Alors que de nombreux médias et sondages nous annonçaient un scrutin serré à l’occasion des présidentielles américaines, Donald Trump a finalement été largement réélu à la tête des États-Unis. Cet évènement pourrait bien avoir de lourdes conséquences, d’abord bien sûr pour les femmes et les personnes marginalisées : précaires, racisées, en situation de migration, LGBTQIA+, etc. mais également pour le reste de la planète.
L’influence des États-Unis dans le monde n’est plus à démontrer tant son interventionnisme dans les affaires internationales est prégnant. Lorsqu’un homme issu de l’extrême droite comme Donald Trump arrive au pouvoir, il paraît donc sensé de s’interroger sur son projet politique. Et celui-ci pourrait bien nous conduire à la catastrophe aussi bien au niveau social que démocratique, environnemental ou diplomatique.
Un programme volontairement concis et flou
À l’image de nombreux dirigeants populistes d’extrême droite, Donald Trump a tenu à ce que les Républicains proposent un programme court axé sur de grandes thématiques volontairement peu étayées. Ainsi, tout le projet du nouveau président élu était basé sur vingt points forts et une dizaine de chapitres à peine détaillés, le tout sur seulement seize pages.
Et l’expérience démontre aisément que lorsqu’une ligne politique est peu précise, c’est sans aucun doute parce que son auteur cherche à dissimuler certaines de ses idées (en particulier les moins populaires). En outre, cette méthode permet de ne pas avoir à expliquer comment on compte concrétiser de grandes promesses souvent faites en l’air. Le point trois qui annonce simplement « mettre fin à l’inflation et rendre l’Amérique à nouveau abordable » est à ce titre particulièrement illustratif.
De plus, on a pu voir qu’à travers ses discours, Donald Trump a bien évoqué d’autres perspectives à mettre en place qui n’apparaissent pourtant pas dans ce texte. D’autres enfin affirment qu’un document de plus de 900 pages intitulé Project 2025 et rédigé par Heritage fondation, un groupe extrêmement réactionnaire, mais influent au sein du parti Républicain, pourrait aussi peser sur la future mandature. Et ce, même si le candidat a tenté de s’en détacher. Ce qui sera réellement mis en place sera donc probablement à la jonction de tous ces éléments en adéquation avec la volonté de l’élite financière américaine.
Un projet de milliardaire
Car il faut bien garder à l’esprit que Donald Trump reste avant tout un milliardaire, lui-même supporté par de nombreux autres hommes affaires. 70 % des dons récoltés par le prétendant Républicain étaient d’ailleurs issus de riches soutiens, ce qui avait fait grimper sa cagnotte à 1,09 milliard de dollars. Un montant certes inférieur au 1,65 milliard reçu pour la candidature de Kamala Harris, mais qui provenait, lui, à plus de 40 % de petites contributions individuelles sous les 200 dollars.
Il y a donc toujours de quoi rester interloqué quand le vainqueur de l’élection se présente comme un politicien antisystème alors qu’il demeure justement un serviteur du capitalisme et qu’il s’attaque avec insistance aux idéologies alternatives comme le communisme, le féminisme ou le socialisme. Son premier mandat n’a d’ailleurs fait que confirmer l’évidence : Trump est avant tout pro business.
Une équipe gouvernementale digne d’un musée des horreurs
Et lorsque l’on observe les premiers noms donnés par le président pour composer son équipe, il n’y a guère de quoi se rassurer, bien au contraire. On y trouvera par exemple Elon Musk, l’un des hommes les plus riches au monde, grand défenseur du capitalisme et de l’ultralibéralisme. Le propriétaire de X (ex twitter) qui a fortement soutenu la campagne s’est vu attribuer une place de ministre pour « augmenter l’efficacité du gouvernement » — autrement dit, supprimer en masse des emplois dans la fonction publique. Le Sud-Africain d’origine a même évoqué un chiffre fantaisiste de 2 000 milliards de dollars d’économie.
En outre, c’est Robert Kennedy, neveu du célèbre président éponyme assassiné en 1963, qui prendra le poste de ministère de la Santé. Problème, en plus de n’avoir aucun diplôme dans le domaine, cet ancien avocat, antivax notoire, propage de nombreuses rumeurs complotistes qui pourraient se traduire en véritable catastrophe sanitaire.
