La culture du viol, le faible nombre de condamnations des coupables, les victimes dont la parole et la responsabilité sont mises en doute, ce sont autant de questions sur lesquelles la parole des victimes se libère principalement grâce aux réseaux sociaux ces dernières années. Une lectrice française vivant au Québec nous a écrit pour partager l’agression sexuelle dont elle fut victime, et surtout décrire le parcours du combattant qu’il lui faudra mener dans l’espoir que justice soit faite. Ce témoignage, elle ne le fait ni pour l’argent, ni pour attirer l’attention, ni pour se « complaire » dans le statut de victime, ni pour « détruire » la vie d’un homme comme celles qui osent briser l’omerta en sont systématiquement (et stupidement) accusées. Claire veut au contraire inspirer les bons comportements pour venir en aide à un(e) proche qui aurait été victime et surtout que tout un chacun lutte contre les préjugés et les mythes entourant encore le viol. Elle nous raconte aujourd’hui son histoire sans filtre…


J’ai longtemps réfléchi avant de publier ce long message, mais avec la nouvelle vague de dénonciations d’agressions sexuelles qui a lieu en ce moment au Québec, je me sens prête à parler de mon expérience personnelle pour apporter un peu de réflexions à la fameuse question : pourquoi dénoncer son agresseur.e sur les réseaux sociaux plutôt que de se rendre à la police ?

En mars 2018, j’ai porté plainte contre l’homme qui m’a violée chez moi pour des faits remontant à mai 2016. J’ai réussi à me rendre à la police de Gatineau parce que j’avais le CALAS de l’Outaouais derrière moi depuis janvier et que j’étais soutenue par mon amoureux actuel.

J’ai été extrêmement bien reçue par la policière à l’accueil. J’avais de la difficulté à parler, je tremblais, j’avais peur, je n’arrêtais pas de me demander si je faisais la bonne chose. La policière a tellement été prévenante qu’elle m’a même demandé si la personne qui m’accompagnait était mon agresseur. J’ai trouvé la question surprenante mais avec le recul, je trouve ça bien. Cette femme était là à 100% avec moi, à mon écoute. J’ai répondu à toutes ses questions puis j’ai écrit mon témoignage, ça a pris plusieurs pages. Après l’avoir lu et voyant mon bouleversement, elle m’a répété plusieurs fois que j’avais bien fait de venir, qu’elle me soutenait et qu’elle était désolée pour moi.

J’ai attendu 2h qu’un inspecteur de police spécialisé dans les crimes sexuels se libère mais il n’y en avait pas de libre. Nous étions un jeudi soir, elle m’a dit qu’il me rappellerait d’ici la fin de semaine. Lundi j’ai fait le suivi de mon dossier par moi-même car je n’avais pas eu de nouvelles. L’inspecteur m’a rappelée et m’a demandé quelles étaient mes intentions. Sur le coup, je n’ai pas compris la question. Il m’a expliqué que mon dossier était très faible et que si je le voulais je pouvais m’arrêter là : il aurait besoin de plus de détails, mais à première vue, il n’a rien: pas de dossier médical, pas de preuves de violence… juste ma parole. Qu’est-ce que j’attendais de ces démarches ? Est-ce que je voulais vraiment rouvrir la plaie par le témoignage vidéo ? Il a m’a donné quelques jours pour réfléchir à ce que je voulais faire. Moi j’étais bien trop intimidée et trop gentille peut-être, pour dire ouvertement: je veux qu’il paye, qu’il reconnaisse les faits, qu’il ait mal autant que moi j’ai mal en ce moment, que c’était mon droit tout simplement. Et je me demande encore aujourd’hui pourquoi c’était à moi de pousser ou non l’avancée de mon dossier, sous couvert de ne pas me faire de faux espoirs, pourquoi je devais justifier le fait que ça m’avait pris du temps à porter plainte. Je croyais innocemment que j’avais juste à livrer mon témoignage et que je serais accompagnée le long du processus.

Ma décision a été finalement de continuer parce que j’en avais marre d’être la seule à porter le poids de mon agression sur mes épaules depuis près de 2 ans. Je ne me reconnaissais plus: je faisais des crises de panique, de larmes et d’anxiété en continu, j’avais peur de ne jamais réussir à apprendre à vivre avec ce qui s’était passé, de ne jamais redevenir la fille enjouée que j’étais, de guérir. Et j’étais fatiguée. Crissement fatiguée.

