En octobre denier, nous relayions une tribune de Jacques Benoit, co-rédacteur du Plan d’urgence climatique de la DUC (Déclaration citoyenne Universelle d’urgence Climatique) consacrée à « l’absence de couverture médiatique de l’urgence climatique » en pleine période électorale au Québec. Il revient aujourd’hui avec une autre préoccupation : l’enjolivement médiatique de la crise climatique pour ne pas brusquer l’audimat. Il s’explique dans une tribune que nous publions ici. 

Juste avant la tenue de la COP15 de la biodiversité – qui vient de s’achever sans réelles avancées, voire pire –, Jacques Benoît alerte de nouveau devant la situation catastrophique du climat et de la biodiversité au niveau mondial, fustigeant les chiffres faussement rassurants énoncés par des responsables politiques. Voici sa tribune.

Urgence climatique et biodiversité, ne nous laissons pas rouler dans la farine !

« Il y a dix ans […], les scientifiques nous disaient qu’on se dirigeait vers un réchauffement planétaire d’au moins 4 à 5 degrés Celsius. Et là, les dernières études parlent d’un réchauffement de 1,7 à 2,4 degrés. » – Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement et du Changement climatique, TLMEP, Radio-Canada.

« Quand on a commencé les COP, on s’en allait plus vers 4 à 6 degrés d’augmentation, en ce moment, on s’en va plus vers 2 °, 2.5 °, 2.8 ° […] il y a eu quand même une amélioration… » – Jean Lemire, Émissaire aux changements climatiques et aux enjeux nordiques et arctiques du Québec, RDI.

« Nous sommes, au Québec, à 9,9 tonnes par habitant, l’endroit où on émet le moins de GES au Canada, et même en Amérique du Nord! » – François Legault, COP15, 6 décembre 2022.

Un mois après la COP27 sur les changements climatiques à Charm el-Cheikh en Égypte, où le Canada s’est opposé à ce que la déclaration finale affirme qu’il fallait sortir des énergies fossiles d’ici 2050, et juste avant que ne débute à Montréal la COP15, où les participant·es de tous les pays vont discuter de comment sauver la biodiversité, il était pour le moins révoltant d’entendre Steven Guilbeault et Jean Lemire sortir des chiffres de leurs chapeaux (quelles sont leurs sources ?) comme si la situation s’améliorait, alors qu’il y a à peine un an et demi, un dôme de chaleur à 49,6 °C s’était installé au-dessus de la Colombie-Britannique. Un dôme de chaleur dont Martin Beniston, ancien v-p du GIEC, disait qu’il faisait partie des pires scénarios du GIEC, mais qu’il n’était prévu que pour la deuxième moitié du siècle… Or, nous n’en sommes pas au quart !

Où est l’amélioration, si l’on considère en plus ce qui suit ?

Ce dôme a été suivi par une série de rivières atmosphériques qui ont inondé la plaine Sumas au sud du fleuve Fraser, une vaste région composant parmi les meilleures terres agricoles au Canada. Un an plus tard, cette région ne s’est toujours pas remise des impacts qui ont entraîné des dégâts de plusieurs centaines de millions de dollars.

Un tel dôme de chaleur à 50 °C s’est reproduit moins d’un an plus tard à la mi-mai 2022 en Inde et au Pakistan. Résultat : le gouvernement indien a suspendu ses exportations de céréales (l’Inde est le deuxième producteur mondial de blé) afin que les récoltes réduites par cette chaleur servent en priorité à nourrir sa propre population.

Pour sa part, le Pakistan, 4 mois plus tard, se retrouvait inondé au tiers de sa superficie, affectant 33 millions de personnes (presque la population du Canada), causant la mort de plus 1 700 personnes, détruisant des centaines de milliers de maisons, endommageant des milliers de kilomètres de routes et des centaines de ponts à travers le pays.

Pour ne parler que d’ici, la situation ne s’est pas améliorée ces dernières années, bien au contraire. Si la situation s’améliorait autant que ces messieurs le prétendent, comment expliquer que la concentration de CO2 dans l’atmosphère n’ait cessé d’augmenter, passant de 400 ppm en 2014 à 403,3 ppm en 2016, et à 417 ppm en 2022 ?