On peut également noter d’autres arrivées contestables dans ce cercle. C’est le cas de celle de Matt Gaetz, suspecté d’infractions sexuelles, de consommation illégale de stupéfiants et détournement de fonds de campagne au ministère de la Justice. Mais aussi de celle de Pete Hegseth à la Défense, lui qui n’a pourtant aucune expérience de commandement et qui animait une émission sur Fox News (équivalent américain de CNEWS) où il s’en prenait régulièrement au « wokisme ».
Vers une nouvelle crise économique ?
À la lumière de tous ces éléments, il y a fort à parier que Trump, qui promettait de réduire le coût de la vie et d’en finir avec l’inflation risque d’en décevoir plus d’un. D’autant plus que comme tous les politiciens de droite et d’extrême droite, il a orienté son discours pour les classes populaires sur le rejet des impôts. Et dans une rhétorique traditionnelle libérale, il a bien volontairement évité de différencier ceux des mieux lotis et ceux des plus pauvres.
Or dans la lignée de ce qui a été fait aux États-Unis depuis les années 80, ce sont bien les plus riches qui vont de nouveau être épargnés par les taxes tandis que les plus précaires verront leurs ressources diminuer. Comme en France, Trump fera également des cadeaux faramineux aux entreprises. Le pourcentage d’imposition sur leurs bénéfices qu’il avait déjà réduit de 35 à 21 % en 2015 devrait cette fois-ci chuter jusqu’à 15 %.
Cette baisse conséquente des prélèvements entraînera donc nécessairement un plus gros endettement de l’État, ce qui dégradera bien sûr les services publics, mais qui engendrera l’explosion des taux d’intérêt et le coût du logement. Pire, l’endettement américain à venir pourrait se répercuter sur l’ensemble de la planète et causer une crise économique comparable à celle de 2008.
Vague chinoise sur l’Europe ?
Dans sa volonté de faire passer « l’Amérique d’abord », Trump veut également massivement augmenter les droits de douane des produits venus de l’étranger. Ceux-ci progresseront ainsi de 3 % à 10 % alors que la moyenne mondiale n’est que de 3,9 %. Mais plus loin encore, le leader des Républicains souhaite bien reprendre sa guerre commerciale contre la Chine en lui infligeant un taux monumental de 60 %.
Si cette mesure est appliquée, elle réduira sans aucun doute à néant une bonne partie des exportations entre les deux pays. On aurait pu saluer une volonté de vouloir relocaliser la production dans un objectif social et écologique.
Pour autant, ce n’est évidemment pas le but ici puisqu’il s’agit avant tout de damer le pion au principal concurrent des États-Unis sur la scène internationale. Mais sans politique d’augmentation des salaires, ce choix revient à faire payer les classes populaires américaines et à davantage creuser les inégalités. En outre, cette mesure risque d’accroître les échanges entre la Chine et l’Europe. De ce fait, le vieux continent pourrait bien être encore plus inondé de produits fabriqués dans l’Empire du Milieu.
« La plus grande opération de déportation de l’Histoire américaine »
Dans la lignée de ses multiples déclarations racistes et réactionnaires, le nouveau président des USA veut poursuivre sa croisade contre les immigrés. Il aspire ainsi non seulement à terminer son « mur » à la frontière du Mexique, commencé durant son dernier mandat, mais aussi expulser près de 12 millions de personnes (l’équivalent de la population entière de la Tunisie) en situation irrégulière sur le territoire pour alors mener « la plus grande opération de déportation de l’Histoire américaine », comme écrit noir sur blanc dans son programme.
Au-delà du caractère éminemment xénophobe de ces projets qui impliquera d’identifier et enfermer tous ces gens en vue de leur expulsion en attendant que leurs pays d’origine acceptent de les recevoir, de telles mesures représenteront un coût colossal pour le contribuable.
Fronde réactionnaire
En plus de sa politique raciste, Donald Trump devrait bien encourager des mesures contre tous les progrès de société, en particulier pour les minorités, mais également pour les femmes. Le président élu a d’ailleurs bien spécifié qu’il souhaitait interdire l’entrée sur le territoire « aux communistes étrangers qui détestent les chrétiens ».
La religion a de fait été au cœur de la campagne du candidat républicain pour séduire un électorat très puissant. Le milliardaire a par exemple défendu la liberté de prier à l’école, mais aussi plusieurs positions pour flatter les conservateurs, croyants et complotistes.
Ainsi, la nouvelle administration plaidera pour le port d’armes et contre l’enseignement de « la théorie critique de la race » (autrement dit l’apprentissage du caractère systémique des discriminations) et de « la théorie radicale du genre » (nom que l’extrême droite donne aux recherches sociologiques sur le genre). De plus, le programme attaque directement les personnes transgenres en martelant par exemple qu’il faudrait exclure « les hommes (comprendre ici les femmes transgenres) du sport féminin ».