Il faut savoir que j’ai confronté mon agresseur deux jours après les faits. On sortait ensemble depuis peu. Je lui ai reproché de m’avoir mise en danger en me contraignant à une relation sexuelle non protégée. Mais il m’a harcelée pendant plusieurs jours pour me mettre dans la tête que OUI je l’avais voulu, que ce qui s’était passé était 100% normal, qu’il était clean et que je me minais pour rien. J’ai tout de même fait un dépistage complet à mes frais dans une clinique privée et la pharmacienne qui m’a délivrée la pilule du lendemain a tenu à me parler de l’importance de la contraception parce que j’avais été imprudente. Même dit gentiment, ça m’a fait sentir comme une pauvre fille inconsciente et stupide. Alors qu’à monsieur on lui demande rien, ce n’est pas lui qui a des chances de se retrouver enceinte. Si elle m’avait demandé le contexte, le lui aurais-je dit que j’avais été forcée par mon copain ? Je ne sais même pas.

Lors de mon agression, je ne savais pas que c’était une agression. Je ne savais pas qu’on pouvait dire oui puis non. Je ne savais pas que le fait qu’il ait passé 10 minutes à négocier avec moi pour finalement me contraindre par surprise à une relation sexuelle complète non protégée était un viol. Ni plus ni moins. Je ne le savais pas parce que je n’ai pas été éduquée au consentement. On m’a appris à prendre la pilule et à mettre un préservatif au gars mais pas à comprendre que quand je dis NON plusieurs fois, le partenaire doit en rester là.

Revenons à ma plainte… L’inspecteur a convenu d’un rendez-vous avec moi pour mon témoignage vidéo. Je n’étais jamais allée dans un poste de police et j’étais vraiment intimidée. J’avais beau me dire que rien n’était de ma faute, je me sentais coupable et honteuse. Il m’a présenté son collègue qui gérait la vidéo puis a commencé à parler de tout et de rien. Et puis il a fallu y aller. Parler de cette nuit en détails. Comment on s’est rencontré, dans quel état on était (si on était alcoolisé et/ou drogué), comment ça a débuté, qui a déshabillé qui, comment, quels mots, quels gestes, et tes mains étaient où, et les siennes, décris moi son corps, et là il a dit quoi, reviens en arrière, toi tu faisais quoi et lui, pour ça il t’a demandé la permission oui non, et ensuite…

C’était éprouvant, gênant. Pendant 1h30 j’ai dû parler de la chose la plus intime qui soit avec un étranger. Par moment je perdais le fil, je ne savais plus ce que j’avais dit, si j’avais dit non avant ou après tel geste ou mot. Le CALAS m’avait aidée à me préparer et m’avait avertie que les questions posées donneraient l’impression qu’un coup l’inspecteur est de ton côté et d’un autre qu’il est du côté de l’agresseur. Mais en fait, ce qui m’a le plus déstabilisée, ce sont les conclusions de l’entrevue.

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« tu ne crois pas qu’il y a juste eu un malentendu ? »

Inspecteur : « Il t’a posé une question à la négative, tu as répondu à la négative, moins et moins ça fait plus, tu ne crois pas qu’il y a juste eu un malentendu? » Moi je ris jaune, j’avais le sentiment d’une grosse claque dans la gueule. « Pas du tout, il me bloquait avec ses bras et le poids de son corps, je ne pouvais rien faire, je ne réagissais même pas, ça se voit quand même quand on prend du plaisir non ? » Inspecteur à peu près en ces termes : « mouais c’est pas très solide ça… ça ne compte pas, ce sont des suppositions. Il pouvait penser que tu étais d’accord. »

J’ai aussi mentionné que mon agresseur m’avait parlé par texto d’une ex qui l’avait accusé de viol, mais peut-être pas à la police. Ça non plus ça compte pas. Ce sont des ouï-dire.

J’ai aussi mentionné mon état psychologique pendant et après l’agression, du fait que je l’avais confronté ensuite, qu’il m’avait manipulée pour me faire accepter le tout comme normal, qu’il s’était mal comporté verbalement et à l’écrit plusieurs fois, mais que je n’avais plus aucun message parce que quand on s’est séparé, je ne voulais plus rien savoir de lui. « Concentre toi que sur les faits et gestes de cette nuit, le reste, ce qui est d’ordre psychologique, ça ne compte pas dans la plainte. »

L’enquêteur m’a aussi demandé comment allait réagir mon agresseur s’il arrivait à le contacter et à le faire venir au poste. Honnêtement je commençais à perdre patience et à vouloir m’en aller. L’enquêteur a supposé à haute voix qu’il nierait mes allégations. Je ne savais pas quoi répondre à ça.

