Le bras de fer continue autour de la loi El Khomri. Alors que tous les indicateurs sont au rouge, tant la contestation sociale est véhémente, François Hollande et Manuel Valls signent et persistent. Les arguments à l’encontre de la loi sont pourtant nombreux et s’accumulent. Son efficacité est désormais mise en doute, y compris par certains chefs de PME. Ceux-ci ne voient pas en quoi elle peut créer de l’emploi, bien au contraire. Témoignage.
Le gouvernement n’est pas prêt à revenir sur le texte de la loi travail. Suite à la 11ème journée de manifestations qui s’est déroulée le 28 juin, François Hollande a exprimé son inflexibilité : l’article 2 de la loi, au cœur des débats et des critiques, ne sera pas modifié. Dans le même temps, preuve que l’opposition ne s’épuise pas, une nouvelle manifestation est envisagée le mardi 5 juillet. Ce même jour, la loi sera à nouveau en lecture devant l’Assemblée nationale. Le gouvernement n’exclut pas, comme ils l’avait fait en première lecture, un énième recours à l’article 49.3. Dans une tentative d’apaiser le dialogue social , il a proposé de donner un peu plus d’importance à l’accord de branche en matière de pénibilité du travail entre autre; or cette proposition ne touche pas à l’article 2, celui qui justement constitue la source principale des désaccords. Mais pourquoi tant de protestations autour d’un si petit article ?
L’article 2 change le rapport de force
L’article 2 de la loi bouleverse de manière fondamentale l’équilibre qui régissait jusqu’à présent le Code du travail. En effet, il introduit un nouveau principe : la primauté des accords d’entreprise sur les accords de branche en matière de durée du travail. Quand on prend le temps de s’y pencher, on réalise la gravité d’une « évolution » prétendument démocratique : alors qu’auparavant, l’accord d’entreprise ne pouvait déroger à l’accord de branche qu’à condition d’être plus favorable pour les salariés. Aujourd’hui, un accord en défaveur du travailleur serait désormais rendu possible au niveau local.
S’il est vrai qu’un encadrement minimal demeure, les nouvelles dispositions pourraient néanmoins aboutir à des disparités importantes entre les entreprises. Le taux de majoration des heures supplémentaires pourra être fixé entre 10 à 25% par exemple. En clair, d’une entreprise à l’autre, les conditions de travail pourront varier sensiblement. Des heures supplémentaires moins bien payées, des journées de travail allongées, une définition moins protectrice du travail de nuit; voici un aperçu de ce qui attend les salariés, si les dispositions de la loi travail devaient être votées dans la version soutenue par le gouvernement.
Ces nouvelles mesures sont fortement critiquées car elles marquent une régression évidente dans la lutte contre la précarisation du travail et la protection des salariés. De plus, elles auraient pour conséquence d’inciter les entreprises à se concurrencer entre elles d’une manière acharnée, et ce en s’attaquant aux conditions de travail des salariés afin de devenir plus compétitives. C’est ce point que dénoncent les entreprises à taille humaine qui ne souhaitent pas entrer dans une guerre économique encore plus malsaine qu’aujourd’hui. En bref, selon eux, la Loi Travail pénaliserait à la fois le travailleur et l’entreprise au profit de géant qui fixeront les nouvelles règles du jeu.
De l’autre côté du miroir
Cette révolution ne se fera pas seulement au détriment des salariés mais également des entreprises. C’est donc le point de vue défendu notamment par Antony Gratacos (vidéo), chef d’une entreprise de 21 salariés. Dans une interview accordée à Médiapart, il insiste sur le fait que le Code du travail est certes « une protection pour les salariés, mais aussi pour les entreprises ». Du fait de son application générale, il instaure un cadre collectif : toutes les entreprises « jouent avec les mêmes règles ». La loi El Khomri pousserait les entreprises à se faire une concurrence malsaine les unes aux autres, au détriment des salariés. Les plus petites entreprises, ayant une marge de manœuvre réduite, seraient les premières à en souffrir.
