Alors que les autorités ne cessent de réclamer des économies d’énergie et que la situation de la planète est toujours plus inquiétante, de nombreux militants ont pris en grippe les jets privés considérés comme un symbole de l’impunité des riches en matière d’environnement. Il n’en fallait pas plus pour que les défenseurs habituels de la bourgeoisie sortent à nouveau les  crocs avec, en point d’orgue, un passage complètement lunaire du milliardaire Omar Harfouch dans une émission de Cyril Hanouna sur C8. Tour d’horizon des pires arguments entendus durant de cette séquence. 

#1 « L’aviation privée représenterait à peine 0,04 % d’émissions de CO² dans le monde »

Pour se justifier, Omar Harfouch, usager régulier de jet privé, avance que ce moyen de  locomotion ne représente que 0,04 % des émissions de CO² à travers le monde, s’appuyant ainsi sur le même argument que tout le lobby de l’aviation. Il s’agit ici d’un cas classique de whataboutisme

Cette technique de rhétorique consiste à répondre à une accusation par la formulation d’un  autre reproche, en l’occurrence par le biais d’une comparaison. Ce procédé est d’ailleurs  particulièrement apprécié des climatosceptiques. 

Et pour cause, les secteurs producteurs de CO² se comptent par dizaines, il est donc absurde de pointer du doigt uniquement ceux qui polluent le plus. Étant donné l’urgence écologique, toute réduction est bonne à prendre, surtout lorsqu’elle est facilement réalisable.  

Par ailleurs, il est malhonnête de comparer ses propres émissions à celle du monde entier, les émissions totales n’étant finalement que l’accumulation des excès individuels, au premier rang desquels se situent ceux des ultra-riches. Au contraire donc, un bilan individuel devrait être évalué par rapport à un autre. Selon des estimations, chaque être humain devrait se limiter à deux tonnes de CO² par an pour respecter les  ambitions des accords de Paris. Or, ces deux tonnes sont déjà produites par à peine une heure de vol en jet privé. Autrement dit, chaque heure de vol, et les usagers de ce genre d’engins en consomment bien plus, sape tous les micro-efforts que le citoyen lambda tente de faire au quotidien, à son échelle, pour remplir sa part du Contrat Social envers la société.

Il faut également noter que 1 % des plus riches sont responsables de 50 % des émissions dues aux avions… 

 

#2 « La haine de l’argent »

L’intérieur de luxe d’un jet-privé @Yaroslav Muzychenko/Unsplash

Dès que quelqu’un ose reprocher le comportement des plus fortunés, on ressort  l’argument de la haine et de la jalousie. Une attitude qui serait d’ailleurs typique de la France où l’on « déteste la réussite » et où l’on fait un « procès à l’argent ». 

Ces arguments reprennent un certain nombre de poncifs que nous avions déjà mis à mal dans un précédent article. Si les milliardaires sont si souvent critiqués, ce n’est pas par envie, mais plutôt parce que leur mode de vie pénalise le reste de la société, de manière totalement et trop longtemps dérégulée.

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Il ne s’agit pas de clamer que chacun devrait disposer de revenus et d’avoirs identiques, d’autant que cette vision de la réussite, voire de bonheur, reste largement contestable. En revanche, il est nécessaire de poser des limites à l’accumulation, une accumulation infinie pour certains, tandis que les limites de notre planète sont finies… Il est, de plus, indispensable de rappeler qu’il existe autant de pauvres seulement parce qu’une minorité d’ultra-favorisés accaparent l’essentiel des richesses produites dans le monde.  

De la même façon, si les plus aisés sont tant critiqués sur le plan environnemental, c’est aussi parce que leur train de vie individuel est très largement au-dessus de la moyenne. Un rapport d’Oxfam indiquait d’ailleurs que :

les 63 individus les plus prospères de l’hexagone polluaient autant que  la moitié des Français les moins bien lotis. 

