Pendant qu’une partie des Français profite du soleil estival dans l’insouciance des vacances d’été, au Ministère du travail s’élabore une grande réforme, autorisée par ordonnance en dépité de la majorité absolue du gouvernement Macron, dont les grandes lignes seront présentées ce jeudi 31 août. Malgré l’inquiétude des citoyens à l’égard de cette restructuration du Code du travail, la communication du gouvernement reste verrouillée sur le sujet. Néanmoins, voici les grandes mesures qui, selon toute vraisemblance, devraient voir le jour en septembre prochain.
Les débuts du nouveau Président de la République, Emmanuel Macron, se caractérisent par une volonté d’agir vite et fort sur les matières qui fâchent. Après la moralisation de la vie publique (jugée insuffisante par beaucoup), voici venue la grande réforme du Code du travail, promesse phare de la campagne du nouveau chef de l’État. Cette réforme, dans la continuité de la loi El Khomri, permettrait, sur le papier, de : « susciter l’envie d’embaucher des entreprises tout en protégeant les salariés et en développant le dialogue social » selon les déclarations de la ministre du Travail, au journal Le Monde. Si cette communication habile arrivera probablement à convaincre certains ; concernant la sécurité des salariés et le dialogue social, en revanche, on ne saurait arborer le même enthousiasme.
Des réformes pour faciliter les licenciements
Au cœur de la réforme, plusieurs mesures tendent à protéger les arrières des entreprises au détriment de la sécurité des salariés. Si les plans sociaux ont émaillé les dernières décennies, ils pourraient en effet, devenir de plus en plus récurrents avec cette réforme du Code du travail, qui vise à faciliter encore plus qu’aujourd’hui les licenciements économiques. Après étude de la situation globale d’un groupe, les entreprises pourraient à l’avenir mettre en place des plans de licenciement massif sous la seule présentation d’une rentabilité économique plus faible sur le territoire national. Une grande firme aura alors le loisir de vider ses entreprises de ses travailleurs en France, même si sa situation financière est positive partout ailleurs. Certes, cette mesure devrait rassurer les investisseurs potentiels, mais elle devrait surtout mettre à mal le sentiment de sécurité du salarié dans son entreprise et augmenter le nombre de catastrophes sociales qu’entraînent les licenciements économiques. Une mesure jugée ’’aberrante’’ par Philippe Louis, président de la confédération française des travailleurs chrétiens.
Autre mesure qui fait débat : la barémisation des indemnités prud’homales. Le tribunal des prud’hommes, c’est l’instance devant laquelle un employé peut traîner en justice son employeur. Depuis la loi Macron de 2015, ce tribunal a vu le nombre de ses affaires se réduire comme peau de chagrin en raison d’une complexification des procédures qui favoriserait les patrons. Selon les confrères de Médiapart, le nombre de saisines aurait fléchi de 20 % sur la seule année 2016. Un chiffre record et qui tend à croître dans les années à venir. Beaucoup de salariés floués par leur entreprise renonceraient à poursuivre leurs employeurs devant le tribunal, rebutés par les dossiers volumineux à présenter devant les juges. Lilia Mhissen, avocate spécialisée dans le droit du travail, déclarait au journal en ligne : « Rien que pour nous, c’est déjà un casse-tête, alors imaginez pour un salarié ». De plus, plus longues et alambiquées, ces nouvelles procédures mettent en péril la survie des cabinets d’avocats spécialisés, contraints de revoir leur tarif à la hausse pour ne pas fermer boutique.
Le nouveau gouvernement aurait-il une dent contre les Prud’hommes ? Toujours est-il que la barémisation des indemnités prud’homales ne devrait pas rendre ce tribunal plus attractif aux yeux des salariés en détresse. À l’heure actuelle, un employé victime d’un licenciement perçoit une indemnité compensatoire selon l’analyse des juges. Il n’existe pas de sommes convenues et c’est au cas par cas que sont attribuées les indemnités visant à dédommager la victime d’un licenciement abusif. Pour s’assurer de la justesse du dédommagement, le conseil de prud’hommes est une formation élue en deux collèges : par les salariés, d’une part, et par les employeurs, d’autre part (=paritaire). Chaque cas individuel était donc jugé sur base d’une situation particulière.
D’après Muriel Pénicaud, ce système serait « un frein à l’emploi », qui ne permet pas aux employeurs de connaître à l’avance le coût de ce type de licenciement pour leur entreprise. Favoriser l’emploi en simplifiant la mise au chômage, voilà la logique à laquelle s’accroche le gouvernement. Pour ce faire, Emmanuel Macron, compte créer une grille d’indemnisation fixe et à laquelle devront se référer les juges. Ainsi, les employeurs pourront estimer le coût du délit qu’ils s’apprêtent à commettre et licencier « sans crainte », si besoin, en prévoyant un budget. On comprend donc que le rapport de force entre le travailleur et l’entreprise bascule à 180 degrés en matière de prud’hommes.
