Dans le quartier de Manshiet Nasser au Caire, une communauté chrétienne copte vit en marge du reste de la société égyptienne. Depuis près d’un siècle, elle s’occupe de collecter, trier et recycler près de la moitié des déchets produits par les vingt-cinq millions d’habitants de cette mégalopole, considérée aujourd’hui comme la plus grosse d’Afrique. Reportage. 

Manshiet Nasser : un quartier culturellement riche 

Ces chiffonniers, surnommés « Zabbaleen »  – tiré du mot « zbel« , qui signifie « déchet » en arabe – sont stigmatisés à cause de leur travail comme de leur religion, et vivent pour la plupart dans une extrême pauvreté. Ils habitent dans le quartier de Manshiet Nasser au Caire, au milieu duquel se dresse un pigeonnier en bois emblématique.

Vue d’ensemble du quartier de Manshiet Nasser @Lucien MIGNÉ

Tous les soirs, les propriétaires des pigeonniers de Manshiet Nasser font voler les pigeons en cercles au-dessus du quartier, puis les font revenir au pigeonnier en les sifflant et en agitant des drapeaux. Les pigeons sont destinés à la consommation alimentaire.

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Dans la rue, dans les lieux de travail comme dans la sphère privée, des icônes et symboles religieux ornent les murs. Les Zabbaleen font partie des 6 à 10% de la population égyptienne copte chrétienne orthodoxe.

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La station de tri la plus efficace du monde

Bien que discriminés par le gouvernement égyptien, grâce à des moyens artisanaux et un savoir-faire développé de génération en génération, les Zabbaleen ont créé le système de recyclage des déchets plastique le plus efficace au monde :

tandis que le taux de recyclage moyen en France ne dépasse pas les 25%, il est de plus de 80% à Manshiet Nasser.

« Sans aucune contrepartie de l’État, les quelque 1000 ateliers du quartier trient, nettoient, transforment jusqu’à 90% des déchets récoltés. Sans technologie et dans des conditions rudimentaires, ils dépassent largement les 36% des pays de l’OCDE. Une réussite qui fait aujourd’hui leur fierté : aucun modèle contemporain ni aucune technologie moderne ne sont aussi efficaces que ces “champions mondiaux” de la récolte et du tri informel des déchets » explique Arte dans son reportage Egypte : Les chiffonniers du Caire.

@Lucien MIGNÉ
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Les travailleurs du quartier de Manshiet Nasser utilisent des camions et des pick-ups pour transporter les déchets, et ils les transportent ensuite sur leur dos dans de gros sacs. Ces sacs sont ensuite élevés grâce à des systèmes de poulies mécaniques (photo ci-dessus) et sont ensuite installés aux différents étages des immeubles pour y être stockés.

Des ouvriers entassent alors dans un « compresseur » les déchets papiers et cartons, pour former des blocs compacts, qui seront enfin transportés vers une usine de transformation hors du quartier.

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La nuit, le quartier de Manshiet Nasser ne s’arrête pas : l’activité de tri et de recyclage continue, et les équipes se passent le relai. Une partie de la matière première recyclée sera exportée à l’étranger où elle sera transformée en nouveaux produits manufacturés. Certains ateliers sont spécialisés, ils récupèrent et recyclent par exemple les réfrigérateurs et congélateurs usagés.

@Lucien MIGNÉ
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L’aluminium des canettes est transformé en disques, que des ouvriers façonnent à l’aide d’anciennes machines pour en faire des bols et des assiettes. Alors qu’il y a une centaine d’années, les chiffonniers revendaient les déchets organiques comme combustibles pour les hammams, ils se sont adaptés au fil du temps à l’apparition de nouveaux types de déchets (plastique, emballages papiers, etc…), notamment en développant une nouvelle machinerie artisanale de transformation.

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Le tri : employeur majeur de la communauté 

Ce système est également une source d’emplois importante pour les habitants. Shakur, par exemple, était parti de Khartoum en 2019 après la révolution soudanaise, accompagné de quelques amis. Depuis, il a trouvé une place dans une usine de recyclage de cartons, où il travaille du samedi au jeudi de 8h à 18h.

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Ibrahim, lui, a 34 ans et travaille dans un atelier de recyclage de plastique. Il vient se reposer tous les jours après le travail en haut de son pigeonnier, loin du bruit de la ville en contrebas.

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Walid, 56 ans, habite quant à lui au premier étage avec sa femme et ses deux filles. Walid récupère les déchets directement chez les habitants du Caire, qu’il stocke ensuite au rez-de-chaussée de son immeuble où ils seront triés par sa femme. Les ateliers de recyclage à Manshiet Nasser sont la plupart du temps des entreprises familiales, héritées des générations précédentes. Alors que les hommes s’occupent de la collecte et du recyclage, les femmes se dédient au tri.

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Le patron d’un atelier de recyclage d’aluminium fait ses comptes. On compte environ 700 ateliers de recyclages dans le quartier, ce qui en fait un des principaux lieux au monde du recyclage informel.

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Un des passe-temps favoris des travailleurs est de se retrouver au café, après le travail, pour fumer la chicha et jouer aux dominos en buvant du chai.

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Alors que la communauté Zabbaleen du quartier de Manshiet Nasser, estimée à environ 40 000 à 70 000 habitants, recycle plus de 6 000 tonnes de déchets par jour, elle est complètement délaissée par les pouvoirs publics en place.

 

Mais une communauté mal reconnue

On n’y trouve ni hôpital public, ni poste de police et une seule école primaire, surchargée. En 2002, un appel d’offres lancé par le gouvernement déléguait la gestion du ramassage des ordures à des multinationales européennes : plaçant ainsi le travail des Zabbaleen dans l’illégalité. Après de nombreuses négociations et manifestations, la communauté a réussi à conserver son activité, qu’elle partage avec ces multinationales. Cette décision politique est révélatrice de l’attitude hostile du pouvoir face à cette communauté. 

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Il convient de se demander quand le travail de cette communauté arrêtera-t-il d’être méprisé pour être enfin reconnu à sa juste valeur, dans la perspective que leurs conditions de travail soient améliorées et mieux pensées. Des enjeux de droits du travail qui rejoignent de près ceux des miniers de calcaire à Al-Minya.

– Lucien MIGNÉ, photojournaliste


Sources :

https://www.usinenouvelle.com/article/pourquoi-la-france-recycle-si-peu-son-plastique.N935989

https://ici.radio-canada.ca/info/2019/08/zabbalines/peuple-ordures-egypte-caire-recyclage-dechets-bidonville-manshiyat-nasser/

https://journals.openedition.org/ema/3008#xd_co_f=OTk3Yzg2ODYtZTdjZC00YjQ2LWI0MGUtN2ZlMDEzZTY3Mzg5~

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/chretiens-d-orient/les-chiffonniers-du-caire-avec-benedicte-florin-2866824

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