« des expériences difficiles tu vas en revivre d’autres, faut apprendre à vivre avec »

Et puis ça s’est terminé sur cette phrase à peu près : « bon je vais être honnête, je ne sais pas vraiment si c’est une agression, il n’y a rien dans ton dossier, tu n’es pas allée à l’hôpital, tu portes plainte presque 2 ans plus tard et le gars habite maintenant la région de Vancouver. Je vais quand même faire mon enquête et je te reviens. » Et en se quittant, d’ajouter « L’important c’est que tu te fasses aider sur le plan psychologue, des expériences difficiles tu vas en revivre d’autres, faut apprendre à vivre avec. »

AÏE. Nouvelle claque.

À ce moment là, j’avais juste envie de foutre le camp le plus vite possible pour encaisser tout ça. Avec le recul, je sais que l’enquêteur a simplement manqué de tact, qu’il ne me disait pas que j’allais à nouveau me faire agresser, il a essayé de me réconforter avec beaucoup de maladresse.

Mais en tant que victime, ça fait mal de se faire dire que : 1. ton viol fait partie de cette fameuse zone grise, celle du « consentement flou », que la loi n’est pas de ton côté, et 2. j’avais pas besoin de me faire dire, « tsé dans la vie t’en vivras d’autres des épreuves, apprends à vivre avec voyons, renforce toi ! »

Je suis repartie de là déboussolée, en me disant voilà je suis pas une bonne victime. Il aurait dû me frapper cette nuit-là, fallait que ça marque physiquement, que ça saigne pour que mon viol soit un VRAI viol. Et puis j’aurais dû porter plainte tout de suite. Sauf que ça m’a pris 6 mois à comprendre que je m’étais faite violer par mon copain et cette prise de conscience est venue en lisant un article en ligne sur la notion taboue du viol au sein du couple. C’est extrêmement dur de reconnaître envers soi-même la gravité du geste et de l’accepter. Ensuite je n’avais aucune idée du fonctionnement du système judiciaire, je ne savais pas à qui en parler! Et quand j’ai raconté mon parcours au CAVAC/IVAC pour obtenir de l’aide financière en tant que victime d’un acte criminel, l’agente m’a confirmé que mon cas était TYPIQUE, COMMUN.

En mai 2018, l’enquêteur m’a appelée pour me signifier que ma plainte avait été classée sans suite. L’enquête s’est résumée à rencontrer la mère de mon agresseur pour savoir s’il habitait encore là et à laisser 2 messages vocaux à mon agresseur. Il n’a jamais rappelé la police et comme je n’étais plus en danger et que le dossier était vide, ça s’arrêtait là.

Aujourd’hui, je ne sais même pas si mon agresseur est au courant que quelqu’un a porté plainte contre lui, ni pour quel motif . Je n’arrive pas non plus à vous décrire comment je me suis sentie après ça. Je crois sincèrement que s’il n’y avait pas eu mon travail et mon chum (petit ami), j’aurais voulu disparaître. Tellement j’avais mal, tellement je me sentais écrasée, démunie, anesthésiée par cette injustice. Je sais pourtant que si je n’avais pas porté plainte, une part de moi l’aurait regretté aujourd’hui et serait restée accrochée au « et s’il avait avoué, si et si ».

Fait est que porter plainte c’est difficile, c’est une épreuve en soi et surtout j’ai compris que l’enquêteur et plus largement la justice étaient impuissants pour un cas comme le mien. Et des cas comme le mien il y en a des milliers. Et ce n’est qu’un obstacle parmi d’autres dans le parcours d’un.e survivant.e.

J’ai finalement reçu en septembre 2018 un diagnostic de stress post traumatique et grâce à l’aide de l’IVAC, j’ai bénéficié d’une psychothérapie à prix réduit et aujourd’hui je me sens guérie, je me sens bien.

N’empêche que je reste avec un goût amer face au système de justice. Je ne forcerai jamais quelqu’un à porter plainte contre sa volonté. Je lui dirai d’abord je te crois. Si tu veux en parler sur les réseaux sociaux, je te comprends. Et je lui dirai, je te jure, on est capable d’aller mieux avec du temps et beaucoup d’aide.

À toi qui as eu le temps et le courage de lire mon témoignage, je te dis : sois la solution et non le problème :
Ne contribue pas à la culture du viol, ne minimise pas le vécu, la parole et la façon de faire des victimes. Elles se débrouillent comme elle peuvent dans un système imparfait.
Éduque-toi ainsi que ton entourage sur ce qu’est la culture du viol, le consentement, et ce dès le plus jeune âge.
Soutien des organismes comme les Centres d’aide et de lutte contre les agressions sexuelles (au Québec), qui font un travail incroyable de prévention, d’éducation et de soutien.
Si une personne se confie à toi, écoute-là et soutiens-là, c’est le plus beau cadeau que tu puisses lui faire.

Claire (nom d’emprunt)

Photo d’en-tête Flickr


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