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Le taux de CO2 atmosphérique est le plus élevé qu’ait connu la Terre depuis plusieurs millions d’années, voire dizaines de millions d’années. Devons-nous ajouter que si la concentration de CO2 augmente, le réchauffement augmente aussi ? Si la situation s’améliorait, les derniers rapports du GIEC ne seraient pas si alarmistes.

Le réputé Washington Post, dans un article du 7 novembre 2021, allait encore plus loin: « Quelque 45 pays n’ont pas communiqué de nouveaux chiffres sur les gaz à effet de serre depuis 2009. L’Algérie, un important producteur de pétrole et de gaz, n’a pas déclaré ses émissions depuis 2000. La Libye déchirée par la guerre, un autre exportateur clé d’énergie, ne déclare pas du tout ses émissions. La nation d’Asie centrale du Turkménistan, dont l’économie est alimentée par le pétrole et le gaz, n’a pas signalé d’inventaire depuis 2010 – bien qu’elle ait été accusée à plusieurs reprises ces dernières années d’importantes fuites de méthane.[…] Comparer ce total à des mesures indépendantes des émissions mondiales révèle une importante sous-déclaration, allant de 8,5 milliards à 13,3 milliards de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre. Sans compter plus d’un milliard de tonnes d’émissions provenant des transports aériens et maritimes internationaux, dont aucun pays n’assume la responsabilité. »

La pente nous séparant de l’objectif de réduction pour 2030 devient jour après jour plus abrupte et plus exigeante, comme le montre cette infographie du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) de 2019.

Nous basculons vers l’irréversible

À cela, il faut ajouter la notion de points de basculements (dont plusieurs seraient déjà atteints), qu’on pourrait définir comme des seuils qui, une fois franchis, seront irréversibles et déclencheront des bouleversements à grande échelle, avec un risque d’effet domino sur les autres. Les risques qu’ils posent n’autorisent pas le jovialisme de nos ministres et émissaire !

La réalité est beaucoup plus proche de ce que les scientifiques australiens ont publié en 2020. En fait, tout se situe dans la façon de gérer les risques, qui est différente du raisonnement habituel de l’économie. En matière de climat, la pire possibilité doit nous guider, parce qu’on ne pourra se reprendre : nous n’aurons pas de deuxième chance.

Quant à François Legault, il semble avoir oublié deux choses:
1/ Le Mexique fait partie de l’Amérique du Nord, et ses émissions sont de 5,31 tonnes/habitant·e ;
2/ Si toute l’humanité consommait comme les Canadien·nes (et les Québécois·es), il faudrait plus de 4,7 planètes Terre pour répondre à la « demande ». Un peu gênant comme réalité en pleine COP sur la biodiversité !

Alors, de grâce, ne nous laissons pas rouler dans la farine par ces beaux parleurs dont les propos servent beaucoup plus ceux et celles qui causent les problèmes que l’intérêt de celles et ceux qui en subissent les impacts, ici et ailleurs !

Comme l’écrivait Daniel P. Rousse, Ph. D. ing., dans La Presse du 6 décembre dernier : « Le développement dit durable consiste à s’entendre sur la vitesse à laquelle on scie la branche sur laquelle on est assis. Personne ne parle d’arrêter de scier. Enfin, nous sommes très peu. »

Autre hérésie : des pubs-télé de pétrolières et de gazières, qui exploitent les sables bitumineux du Canada, disent reconnaître l’importance de leurs émissions de GES, et quémandent  des milliards de fonds publics pour de la technologie servant à capter le carbone de l’atmosphère… La Presse du 8 septembre 2021 annonçait le lancement en Islande de la plus grande usine de captage de CO2 dans l’air : elle allait en capter 4 000 tonnes par année !

Si le Canada décidait de réduire de 50 % ses émissions annuelles de CO2, soit 365 000 000 tonnes (Mt), et de le faire de cette façon, « sans compromettre notre niveau de vie », comme le dit le think tank de droite Institut Économique de Montréal (IEDM), il faudrait, à ce rythme, 91 250 ans pour y arriver… ou alors construire 91 250 usines comme celle-là ! On a le choix…

– Jacques Benoit
Corédacteur du Plan de la DUC, et membre de GMob (GroupMobilisation)


Photo de couverture : Vidéo de GroupMobilisation

 

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