On en est là. Éruptions de joie et autres expressions de réjouissances. 42 personnes se sont noyées en mer suite à un naufrage au large de la Libye, très loin de la France. Mais voilà, ces personnes ne sont pas françaises, ce qui semble justifier des commentaires d’une malfaisance confondante. L’information publiée par le Figaro a ainsi généré de nombreux commentaires de joie sur le réseau social du média qui n’effectue aucune modération de ces propos tombant pourtant sous le coup de la Loi. Tour d’horizon de cette haine devenue ordinaire sur fond de complotisme, de xénophobie et de radicalisation. Bienvenue au Figaro.



Hier 12 novembre 2025, le Figaro titrait : Naufrage au large de la Libye : 42 personnes présumées mortes. On apprend dans cet article que quarante-deux personnes sont décédées en mer après le naufrage d’une embarcation transportant plusieurs dizaines de migrants au large des côtes libyennes, selon un communiqué des Nations unies. Très loin de la France, donc.

Ce type de nouvelle est tristement banal. Entre 2 000 et 3 000 personnes meurent chaque année lors d’une tentative de traversée de la Méditerranée, principalement vers l’Italie, la Grèce ou l’Espagne. De manière rituelle, Le Figaro informe son lectorat de la nouvelle. Mais ce n’est pas de l’étonnement ou de la tristesse que ceci génère, mais bien une effusion de joie. Et on ne parle pas de 2-3 messages isolés. 90% des commentaires fêtent la mort dans d’atroces souffrances d’êtres humains parfaitement anonymes. Hommes, femmes, enfants, vieillards. Une banalisation du mal qui en dit long sur l’état de cette presse autant que de la mentalité venimeuse de celles et ceux qui la lisent.

Ces commentaires révèlent aussi les composantes d’un narratif politique et médiatique fondé sur la désinformation, la haine et la déshumanisation. Quoi qu’on puisse individuellement penser des mouvements migratoires et des moyens de les gérer, rien ne justifie un tel manque d’humanité. Par ailleurs, il existe des causes et des faits qui ne peuvent être ignorés. Parmi les intox et sophismes communs distillés dans ces commentaires, on retrouve notamment : l’idée que l’arrivée de migrants sur les côtés françaises serait massive, la croyance que des associations humanitaires « subventionnées » faciliteraient l’arrivée des migrants ou encore que « la gauche » serait responsable de ces morts… Étudions ces questions pour y voir plus clair.

FAIT : Les embarcations de migrants ne visent PAS la France

Première constatation, il n’existe pas de route maritime directe vers la France. Pratiquement aucune de ces embarcations n’arrivent sur les côtés françaises, bien surveillées et plus difficiles d’accès pour des raisons géographiques. Par ailleurs, l’ouverture de ports pour les navires humanitaires est toujours bloquée par la France.

Ainsi, le rapport UNHCR / IOM « Joint Annual Overview » (2023) indique seulement 260 arrivées sur les côtes françaises sur 212 100 tentatives, soit 0,12%. La part des traversées visant directement la France est pratiquement nulle. C’est tellement insignifiant que le rapport ne s’attarde même pas sur ces cas français. C’est un fait, la France n’est pas une cible pour les passeurs tant ses côtes sont radicalement gardées et les associations jugées « de gauche » n’ont pas le pouvoir d’y changer quoi que ce soit.

FAIT : Les associations humanitaires sont rares, non-subventionnées et sans pouvoir politique

C’est une autre intox persistante : celle qui voudrait que « les ONG » soient financées par l’État ou l’Union européenne pour encourager les migrations. C’est totalement faux. En réalité, ces structures humanitaires sont quasi inexistantes en Méditerranée française, et ne reçoivent aucune subvention publique pour leurs opérations de sauvetage.
Les quelques navires humanitaires qui sillonnent encore la Méditerranée ne remplissent pas les doigts d’une main.

On retrouve principalement en mer SOS Méditerranée et Médecins Sans Frontières, deux ONG qui agissent en autonomie totale, souvent au prix de procédures administratives lourdes, d’interdictions de ports et d’une hostilité politique constante, y compris en France. Leur mission ? Sauver des vies, sans se préoccuper de la politique. Rien de plus, rien de moins. Dans le vide laissé par les États européens, ce sont ces équipages civils qui évitent chaque année des centaines morts. Ceux-ci manquent cruellement de moyens et ne peuvent que sauver une petite fraction des naufragés.

Parler de « business de l’immigration » ou d’une « industrie subventionnée du sauvetage » relève d’une désinformation pure et simple parsemée de racisme, martelée pour détourner les yeux de causes bien réelles : les guerres, la misère, les passeurs, l’exploitation des ressources, les dictatures et choix politiques sans oublier le changement climatique qui poussent des gens ordinaires à risquer leur vie pour fuir leur pays. Les morts sont si nombreux en mer que les motifs pour prendre un tel risque d’y laisser sa vie sont viscéraux, motivés par une situation humanitaire critique. L’idée que ces gens désespérés prennent le risque de mourir pour des droits sociaux fantasmés ne tient pas la route, d’autant que les aides existantes ne sont pas aussi alléchantes que le laisse entendre l’extrême-droite.

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FAIT : La gauche est politiquement inexistante sur le sujet

Autre idée reçue : « la gauche » encouragerait les traversées ou bloquerait toute politique migratoire. C’est faux, et les faits le montrent.