À l’échelle mondiale, le bilan n’est pas plus reluisant puisque les 1 % les plus riches émettent 70 fois plus de CO² que les 50 % les plus précaires. Pourtant, le fait qu’ils possèdent plus d’argent que la majorité des gens ne leur confère pas des droits supplémentaires à souiller la planète. Qui plus est alors que cette permissivité nuira d’abord aux plus pauvres, et en tout dernier lieu à eux-mêmes. Et si l’usage de jets privés ne représente, en effet, qu’un fragment du problème, il fait tout de même partie du problème et des comportements à éradiquer, trop longtemps restés impunis.  

 

#3 « Les jets privés permettent aux riches de travailler et créent de l’emploi »

@Guillaume P. Boppe/Flickr

Un autre argument voudrait que les plus riches fassent tourner l’économie mondiale (ce qui est très contestable), et qu’ils aient besoin de jets privés pour travailler. S’il n’existe pas de statistiques officielles concernant la nature des trajets par avions, certains indices permettent tout de même de douter très fortement de ce type d’affirmation. On peut par exemple remarquer que l’aéroport qui revient le plus souvent dans le top 10 des vols personnels est celui de Nice, une destination très touristique. 

Mais même en mettant de côté cet élément, il faut noter que les voyages privés polluent  nécessairement plus que les collectifs. Au vu de l’urgence climatique, il paraîtrait donc logique que les déplacements aériens individuels soient exclusivement réservés à des motifs impérieux, comme le transport d’organes ou de malades en urgence vitale. En revanche, utiliser un avion pour un « déjeuner chez Alain Ducasse dans l’arrière-pays » dont se vante le milliardaire Omar Harfouch ne semble pas faire partie de cette catégorie… 

Lorsqu’il s’agit du travail, il serait plus judicieux de se « contenter » de vols commerciaux et, si possible – ce dont on ne doute pas puisqu’il en a été ainsi jusqu’à très récemment dans l’histoire contemporaine – de trajets en train. Le fait qu’un voyage puisse prendre plus de temps ou soit plus confortable ne devrait pas rentrer en compte comparativement à l’avenir des prochaines générations. Par ailleurs, à l’heure d’internet, il paraît aberrant qu’on ne puisse pas intensifier les échanges professionnels à distance, toujours moins consommateurs qu’un vol en jet…

https://twitter.com/lefoudulabo/status/1562140058618052609?s=20&t=r8SpKK3jk2P4mxnqO9vxtw

Dans la même veine, on nous explique aussi que le secteur de l’aviation privée serait la source de 100 000 emplois. Ce n’est évidemment pas non plus un argument recevable ; si une activité nuit à l’ensemble de l’humanité à long-terme, ce qu’elle rapporte économiquement à court-terme n’entre pas en ligne de compte. Pour des raisons morales, personne ne contesterait aujourd’hui l’abolition de l’esclavage, et pourtant ce dernier « employait » énormément de personnes laissait-on entendre à l’époque : qu’allaient devenir ces « employés » sans ces « postes » dans la société ? 

Le propre d’une société est de savoir se réinventer, se reconvertir, réorienter ses citoyens pour qu’ils suivent l’évolution de ses paradigmes. D’autant que le domaine écologique regorge d’idées pour créer de l’emploi. Les réseaux ferroviaires sont par exemple en manque de personnel formé, et ne demandent qu’à être développés. A noter qu’en dehors de tous ces contre-arguments, l’environnement est tout simplement une question de survie : si nous ne réagissons pas face aux abus d’une minorité – la plus polluante, on le rappelle – l’humanité n’aura bientôt plus d’emplois du tout dont se préoccuper et aura des problématiques autrement urgentes à résoudre.  

 

#4 « C’est légal et interdire entraverait nos libertés »

« C’est pas interdit, il a le droit ! » s’exclamait le chroniqueur Jean-Pascal Lacoste sur le  plateau de C8 pour défendre les jets privés. Certes, polluer beaucoup plus que les autres n’est pas prohibé (pour le moment), mais est-ce toutefois moral ? Cette réflexion part d’ailleurs également du principe que les lois seraient nécessairement justes. Or, les lois ne sont pas immuables, elles évoluent en même temps que la société et que les exigences citoyennes en matière morale.

A cause du néolibéralisme qui laisse entendre que la liberté de confort des uns peut indéfiniment empiéter sur les libertés de vie des autres, nous avons oublié que la justice est à l’image des humains qu’elle sert et peut, de nouveau, privilégier les intérêts des populations plutôt que ceux de puissants qui s’arrangent de son laxisme actuel en matière de pollution. 