Toujours selon Gratacos, d’autres réformes sont bien plus urgentes afin de mettre fin au « déséquilibre » entre les grands groupes, PME et TPE. Antony Gratacos évoque en particulier le Code du commerce et le Code des impôts, ainsi que la nécessité d’une réforme fiscale. Au contraire, la Loi Travail va générer de nouveaux déséquilibre sur le marché, au profit de ceux qui ont le plus de marge (donc de capitaux). On n’ose même pas penser à la capacité d’adaptation des petits entrepreneurs et indépendants face à de nouveaux déséquilibres.
Dans ce contexte, le gouvernement est-il seulement crédible ? L’ignorance de Myriam El Khomri, qui, interrogée par Jean-Jacques Bourdin, a dû avouer ne pas connaître le nombre de renouvellements possibles des CDD, avait marqué l’opinion. Mais les imprécisions du gouvernement ne s’arrêtent pas là : l’étude d’impact de la loi – obligatoire – est étonnement courte au regard de l’importance et de la complexité du sujet. Moins de 20 pages sur les 400 sont consacrées aux conséquences de la loi. Plus dérangeant encore : le caractère lacunaire des explications, fondamentalement creuses, s’indigne Jean-Michel Dumay dans une chronique de là-bas si j’y suis.
Violation des conventions de l’OIT
Et ce n’est pas fini. La nouvelle loi pourrait être illégale au regard des conventions internationales signées par la France.
Philippe Martinez, président de la CGT, affirme que les dispositions de la loi travail entreraient directement en contradiction avec certaines conventions de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), agence spécialisée de l’ONU. Il se réfère à une décision que le comité de la liberté syndicale de l’OIT avait rendue à propos de dispositions similaires à celle du fameux l’article 2 de la loi travail. Dans le cas d’espèce, les dirigeants grecs voulaient conférer plus de pouvoir aux entreprises dans les négociations collectives.
Dans un communiqué de la CGT, Martinez cite un extrait de cette décision de l’OIT : « Le comité souligne que la mise en place de procédures favorisant systématiquement la négociation décentralisée de dispositions dérogatoires dans un sens moins favorable que les dispositions de niveau supérieur peut conduire à déstabiliser globalement les mécanismes de négociation collective ainsi que les organisations d’employeurs et de travailleurs et constitue en ce sens un affaiblissement de la liberté syndicale et de la négociation collective à l’encontre des principes des conventions 87 et 98. » Les conventions 87 (sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical) et 98 (sur le droit d’organisation et de négociation collective) auxquelles il est fait référence ici, sont juridiquement contraignantes. En cas de manquement à ces conventions, la France pourrait être condamnée.
Dans le même temps, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU a indiqué être « préoccupé par les dérogations à des protections acquises en matière de conditions de travail proposées dans le projet de loi travail, y compris pour accroître la flexibilité du marché du travail, sans qu’il ne soit démontré que l’État a considéré toutes les autres solutions possibles ». Si le comité n’est pas compétent pour adresser des injonction à la France, il invite pourtant l’État à ne pas provoquer une précarisation du travail et à faire attention à ne pas porter atteinte à la protection sociale des travailleurs.
Caricature : Kanar
La détermination de François Hollande et de son gouvernement à mener la réforme jusqu’au bout, et ce par tous les moyens disponibles, devraient-ils être violents, malhonnêtes et anti-démocratiques, semble être sans faille. Dans un climat social délétère, la fuite en avant productiviste, dont la loi travail est l’une des conséquences, divise plus que jamais la population entre gagnants et perdants devant l’autel de la croissance. Jusqu’où seront-ils capables d’aller avant que la paix sociale ne soit définitivement rompue ?
Sources : francetvinfo.fr / humanite.fr / lemonde.fr