Par ces temps hivernaux, il est comme chaque année un peu plus urgent de rappeler la détresse de ceux qui sont condamnés à dormir dans la rue. Tels des invisibles, ces personnes nous tendent parfois la main sans que nous daignions leur accorder même un regard, pris par le temps, la course, la vie. Au travers d’un projet commun, un jeune sculpteur répondant au nom de Nil et le photographe Victor Habchy ont essayé de remettre les personnes sans-abris au centre de nos champs visuels à travers l’Art.
Des statues de scotch dans les rues de Paris
Si vous avez eu la chance de vous promener au mois de décembre dans les rues de Paris, peut-être avez-vous fait la rencontre d’étranges personnages en scotch au détour d’une avenue commerçante. Ces sculptures, réalisées entièrement en ruban adhésif, sont l’œuvre d’un jeune sculpteur qui a voulu interpeller les passants sur les grands invisibles de nos villes : les personnes sans abri. Nil, 19 ans, a ainsi placé dans les rues de la capitale française une quinzaine de ces statues. Celles-ci prennent les formes des différentes personnes qui, faute de toit, dorment dans la rue, arpentent les métros à la recherche d’une pièce qui leur permettra de manger, et parfois, trop souvent, y meurent.
« J’essaie de montrer ce sentiment d’indifférence qui nous fait tous passer à côté d’eux sans un regard. La transparence. Un humain a besoin de reconnaissance, il a besoin qu’on fasse attention à lui, qu’on lui montre qu’il existe. Si personne ne lui montre qu’il existe, il va disparaître. Le scotch me permet de rendre voyant la transparence des SDF. Je souhaite que les gens s’interrogent. » expliquait le jeune homme dans une récente interview au magazine Open Bar.
Le choix du matériau pour la réalisation des sculptures n’est donc pas anodin : il s’agit de retranscrire le regard que la société porte le plus souvent sur ces personnes. Un regard fuyant, qui cherche à éviter le contact et trouve un certain confort à se munir d’œillères. Ce scotch, c’est le papier collant placé devant nos yeux, sur notre bouche et nos oreilles. Les personnes sans-abris, victimes de la gêne de certains passants, de leur indifférence, ou de leur mépris, quand ce n’est pas de la violence, en deviennent invisibles. Avec le temps, c’est leur individualité qui peu à peu s’efface, rendant toute insertion chaque jour plus difficile. Et pourtant, ces individus témoignent de toute la violence d’une vie, d’un système ou d’un évènement inattendu, qui soudainement vous broient, justifiant plus que jamais une nécessaire solidarité collective.
Un projet collaboratif et engagé
Aujourd’hui, si les individus de scotch ont déserté les rues — contrairement aux 141 500 personnes recensées sans logement en 2016, les photos prises par le photographe Victor Habchy, ami du sculpteur, sont encore visibles. Au travers de ces clichés, c’est la performance artistique qui a été immortalisée, mais aussi quelques-unes des réactions des passants. Car comme nous en témoigne le photographe, les échos ont été nombreux : « La réaction des gens dans la rue face aux statues étaient vraiment très intéressantes. Les gens s’arrêtent, contemplent, prennent en photo, questionnent… Je pense que ce qui attire l’œil c’est cette forme humaine si familière, dans son aspect pur. »
Au travers de la réalisation de leur projet, les deux artistes ont eu l’occasion de se rapprocher de ces personnes que trop souvent nous ignorons. Si la démarche semble foncièrement engagée, la façon dont ils ont suscité la réflexion reste quant à elle subtile, et en cela très accessible.
« Je crois qu’au-delà du problème d’intégration et d’aide à toutes ces personnes, il y a aussi un souci de dignité, de respect de l’humain. On ne fait pas que les éviter, on les ignore quand ils nous parlent, on se détourne quand ils nous lancent une requête. On se permet de nier leur existence. Si ça t’est déjà arrivé d’être ignoré, je pense que tu sais à quel point c’est frustrant, ça donne envie d’hurler : ‘Je suis là, j’existe!’. Eh bien, eux, ça leur arrive des centaines de fois tous les jours. Ça a forcément une influence sur leurs relations sociales et sur leur capacité d’intégration… La rue c’est la pire des écoles, même en prison on permet aux gens de se socialiser » conclue Victor.
Sources : OpenBarMag.fr / Victor Habchy Photography