Malgré l’absence de communication sur la composition de cette grille à ce jour, il suffit de regarder un an auparavant pour s’en faire une idée.
Le plafond d’indemnisation revu à la baisse
Lors de la rédaction de la loi El Khomri, en 2016, Emmanuel Macron alors ministre de l’Économie, avait déjà proposé d’augmenter le seuil des indemnités tout en abaissant son plafond le plus haut, le limitant ainsi à 15 mois de salaire. En effet, lorsque le tribunal des prud’hommes juge un licenciement sans cause réelle, il prend simplement en compte l’ancienneté du salarié dans l’entreprise. En fonction de cette ancienneté, l’indemnité compensatoire se chiffrera en mois de salaire.
Selon une enquête d’Evelyne Severin publiée sur Médiapart, un nombre conséquent de salariés touchaient une indemnité correspondant à 24 mois de salaire : un salarié sur quatre ayant exercé plus de quinze ans dans l’entreprise et un sur deux ayant plus de vingt ans d’ancienneté ont obtenu une telle indemnité. C’est pourquoi, le plafonnement à 15 mois de salaire, s’il est mis en place en septembre prochain, devrait causer une perte de neuf mois d’indemnisation pour un grand nombre de victimes.
De plus, à en croire l’étude d’Evelyn Severin, ce sont justement les salariés dont l’ancienneté est supérieure à 15 ans qui sont les plus exposés aux licenciements abusifs (notamment, en raison de leur âge). « La part des salariés âgés demandeurs aux prud’hommes n’a cessé de croître entre 2004 et 2013 : la fraction des plus de 50 ans est passée de 21 % à 34 %, et celle des plus de 60 ans de 2 % à 10 % » affirme-t-elle. Par ailleurs, une simplification des licenciements n’entraîne pas une augmentation de l’embauche. C’est ce que confient des patrons interrogés par l’INSEE, plaçant la barrière du licenciement en quatrième position des freins à l’emploi
Le pouvoir des syndicats mis à mal
Le sort réservé aux représentants syndicaux est également préoccupant. La manière dont se sont déroulés les différents entretiens entre le gouvernement et les partenaires sociaux était déjà de mauvais augures : des réunions d’à peine une heure, sans documents distribués au préalable, pas plus qu’à la sortie des entretiens. Des discussions dans le vent, comme pour donner l’illusion d’un dialogue sans pour autant en souffrir les inconvénients.
L’une des mesures que contestent vivement les différents organismes syndicaux, est l’instance unique du personnel ou la fusion des différents organismes de représentation des salariés. Une entreprise, en fonction de sa taille, dispose de plusieurs entités portant la parole des employés. Dans les grandes entreprises, vous avez les DE (délégué du personnel) chargé de faire le lien entre les salariés et la direction, le comité d’entreprise (CE) chargé de défendre les intérêts des salariés, la CHSCT (comité d’hygiène et de sécurité des conditions de travail) chargé de faire le lien entre la justice et l’entreprise concernant les questions sécuritaires et sanitaires et, enfin, les délégués syndicaux, jouissant à l’heure actuelle d’un pouvoir important sur les décisions prises dans l’entreprise.
Ce que projette le gouvernement, c’est de fusionner toutes ces instances en un seul et unique organisme : la délégation unique du personnel. De cette manière, les pouvoirs syndicaux seraient affaiblis, le nombre de représentants du personnel, diminué et le temps consacré par les salariés à leurs missions d’intérêt collectif, amputé de plusieurs heures. Ceci vise à rendre l’entreprise plus libre de ses décisions. À nouveau, le gouvernement se place du côté de la nécessité économique et le besoin de compétition imposé par l’Union européenne.
Le référendum d’entreprise, ou comment contourner l’opposition
Non content d’affaiblir le pouvoir des syndicats, le gouvernement entend également affaiblir le poids de cette opposition, en permettant la tenue de référendum au sein de l’entreprise et ce, à l’initiative de l’employeur. La loi travail volume II souhaite en effet inverser ce que l’on appelle la hiérarchie des normes. La législation du travail en France repose sur un système en pyramide. À la tête de cette pyramide, le Code du travail qui en régit les règles générales. Viennent ensuite, les conventions collectives qui régissent les spécificités propres à chaque secteur d’activité. Enfin, il y a ce que l’on appelle les accords d’entreprises, qui peuvent concerner les différents aménagements du travail au sein de la société, mais qui ne doivent pas être en opposition, ni avec les accords de branche, ni avec le Code du travail.
