui a été menée en France, en Allemagne et aux Pays-Bas et qui a mis en évidence des traces d’hydrocarbures d’huiles minérales dans 86% des aliments testés. Les résultats pour la France étaient particulièrement inquiétants puisque six produits testés sur dix représentaient un grave danger pour la santé. Et ces produits étaient issus de grandes marques telles que Nestlé, Carrefour, Auchan, Intermarché, Monoprix ou Leclerc.
Mais que sont donc ces huiles minérales et quel danger représentent-elles pour notre santé ? Pour commencer, les huiles minérales qui ont été détectées dans l’alimentation sont de deux natures. Il y a tout d’abord les hydrocarbures aromatiques (MOAH) que l’on suspecte d’être cancérogènes et d’altérer le patrimoine génétique. Ils sont également des perturbateurs endocriniens reconnus. Viennent ensuite les hydrocarbures saturés d’huile minérale (MOSH) encore plus fréquents dans nos aliments industriels. Lorsque ces substances s’accumulent dans le corps, elles peuvent entraîner des dommages sur plusieurs organes. Fait étonnant, ces composants, pourtant bien connus, n’ont jamais fait l’objet de tolérances officielles, ce qui veut dire qu’elles n’ont jamais été considérées comme « sûres » par les organisations. Et pourtant, elles sont présentes dans la plupart des procédés de production d’emballages alimentaires d’aujourd’hui.
Comment ces huiles minérales se retrouvent-elles dans nos aliments ? Les rapports de Foodwatch et l’avis de L’ANSES s’accordent à dire que les emballages seraient la principale source de contamination, soit par un contact direct, soit par « migration » indirecte. Et ce sont les emballages recyclés qui sont principalement en cause. En effet, les emballages alimentaires issus du recyclage héritent de ces composants d’hydrocarbures qui sont utilisés pour l’impression d’autres papiers (journaux par exemple). L’utilisation de papier recyclé, positif pour l’environnement, semble néanmoins présenter des risques sanitaires importants puisque ce que nous jetons à la poubelle de recyclage finira dans l’emballage de certains produits alimentaires. Mais des traces d’huiles minérales ont également été trouvées dans des emballages vierges car d’autres sources de contamination ont été identifiées. L‘industrie alimentaire utilise en effet ces huiles en tant que lubrifiants pour le matériel de production par exemple, ou comme agents anti-poussière et agents de démoulage. C’est ainsi que ces hydrocarbures furent découverts dans les barres au chocolat Kinder en 2016.
Une urgence sanitaire
Bien qu’un peu tardif, l’avis de l’ANSES marque le début d’une accélération de la législation et de changement dans le processus de fabrication d’emballage. On peut tout de même noter qu’en 2012 déjà, l’EFSA, Agence sanitaire européenne, avait déjà émit un avis dans lequel elle indiquait que l’exposition à ces substances était préoccupante. Mais les industriels vont-ils vraiment adapter leurs procédés de production ?
Pour l’ANSES, il est maintenant question de déterminer la composition de ces mélanges d’huiles minérales et de réaliser des études de toxicité supplémentaires. Mais dans cette attente, elle préconise également de limiter l’exposition du consommateur en appelant les industriels à utiliser des encres d’impression, colles et autres additifs sans MOAH dans leur processus de fabrication des emballages papiers et cartons. Et l’agence sanitaire va plus loin puisqu’elle recommande également de suivre ce principe de précaution pour tous les produits du « domaine de l’impression ». En effet, puisque les journaux et autres papiers imprimés contiennent également des huiles minérales, nous les retrouvons dans nos emballages après le processus de recyclage.
Selon Foodwatch, le problème avait déjà été débattu en 2011 après une première enquête d’UFC-Que choisir. Cependant, ni la France, ni l’Union européenne n’ont jusqu’à présent mis de législation en place pour protéger les consommateurs. Leur présence étant généralisée, on suppute que les enjeux économiques d’une telle affaire sont importants. L’organisme exige aujourd’hui que plusieurs mesures soient prises. Il demande d’abord que soient rendues obligatoires des barrières fonctionnelles pour tous les emballages alimentaires papier et carton (un sachet interne par exemple, ou un film hermétique intégré à l’emballage carton). Selon Foodwatch, une exception ne peut être accordée que si le fabricant est en mesure de prouver qu’aucune migration n’est possible de l’emballage à l’aliment. Mais l’organisme demande aussi à ce que des limites spécifiques soient fixées pour les concentrations de MOSH/MOAH afin qu’une contamination à un autre stade de la production ne soit pas envisageable.
Foodwatch a toutes les raisons de souligner ce dernier point, puisqu’il semblerait que la question de la présence d’huiles minérales dans les aliments ne soit qu’un épiphénomène d’un réel dysfonctionnement du processus de production. Si on considère d’autres problématiques liées aux plastiques, aux contenants non recyclables, aux traces de pesticides ou encore aux additifs alimentaires, il semble véritablement urgent de questionner nos modes de consommation. En réponse au rapport de l’organisme, six enseignes de la grande distribution (Leclerc, Carrefour, Lidle, Intermarché, Casino et Systeme U) se sont dores et déjà engagés à réduire la quantité de MOSH dans leurs produits, en utilisant des encres végétales, solution efficace pour stopper la contamination. Un engagement qu’il conviendra de suivre de très près à l’avenir afin de s’assurer que les actes suivent les promesses.
Le Monde / ANSES / Huffington Post / EFSA / e-sante.fr / Foodwatch / Rapport 2015 Foodwatch / Le Figaro