Dans une société idéale, les individus agiraient d’eux-mêmes pour le bien de tous. Or, la conduite des plus riches sur le sujet environnemental montre bien que leurs intérêts personnels priment sur ceux de l’ensemble de leurs prochains. C’est d’ailleurs en ce sens qu’il est question d’interdire les jets privés. 

En outre, l’argument de l’entrave à la liberté est tout aussi fallacieux. Si un individu peut tout  se permettre, alors il n’existe plus aucun cadre de liberté pour la société toute entière.

Comme nous l’expliquions dans un autre article, il ne peut y avoir de libertés pour tous si chacun a le loisir d’empiéter sur l’intérêt général. Or, quand on participe activement à la destruction de notre planète commune, on limite les possibilités de tous de vivre dans de bonnes conditions. Cette affirmation est d’autant plus marquante que les plus fortunés sont également ceux qui vont le moins subir les conséquences de leurs propres comportements.   

 

#5 « On devrait déjà s’occuper de… « 

Sur le plateau de C8, un festival de whataboutismes se poursuit avec Jean-Pascal qui s’insurge du fait que beaucoup de gens « changent de téléphone tous les ans ! C’est pas les plus  riches ! Et ça pollue encore plus », s’exclame-t-il.  

Un autre chroniqueur lui emboîte le pas « l’aviation est une goutte d’eau, ce qui pollue le plus ce sont les grandes entreprises, c’est la Chine, les États-Unis ». Selon lui, il ne faudrait d’ailleurs pas faire la leçon aux fautifs alors que nous ne sommes pas capables de nous passer de notre voiture. Doit-on seulement s’étendre sur la différence de contexte et de proportions entre un travailleur en voiture, à qui ce mode de transport est souvent imposé, parfois indispensable en zone rurale, et une personne fortunée qui prend son jet pour aller faire la fête ou participer à une réunion d’une journée… ? D’autant que la voiture fait déjà bien l’objet de critiques, qu’ils soient rassurés.

Ce genre d’affirmation est là encore destinée à détourner l’attention du propos soulevé à cet instant. C’est pourtant dans sa globalité que le problème doit être traité. Dire « on ne va rien faire sur ce sujet parce qu’il y a des questions bien plus graves » est un comportement puéril qui a pour but de se défausser de ses propres responsabilités.  

Beaucoup d’opposants à l’écologie utilisent d’ailleurs cette échappatoire en assurant que la  France n’a pas à faire d’efforts puisque d’autres pays polluent beaucoup plus. Avec ce même raisonnement, les plus pauvres pourraient pourtant arguer qu’ils n’ont aucun sacrifice à faire tant que les plus aisés n’y consentiront pas en premier lieu. Or, si la culpabilité revient en effet au plus haut degré aux plus grandes puissances mondiales, aux multinationales, aux industriels, au pétroliers, et autres grands pollueurs, le devoir d’implication et de conscience, lui, revient à tout le monde. Et à cette échelle citoyenne, de vivre ensemble, les ultra-riches sont plus que concernés. Ils peuvent hiérarchiser les responsables selon leurs méfaits, mais rien n’empêche non plus, pour autant, d’améliorer également son propre comportement en tant qu’acteur visibilisé et influent de la société, dont l’empreinte est démultipliée par la fortune. De grands moyens impliquent forcément de grandes responsabilités… 

Évidemment si les plus gros problèmes ne sont pas traités, s’occuper des plus petits est en  effet vain. En revanche, il est compliqué de demander aux autres de faire des efforts si l’on n’est pas soi-même exemplaire : les plus riches qui visent plus responsables qu’eux ont donc tout à gagner à faire des efforts pour en réclamer davantage d’autrui. Il ne faut d’ailleurs pas oublier qu’historiquement la France a  toujours été un modèle à travers le monde. Il suffit parfois qu’un grand pays agisse d’une  manière pour que ses homologues se mettent à l’imiter. Charge à l’hexagone de remplir ce rôle. En commençant par les jets privés ?

– Simon Verdière

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