S’il nous fait davantage penser aux plages et aux vacances d’été, le sable est surtout une ressource très convoitée dans le domaine de la construction ou de l’électronique. Nécessaire au développement des infrastructures urbaines et aux technologies humaines, nous consommons chaque année environ 50 milliards de tonnes de granulats. La consommation effrénée de sable dépasse ainsi celle de toutes les autres ressources naturelles solides de la planète, alerte un nouveau rapport des Nations-Unies, à l’exception de celle de l’eau. Les conséquences de cette tendance sont alarmantes, aussi bien pour le climat et la biodiversité que pour certaines populations humaines, avertissent les chercheur·euses qui énoncent « 10 recommandations pour éviter la crise ».
50 millards de tonnes de sable par an, « c’est l’équivalent d’un mur de 27 mètres de haut et de 27 mètres de large qui ferait le tour de la Terre. Ou encore une moyenne de 18 kilos par personne et par jour », illustre Pascal Peduzzi dans les colonnes du Monde, directeur du réseau Global Resource Information Database (GRID), un des centres de recherche du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). À l’occasion de la sortie de son rapport intitulé « Sable et durabilité : dix recommandations pour éviter la crise » le mardi 26 avril, le chercheur et enseignant à l’Université de Genève évoque l’urgence d’agir pour mieux contrôler cette ressource essentielle à notre société.
Consommation sous silence
Pourtant peu traitée par les médias, notre consommation de sable apparait aujourd’hui comme véritablement problématique : impossible pour les cycles naturels de suivre la cadence qui leur est imposée par l’avidité humaine. « Satisfaire une demande croissante de sable sans transgresser les limites planétaires représente un défi de durabilité important et insuffisamment reconnu », prévient ainsi l’équipe du PNUE-GRID Genève, composée d’une vingtaine d’experts.
Et pour cause, sans que nous le sachions, les grains de sable se glissent partout autour de nous. Béton, asphalte, verre, digues, terres agricoles, pneus et même microprocesseurs et certains cosmétiques, cette ressource naturelle bon marché, polyvalente et facile d’extraction est très vite apparue comme la solution à bon nombre de problèmes. « Le sable est ainsi le héros méconnu de notre développement », conclut Sheila Aggarwal-Kha, directrice économique du PNUE.
En dépit des apparences, le sable est pourtant une ressource rare. « Il est difficile d’imaginer une pénurie de sable parce qu’il y en a à profusion dans les déserts. Mais il a tellement été tourneboulé pendant des siècles qu’il est trop lisse et qu’il ne s’agrège pas, contrairement à celui qui est dans la mer. A Dubaï, les montagnes de magnifique sable fin sont totalement impropres à la construction des bâtiments et des îles artificielles. Tout est donc à base de sable marin, qu’il faut extraire et laver pour que le béton tienne, ce qui implique qu’on a aussi besoin d’eau douce pour enlever le sel », explique Christian Buchet à Libération, auteur du Livre noir de la mer publié en 2015 aux éditions Broché dans lequel il abordait déjà le « défi du sable » à venir.
Un secteur entaché d’illégalités et de corruption
Malgré l’importance stratégique du sable, son extraction, son approvisionnement, son utilisation et sa gestion restent trop souvent non réglementées dans de nombreuses régions du monde, entraînant de nombreuses conséquences environnementales et sociales qui ont été largement ignorées, selon les auteur·ices du rapport des Nations-Unies, en plus d’un risque de pénurie pur et simple de cette ressource miracle.
Ainsi, l’extraction du sable présent dans certains écosystèmes comme les rivières, les côtes terrestres ou les fonds marins, peut entrainer de nombreux problèmes : érosion de sols, salinisation des aquifères, perte de la biodiversité, sécheresse accrue des cours d’eau, appauvrissement des sols, affaissement des rivages ou encore modification des courants marins, et donc des ressources de pêches. L’utilisation du sable pose également problème à l’échelle du réchauffement climatique, puisque la production de béton occasionne à elle seule 9 % de la totalité des émissions de gaz à effet de serre en 2019, indique un rapport de l’OCDE, qui projette ce chiffre à 12 % en 2060.
Des effets dramatiques pour l’environnement et les populations locales
En plus de ces impacts néfastes sur l’environnement, l’extraction du sable pose par ailleurs des enjeux sociaux et géopolitiques majeurs. « Dans plusieurs endroits, le manque de gouvernance sur les ressources de sable crée des complications sur le terrain, comme l’extraction illégale de sable qui a été, dans certaines circonstances, associée à la violence. Les communautés aux prises avec l’épuisement des ressources sont également plus susceptibles de faire face aux conséquences des inondations, réduction de la disponibilité de l’eau, perte de biodiversité et impacts socio-économiques, y compris la perte des moyens de subsistance », détaillent les auteur·ices du rapport.
C’est le cas au Maroc, où la demande accrue de granulats a provoqué le développement de filières illégales d’extraction du sable sur le littoral, qui ne se privent pas de recruter des centaines d’enfants pour isoler et acheminer ce nouvel or jaune vers les chantiers de construction. A Singapour, c’est l’extension de la ville, essentiellement grâce à des remblais maritimes, qui crée des tensions de voisinage avec les pays limitrophes. « En Inde, l’exploitation du sable pour ses minéraux est aussi entachée d’illégalité et de corruption », explique Nicolas Bernon, ingénieur « risques naturels et littoral » au Bureau de recherches géologiques et minières, dans The Conversation en 2019.
10 recommandations pour nous sauver de la crise
Face à ces constats, les chercheur·euses du PNUE préconisent une approche stratégique qui couvre toute la chaîne de valeur du secteur. Organisée en trois niveaux, les premières recommandations établissent ainsi la reconnaissance formelle du sable en tant que ressource stratégique à tous les niveaux de la société comme une étape cruciale dans la transition vers une gouvernance et une gestion durable des ressources de sable (recommandations 1 à 3). Les expert·es préconisent ensuite la mise en place de cadres juridiques et politiques globaux et harmonisés permettant une meilleure gestion et protection des granulats (recommandations 4 à 5), qui donnera également lieu à la création d’instruments indispensables tels que la cartographie, la surveillance et la notification des ressources disponibles.
Pour terminer, les chercheurs invitent les membres des secteurs publics et privés à se tourner davantage vers les innovations du secteur de la construction qui réduisent le besoin en sable. Ils souhaitent également davantage d’investissement dans la recherches de nouvelles pratiques permettant de restaurer les écosystèmes endommagés (recommandations 6 à 10).
« Alors que la population urbaine mondiale augmentera pour représenter plus de 68 % de la population mondiale d’ici 2050, et que les villes s’étendront et que les infrastructures urbaines seront modernisées, la demande de sable ne fera qu’augmenter. (…) Jusqu’à présent, nous avons peut-être considéré le sable comme un matériau courant ; il est temps de réévaluer et de reconnaître le sable comme un matériau stratégique », conclut Sheila Aggarwal-Khan.
– L. Aendekerk