Dans l’imaginaire collectif, une promenade en montagne est synonyme d’immersion dans un environnement sain : de l’air pur, de l’eau limpide, des reliefs majestueux, le calme de la nature. De quoi ravir bon nombre de randonneurs, mais aussi les animaux sauvages qui habitent encore ces lieux. Malheureusement, il se peut que le tableau ne soit pas si vert. Des chercheurs du laboratoire d’écologie fonctionnelle et de l’environnement de l’Université de Toulouse ont récemment publié une étude qui atteste de la présence de plus de 140 substances chimiques polluantes dans les lacs d’altitude des Pyrénées. Ce cocktail particulièrement toxique altère déjà dangereusement les écosystèmes des lacs de montagne, alors même que ces environnements fragiles sont frappés de plein fouet par le changement climatique. Les activités humaines, notamment le pâturage du bétail médicamenté à l’excès, sont mis en cause.
Pendant longtemps, les montagnes étaient considérées comme un environnement hostile à l’être humain et ainsi préservé de toute incursion déstabilisante. La nature s’y développait alors, paisible et florissante.
« Le relief très développé des chaînes favorise l’existence de nombreux microclimats, écosystèmes et habitats pour différentes espèces, dont un grand nombre ne vivent qu’en montagne », détaille Dirk Schmeller, un des auteurs de l’étude publiée par le laboratoire d’écologie fonctionnelle et de l’environnement de l’Université de Toulouse.
Un environnement fragile et menacé
Au fil des siècles, l’être humain s’est taillé une place de choix dans cet espace naturel si particulier et a tiré profit des nombreuses ressources alors à sa disposition. Aujourd’hui, les montagnes offrent de quoi se subsister à plus de la moitié de l’humanité, en séquestrant par ailleurs une part du CO2 présent dans l’atmosphère et en régulant les crues.
Malheureusement, cet environnement exceptionnel est également très fragile et le dérèglement climatique y est particulièrement prononcé. « L’augmentation de la température moyenne y est plus marquée qu’en plaine, tout comme les variations des précipitations – il y a parfois des sécheresses et parfois des inondations – ce qui contribue à la disparition de nos glaciers. De nouvelles études ont également montré que la pollution plastique avait atteint les montagnes que l’on pensait préservées », expliquent les chercheurs du laboratoire d’écologie fonctionnelle et de l’environnement de l’Université de Toulouse.
Ainsi, alors que beaucoup de personnes imaginent les montagnes françaises comme un éden vierge et sauvage, la réalité est bien loin du compte. Les activités humaines comme le pâturage ou le tourisme ne cessent de se développer, engendrant avec elles une pollution de masse qui menace grandement ces écosystèmes.
Un cocktail toxique considérable
C’est exactement ce qu’ont tenté d’étudier Dirk Schmeller et son équipe en analysant les eaux de huit lacs d’altitude différents dans les Pyrénées ariégeoises (deux lacs), le Néouvielle (trois lacs) et le Béarn (trois lacs).
Leur découverte est sans appel. Fongicides, herbicides, insecticides, pesticides, hydrocarbures aromatiques polycycliques, des biphényles polychlorés et bien d’autres… Au total, 141 molécules toxiques différentes ont été décelées dans les huit lacs analysés.
« Nous avons pu détecter entre 31 et 70 molécules différentes par lac. La plus grande diversité de molécules a été trouvée dans l’étang d’Ayes en Ariège », précise les scientifiques.
Pour parvenir à ces résultats, l’équipe de chercheurs a placé plusieurs échantillonneurs passifs dans ces lacs situés entrée 1714 et 2400 mètres d’altitude. Constitués de plaquettes de silicone, ils accumulent les substances lipophiles telles que les 1500 molécules chimiques qui circulent actuellement en Europe. Pendant trois ans, Dirk Schmeller et ses collègues se sont ainsi rendus dans chacun des lacs pour y récolter les échantillons préalablement posés.
Une véritable menace pour les écosystèmes
Grâce à de nouvelles technologies, les laboratoires sont aujourd’hui capables de détecter près de 500 produits chimiques organiques, « dont des polluants organiques persistants, des hydrocarbures aromatiques polycycliques, des pesticides anciens et actuels, des biocides et des parfums musqués », précise le chercheur toulousain dans son article publié sur The Conversation.
Les chercheurs se disent surpris par l’ampleur de la pollution constatée grâces à leurs analyses. Alors même qu’ils avaient déjà relevé des changements significatifs dans les écosystèmes concernés (comme la disparition des amphibiens, la croissance des algues, les variations de plus en plus importantes du niveau de l’eau, etc), ils s’inquiètent de ce cocktail chimique colossal qui implique une toxicité chronique pour les crustacés présents dans ces eaux de montagne et qui menace de déséquilibrer gravement l’ensemble du biome.
« La pollution chimique des lacs de montagne entraîne une forte modification de la composition de la communauté zooplanctonique et donc du fonctionnement de ces écosystèmes. Cela pourrait être l’une des raisons pour lesquelles les algues prolifèrent dans certains de nos lacs, car les crustacés, une fois disparus, ne peuvent plus contrôler la croissance des algues vertes », prévient le chercheur qui poursuit : « ces changements ont également pour effet indirect d’affaiblir la population d’amphibiens. En effet, le zooplancton constitue une barrière biologique vis-à-vis du champignon chytride amphibie, responsable de la chytridiomycose ».
Il pourrait en être de même pour d’autres agents potentiellement pathogènes pour l’être humain ou le bétail de pâturage. Les scientifiques prévoient d’approfondir leur étude dans ce sens.
Un responsable tout trouvé
Mais alors, qui est responsable ? Pour les scientifiques, l’origine de ces polluants semble toute indiquée puisqu’ils ne sont pas naturellement présents dans notre environnement. Seul l’être humain a pu les y introduire. D’abord, « la grande diversité des molécules est très probablement liée au transport atmosphérique : les produits chimiques utilisés en plaine sont soulevés dans l’air par évaporation. Ces masses d’air sont ensuite poussées vers les montagnes, et les substances chimiques qu’elles contiennent s’y déversent sous forme de précipitations » avant d’arriver dans nos lacs. Mais deux substances attirent particulièrement l’attention des chercheurs : le diazinon et la perméthrine.
Ces insecticides très actifs se trouvent principalement dans les produits utilisés pour se débarrasser des indésirables : blattes, poissons d’argent, fourmis et puces pour le premier et insectes suceurs, comme les moustiques ou les tiques pour le deuxième. « Cela signifie que ces deux molécules ont très probablement été introduites dans les lacs par des sources locales (comme le bétail, les touristes, les chiens), et ce en quantité haute en concentration, sinon nous aurions eu du mal à les détecter dans les centaines d’hectolitres d’eau présents dans ces lacs », signale le chercheur.
Pour conclure, l’équipe de scientifiques toulousains appelle à un changement de mentalité et à l’arrêt pur et simple de l’utilisation de ces insecticides. « Seuls les produits chimiques que nous n’utilisons pas n’auront aucune influence sur notre environnement ».
L. Aendekerk
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