À l’heure actuelle, la validation de ces aménagements internes à l’entreprise est soumise au feu vert des représentants du personnel, et plus spécialement des représentants syndicaux. La nouveauté qui devrait naître de la future réforme du Code du travail est la possibilité pour l’employeur, en cas d’opposition syndicale, d’effectuer un référendum d’entreprise pour valider ces changements, au nez et à la barbe des représentants du personnel. De plus, ces changements ne devront plus nécessairement être conformes aux conventions collectives ni au Code du travail.
Nous avons déjà souligné dans un précédent article le caractère tendancieux du référendum, procédé qui profite le plus souvent à l’instigateur de cette consultation. Il en va de même au sein d’une entreprise. La question sera sans doute tournée dans l’optique de pousser les salariés à répondre favorablement à ce référendum. Autre problème, les répercussions possibles sur la vie même de l’entreprise. En effet, quel serait le sort réservé aux employés qui n’auraient pas répondu favorablement à la demande de leur employeur ? Même s’il se déroule de manière anonyme, l’ambiance entre les salariés pourrait pâtir d’une course à la délation. Un cas de figure qui risque d’être bien plus lourd dans les très grandes entreprises.
Pierre Dharréville, député dans les Bouches du Rhône, considère d’ailleurs le référendum d’entreprise comme : « Un chantage à l’emploi qui met les salariés dans une position impossible, puisqu’on leur demande de choisir entre deux options qui n’en sont pas vraiment. » Ces mesures visant à affaiblir le pouvoir des syndicats sont très mal perçues par la CGT, CFDT et Fo appelant tous, d’une même voix, à manifester le 12 septembre prochain.
Un droit à l’erreur jugé sur la « bonne foi » de l’administré
Autre cadeau du gouvernement aux employeurs : la création d’un droit à l’erreur en cas de contrôle de l’URRSAF ou de l’inspection du travail. Que recouvrera ce droit à l’erreur ? Nul ne le sait exactement. Selon Gérald Darmanien, ministre de l’action et des comptes publics, il sera jugé sur « la bonne foi » de l’administré et concernera des délits « qui n’entrent pas dans le cadre pénal ou sécuritaire ». Promulguer une loi qui se fonde sur l’honnêteté d’un citoyen pose un sérieux doute tant la notion de « bonne foi » reste libre d’interprétation. Ce droit à l’erreur pourrait concerner des délits comme la non-rémunération des heures supplémentaires ou des délits mineurs qui dégradent néanmoins le quotidien de certains salariés.
Et ce n’est là qu’un petit florilège des différentes mesures connues à ce jour et relayées par la presse, mais elles montrent très clairement la tendance économique adoptée par le clan du président : « flexibiliser » le travail (cf:novlangue) en détruisant des acquis sociaux. Si l’efficacité de cette restructuration était avérée, on pourrait comprendre l’enthousiasme du gouvernement à ce sujet. Le problème, c’est qu’aucune étude ne démontre l’efficacité de telles mesures à ce jour.
En effet, l’OCDE (l’organisation de coopération et de développement économique) dresse un constat opposé à l’analyse économique du Président de la République. Cette étude anéantit tout lien entre flexibilité du travail et baisse du chômage. L’organisation prend le cas de l’Allemagne notamment, un État bien moins flexible que la France quant à la législation du travail et qui connaît pourtant le plein-emploi. L’Espagne a quant à elle a connu une baisse importante du chômage après ces réformes structurelles, mais sa situation économique était telle (un taux de chômage deux fois plus élevé qu’en France) que l’on peut douter de la pérennité de cette amélioration dans la situation économique française.
Le regain de croissance que connaissent les pays qui ont engagé ces réformes structurelles s’est fait en creusant toujours plus les inégalités. Ce n’est donc pas une croissance solide et stable, mais bancale et fragile, que semble promettre cette réforme. Le but affiché est de lutter contre le chômage de masse (sans questionner sa cause) en tablant sur une baisse de coup du travail et sur la dislocation de la sécurité des salariés. Donner un peu plus aux possédants sur le dos des travailleurs, une vielle ritournelle libérale sifflée sans relâche sur les plateaux de télévision, plus forte et décomplexée que jamais. Jusqu’où le culte de la croissance et le chantage au chômage vont-t-ils pousser nos gouvernements à presser leurs citoyens comme des citrons ?
– Tristan Barra
Source : Mediapart / Le Monde / Droit-Finance / Le Point