Pour couronner le tout, il y a fort aussi à parier que cette victoire galvanise les militants d’extrême droite aux États-Unis, mais également dans le monde, et que ceux-ci se permettent d’aller toujours plus loin dans leurs discours et surtout dans leurs actes. Dans ce cadre, la multiplication d’agressions discriminatoires est bien à craindre.
L’Ukraine abandonnée, Israël en roue libre
Sur la scène internationale, Donald Trump a largement prévenu, il sera « le meilleur ami qu’Israël a jamais eu ». Durant son précédent mandat, il avait déjà déplacé l’ambassade américaine à Jérusalem, reconnaissant ainsi la ville comme capitale de l’État hébreu alors que la moitié de celle-ci est palestinienne. Avec ces déclarations, on peut donc s’attendre à ce que l’action génocidaire du Premier ministre d’extrême droite Benjamin Netanyahu soit encore plus soutenue par les États-Unis qu’avant.
Et si Donald Trump se vantait de vouloir « empêcher la troisième guerre mondiale », il pourrait au contraire conduire à embraser tout le Moyen-Orient, et en particulier l’Iran. Une chose est sûre, les massacres à Gaza et au Liban ne sont pas près de s’arrêter. On notera d’ailleurs qu’il compte encore renforcer et moderniser son armée, ce qui pourrait suggérer qu’il se prépare lui-même à entrer en conflit avec d’autres puissances.
Du côté de l’Ukraine, Donald Trump a promis de faire cesser le conflit en 24 heures. Même si on a du mal à l’imaginer, sa proximité avec Vladimir Poutine laisse néanmoins supposer que le soutien financier et militaire en Europe de l’Est pourrait très vite se tarir. De quoi accélérer la victoire de la Russie dans la région avec sans doute de lourdes pertes territoriales pour Kiev.
Un désastre écologique
Du point de vue de l’humanité entière, outre la possibilité d’un conflit généralisé, la catastrophe représentée par l’élection de Trump réside sans aucun doute dans son climatoscepticisme et les mesures qui vont avec.
Évidemment, il n’y aura pas de frein au capitalisme ni à la course à la sacro-sainte croissance. Mais pire, le dirigeant d’extrême droite entend faire des USA la plus grosse puissance énergétique au monde « et de loin ». Et pour cela, il ne compte pas s’appuyer sur les technologies renouvelables, mais bien sur le pétrole. « Drill, drill, drill » (forer en français) était même devenu l’un de ses slogans de campagne.
Comme il l’avait déjà fait en 2016 (mesure annulée par Joe Biden), il veut également ressortir des accords de Paris pour le climat. Il entend de même lever les restrictions sur le gaz, le pétrole et le charbon, ce qui entraînera une véritable catastrophe environnementale. À ce titre, les tentatives de coup d’État contre le Venezuela (plus grande réserve de pétrole au monde) pourraient bien repartir de plus belle.
Enfin, dans le cadre de sa réduction des dépenses et des régulations, notamment souhaitée par son ministre technosolutionniste et libertarien Elon Musk, le locataire de la maison blanche envisagerait de tout bonnement supprimer plusieurs agences fédérales dédiées à la protection de la planète.
Une dérive autoritaire ?
Certains pourraient sans doute se dire que le mandat de Trump ne durera « que » quatre ans, mais il faut cependant rappeler que le milliardaire aura tout de même la latitude pour causer de considérables dégâts en si peu de temps. D’autant plus qu’il disposera d’une majorité au sénat, à la chambre des représentants et à la Cour suprême. Tout au moins jusqu’en 2027, date à laquelle seront organisées des élections de mi-mandat.
D’autres s’inquiètent plutôt sur l’assentiment du président d’extrême droite à rendre le pouvoir en 2028. On se souvient qu’après sa défaite en 2020, ses partisans avaient assailli le capitole (les condamnés de cet évènement devraient d’ailleurs être amnistiés).
Plus récemment, des déclarations énigmatiques sur le fait que les Américains « n’aient plus à voter dans quatre ans » avaient également laissé éclater les spéculations. Reste à savoir si Trump mordra aussi fort qu’il aboie. Il y a en tout cas toutes les raisons d’être inquiet surtout en ignorant les effets que son grand âge (78 ans) pourrait avoir sur lui dans les mois à venir.
– Simon Verdière
Photo de couverture : Wikimedia