Chaque année, Amnesty International publie un rapport sur la situation des droits humains dans le monde. En 2020, les observations de l’ONG ne laissent pas de place au doute : les droits humains ont été gravement malmenés depuis l’apparition du virus de la Covid-19, et ce partout dans le monde. Explications.

« Après des années d’un échec magistral, nos institutions politiques mondiales ont donné une nouvelle fois en 2020 la preuve de leur incapacité à accomplir la mission universelle qu’elles sont censées servir ». La préface d’Agnes Callamard, récemment nommée Secrétaire générale de l’ONG, donne le ton général du rapport. Au fil des pages, Amnesty dénonce les facteurs aggravants de la pandémie, ceux qui préexistaient à la présence du virus. Ces facteurs ne sont ni un coup du sort ni une fatalité, c’est le résultat d’une politique mondiale inéquitable, capitaliste et inhumaine qui sévit depuis de trop nombreuses années.

Des services publics démunis face à la crise

À ce jour, ce sont plus de 3 millions de personnes qui ont succombé au covid-19 partout dans le monde. Au delà de ce constat glaçant, cette pandémie meurtrière a aussi et surtout révélé les failles d’un système de soin et de sécurité sociale affaibli par des décennies de coupes budgétaires et de politique libérale. Les hôpitaux, les travailleurs sociaux et les professionnels de santé se sont retrouvés démunis face à l’ampleur de la crise. Les revenus du travail ont été affectés par la hausse du chômage et de l’inactivité, tandis que le nombre de personnes confrontées à une insécurité alimentaire aiguë doublait, pour atteindre 270 millions d’individus.

Les professionnels de la santé sont démunis face à l’ampleur de la crise et au manque de moyen. – Unsplash

Dans les pays où le système de sécurité sociale est réduit voire inexistant, de nombreuse personnes travaillant dans le secteur informel se sont retrouvées sans revenu et sans protection sociale du jour au lendemain lorsque des mesures de couvre-feu et de confinement généralisé se sont appliquées, comme au Bangladesh par exemple. Les professionnels de santé, pourtant précieux en ces temps de crises sanitaires, se sont eux-aussi parfois retrouvés sur le banc de touche lorsqu’ils émettaient des critiques ou des inquiétudes quant à la gestion de la crise et leur propre sécurité. Au Nicaragua par exemple, au moins 16 professionnels de santé ont été licenciés en l’espace de deux semaines dans un tel contexte.

Les inégalités exacerbées par la pandémie

Le rapport d’Amnesty révèle, sans surprise, que les inégalités se sont encore davantage creusées en 2020. Alors que certaines des personnes les plus riches de la planète ont vu leur capital s’accroitre, les plus faibles économiquement s’enlisent dans la pauvreté. Les groupes de personnes déjà marginalisées et discriminées par le passé le sont d’autant plus et sont affectés par la pandémie de façon disproportionnée. Ainsi, une nette augmentation du nombre de cas de violence domestique et liée au genre a été recensé, le confinement ayant conduit certains victimes de violence à se retrouver enfermées avec leur propre agresseur.

Les personnes migrantes ont également été touchées de plein fouet par la crise. Plus de 10 000 personnes demandeuses d’asile ou réfugiées provenant majoritairement de RDC se sont ainsi retrouvées bloquées devant les frontières closes de l’Ouganda, qui a décidé de bloquer l’accès à son territoire dès le début de la pandémie. Cette situation, qui s’est reproduite un peu partout dans le monde, a poussé des milliers de migrants dans des camps sordides, privées de fournitures essentielles et de moyens pour lutter contre le virus.

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Coopération internationale, vraiment ?

« Au moment où j’écris ces lignes, les pays les plus riches ont mis en place un quasi-monopole sur l’approvisionnement mondial en vaccins, laissant les pays les plus démunis se débattre avec les pires conséquences de la crise en matière de santé et de droits humains, et donc affronter les perturbations économiques et sociales les plus durables », déplore Agnès Callamard. Et pour cause, alors que certains chefs d’état promettaient une gestion du vaccin équitable entre chaque pays du monde il n’y a pas si longtemps, une guerre économique et d’influence a été déclarée dès la mise sur le marché des premières fioles.

A la fin du mois de février, 45 % des 200 millions des injections répertoriées ont été réalisées dans les pays du G7, qui n’hébergent pourtant que 10 % de la population mondiale. Certains ont même entravé voire bloquer la coopération internationale en achetant sans concertation la plupart des stocks disponibles, comme l’ancien président des Etats-Unis Donald Trump. La grande majorité de ces pays s’est en outre abstenue de pousser les entreprises pharmaceutiques à partager leurs connaissances et leurs technologies afin d’accroître l’offre de vaccins contre le covid-19 et d’ainsi accéder à une répartition plus juste des sérums dans le monde.

Mouvements de protestation et répression

En Hongrie, au Brésil ou encore aux Philippines, le gouvernement s’est servi de la pandémie comme prétexte pour réprimer des critiques sans rapport avec celle-ci, privant ainsi la population de sa liberté d’expression et de son droit à manifester. A plusieurs endroits du globe, y compris en Occident, les forces de police et de sécurité ont parfois fait un usage abusif d’armes à feu et d’armes à létalité réduite, notamment de gaz lacrymogènes, tuant ainsi des centaines de personnes en toute illégalité et en laissant derrière eux de très nombreux blessés.

Partout dans le monde, des mouvements de lutte pour le respect des droits de l’homme s’organisent. – Unsplash

Mais face à ces répressions, des mouvements de protestation contre l’attitude de dirigeants refusant de rendre des comptes, contre l’érosion des droits sociaux et économiques et contre le racisme structurel ont vu le jour. De nombreuses personnes se sont ainsi mobilisées partout dans le monde pour la défense des droits humains, laissant place parfois à de nouvelles formes de protestations innovantes, comme les marches pour le climat virtuelles. Comme le souligne la Secrétaire générale d’Amnesty International, « en 2020, l’impulsion n’est pas venue des puissants, des privilégiés ou des profiteurs. Elle est venue des innombrables personnes qui ont manifesté pour réclamer un changement ».

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Il ne fait aucun doute que la pandémie de covid-19 a agi comme un révélateur sur certains états de fonctionnement du monde. Les valeurs de solidarité, de liberté et d’équité tant plébiscitées dans les discours de nos dirigeants font place à une réalité beaucoup plus cruelle où la force, l’influence et le pouvoir économique demeurent les seuls leviers à un traitement de faveur. « Il est par conséquent difficile de ne pas éprouver un sentiment de péril imminent lorsque l’on réfléchit à la crise d’une toute autre ampleur qui nous attend, pour laquelle il n’y aura pas de vaccin : la crise climatique », comme le dit très justement Agnès Callamard.

L.A.


Rapport annuel d’Amnesty International 2020/21 : https://www.amnesty.fr/discriminations/actualites/inegalites-et-injustices-amplifiees-par-covid-19

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