En France, aucune formation politique majeure n’a remis en cause la fermeture des frontières ni le durcissement continu des conditions d’accueil. Même les partis qui se réclament des valeurs humanistes se contentent de quelques déclarations symboliques, souvent timides, pour ne pas perdre une partie de leur électorat. Sur le terrain, le silence domine, et les politiques menées depuis plusieurs années ne diffèrent guère de celles de la droite ou de l’extrême droite sur le fond.

Depuis plus d’une décennie, la logique sécuritaire s’est imposée comme un consensus transversal. Elle s’habille de mots techniques : “lutte contre les passeurs”, “maîtrise des flux”, “gestion des frontières” mais masque une réalité brutale : celle d’un verrouillage généralisé de l’Europe. Derrière chaque décret, chaque accord bilatéral avec la Libye, la Tunisie ou le Maroc, c’est le même principe qui prévaut : empêcher les départs, à tout prix ! Affirmer que la gauche – dont le pouvoir politique est inexistant – encouragerait l’immigration dans un tel contexte relève du mensonge et de l’aveuglement idéologique.

Le paradoxe, c’est que ces politiques censées sauver des vies en “décourageant” les traversées les rendent au contraire plus mortelles que jamais, ce qui explique l’augmentation des décès en mer. Les routes changent, se rallongent, se déplacent vers des zones plus dangereuses pour éviter les contrôles. Là où les garde-côtes européens n’interviennent plus, les naufrages se multiplient dans le silence. Et pendant ce temps, les discours politiques comme médiatiques se contentent de désigner des coupables imaginaires : les ONG, “Bruxelles” (qui a bon dos), les humanistes, sans oublier une gauche fantasmée qui n’existe plus que comme repoussoir sémantique.

Dans les faits, la gauche institutionnelle a déserté la question migratoire et n’a de toute manière concrètement aucun pouvoir politique depuis longtemps. Elle ne propose plus ni projet alternatif, ni vision solidaire, ni parole claire sur ce que devrait être une politique humaine et rationnelle des migrations. Résultat : le terrain est laissé libre à ceux qui, depuis vingt ans, façonnent le débat avec des mots de peur : invasion, submersion, identité, frontière. Et dans ce brouhaha de certitudes anxieuses, la compassion s’efface, l’analyse se tait, et la raison abdique. C’est dans ce terreau fétide fondé sur l’ignorance que naissent les commentaires que vous lisez sur Le Figaro : désigner un coupable politique dont le pouvoir n’existe pas, fermer les yeux sur des pertes humaines évitables, et enfin se réjouir de la mort d’êtres humains.

FAIT : Les causes profondes des migrations sont ignorées

On parle toujours des migrants, jamais des raisons qui les poussent à partir. Derrière chaque traversée, il y a pourtant un enchaînement de causes identifiables et singulières pour chaque individu : guerres civiles, effondrement économique, répression politique, désastre climatique, etc. Selon les données du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), près de 90 % des personnes qui tentent la traversée de la Méditerranée fuient des situations de crise aiguë. Ce ne sont pas des “aventuriers économiques” qui aspirent au RSA, mais des familles, des étudiants, des travailleurs, des enfants.

L’Afrique subsaharienne, par exemple, subit de plein fouet les effets conjugués du changement climatique et de l’instabilité politique : désertification, raréfaction de l’eau, conflits pour les ressources. En parallèle, les politiques commerciales et extractivistes menées par les pays riches maintiennent une dépendance structurelle. Dans ce contexte, partir devient souvent le seul horizon. Parlons aussi des thoniers géants Européens qui vident les stocks de poissons des côtes africaines, laissant des dizaines de milliers d’individus sans ressource. Et ces règles qui permettent aux causes migratoires de se perpétuer, la France et les pays européens en sont directement responsables pour des questions d’intérêts économiques supérieurs. Notre appétit capitaliste se moque bien de la souffrance locale qui pousse des individus à fuir leur pays. Et voilà comment NOS pauvres en viennent à détester d’AUTRES pauvres qui subissent les mêmes effets délétères d’un système injuste.

Ignorer ces causes par pure haine de l’autre revient à se tromper de combat. Les mêmes qui se réjouissent d’un naufrage prétendent “lutter contre l’immigration” sans jamais questionner les mécanismes qui la provoquent par pure fainéantise intellectuelle. Pas sûr même qu’ils seraient en mesure de lire et de comprendre cet article tant, ailleurs, on leur sert une soupe simplifiée en 3 mots niveau Pascal Praud : l’immigration nous menace. Les guerres alimentées par des ventes d’armes européennes, l’exploitation des terres africaines par des multinationales, le dérèglement climatique mondialisé, tant de causes sont directement liées à notre civilisation insatiable qui dicte les règles sans partage depuis trop longtemps.

Traverser les mers avec 50% d’y laisser sa peau, n’est pas un choix, c’est le symptôme d’un déséquilibre global. Oui, c’est une situation terriblement complexe qui demande des solutions tout aussi complexes. Tant qu’on refusera de regarder en face cette complexité, les morts continueront de s’accumuler, invisibles, loin des côtes françaises, mais au cœur même de notre indifférence collective. Se réjouir de la mort de gens dans la détresse, c’est le degré zéro de l’intelligence émotionnelle et une honte absolue envers ce qui fait fondamentalement de nous des humains. Et si nous ne sommes plus capables d’humanité la plus élémentaire, alors tout devient possible, surtout le pire.

– Mr Mondialisation

Sources

– Naufrage au large de la Libye : 42 personnes « présumées mortes » ; Le Figaro 12/11/25
-Migrants and Refugee Movements through the Central Mediterranean Sea in 2023 ; rapport de l’UNHCR, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés

 

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